Question de l’ile de Mayotte : pour une nouvelle stratégie diplomatique

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Question de l’ile de Mayotte : pour une nouvelle stratégie diplomatique
Question de l’ile de Mayotte : pour une nouvelle stratégie diplomatique

Par MOHAMED DJALIM Ali

Africa-Press – Comores. Au mois de novembre dernier, trois manifestations publiques qui se sont déroulées à Moroni ont inspiré la rédaction de cet article qui constitue une contribution de plus n’engageant que moi-même quant à la recherche d’une réponse à cette question de Mayotte qui a fait couler tant d’encre depuis près d’un demi-siècle.

Il s’agit de la conférence tenue à l’Université des Comores (UDC) par Monsieur Ahmed Mohamed Thabit, diplomate comorien, le lundi 7 novembre dernier, de la cérémonie de la fête de l’Armistice du 11 novembre qui a eu lieu à la résidence de l’Ambassadeur de France aux Comores et de la Journée Nationale du 12 novembre, chaumée et payée pour permettre aux citoyens comoriens de célébrer cette journée historique et mémorable marquant l’admission des Comores aux Nations Unies. Quels enseignements ressort-il de ces événements et quelles leçons pourrait-on en tirer ?

Ces trois manifestations, symboliques et emblématiques, ont eu comme dénominateur commun la référence aux relations multiformes qui lient les Comores et la France notamment une mise en relief de l’épineuse question de l’ile de Mayotte maintenue,dans le giron de la République française et séparée de ses trois îles sœurs depuis l’accession des Comores à la souveraineté nationale le 6 juillet 1975.

Ahmed Thabit, a fait un brillant exposé sur les grandes étapes de l’histoire coloniale aux Comores en mettant un accent particulier sur la question de l’île de Mayotte. Il a, surtout, permis à son auditoire constitué de jeunes étudiants, de consolider leur culture générale en acquérant toute une mine de données et informations historiques complémentaires aux cours d’histoire des Comores que ces derniers reçoivent au sein du Département d’Histoire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’UDC.

Quant à la cérémonie sur l’Armistice organisée à la Résidence de l’Ambassadeur de France à Moroni en commémoration de la fin de la Première Guerre Mondiale de 1914-1918, elle a permis au Représentant de la France, Son Excellence Sylvain Ruquier, de rappeler certains faits historiques qui lient les Comores à la France en rendant, dans un message remarquable, un hommage particulier aux « 1300 tirailleurs comoriens » dont 129 ont péri sur le champ de bataille pour la dignité et l’honneur de la France. Dans la foulée, alors que l’assistance s’attendait à ce que mention soit faite à la question de Mayotte – principal point d’achoppement des relations entre la France et les Comores –, la Gouverneure de Ngazidja, dans un message prononcé pour la circonstance, s’est fortement engagée aux cotés des pays qui dénoncent, ironie du sort, l’ »agression » de l’Ukraine par la Russie.

Le lendemain, comme chaque année, le pays a célébré le 12 novembre. Une date très importante qui rappelle l’admission des Comores à l’Organisation des Nations Unies, alors que Mayotte reste toujours sous l’occupation de l’ancienne puissance coloniale. Ce 12 novembre, baptisé « Journée Nationale Maoré »est une grande messe annuelle au cours de laquelle les militants de la cause de la réintégration de Mayotte dans son giron naturel expriment leur mécontentement à l’égard de la politique française par les sempiternelles récriminations d’une France condamnée pour son agression d’une partie du territoire comorien qu’est Mayotte.

Le gouvernement comorien revendique sa souveraineté sur Mayotte en opposition à la France. Jusque dans les années 1990, l’Assemblée Générale des Nations Unies a condamné la présence française à Mayotte par plus de vingt résolutions non contraignantes. En 2009, l’Union africaine réunie à Addis Abeba, a réaffirmé l’illégalité de la présence française à Mayotte puis l’ONU se prononce contre la départementalisation dans ses résolutions. Les différents référendums locaux, ayant abouti à la départementalisation en 2009, ont largement été le fruit de campagnes de la part de l’État français, critiquées à l’international ; cependant les résultats toujours sans appel ont entériné le maintien de Mayotte au sein de la République française, au nom du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe cardinal du droit international. La départementalisation de Mayotte est désormais reconnue par l’essentiel des pays de l’ONU, et le 1er juillet 2014 Mayotte intègre officiellement l’Union européenne.

Mais cette France condamnée reste paradoxalement une « des principales sources d’aide financière aux Comores, à la fois par la très nombreuse proportion de Comoriens vivant sur le sol français (un Comorien sur quatre vit sur le sol français de manière régulière, et la plupart envoient régulièrement de l’argent au pays, ce qui représente une part considérable du PIB comorien) ». Une France qui est également un des partenaires au développement des Comores grâce aux nombreux accords de coopération qui lient les deux pays : en 2019, le président français a par exemple signé un plan d’aide de 150 millions d’euros d’aides « pour la santé, l’éducation, la formation professionnelle ». Un montant reconfirmé avec un rajout de quelques milliers d’euros lors de la dernière conférence sur le suivi de la Conférence de Paris tenu à Moroni.

Au regard de tous ces événements, il m’est donné de constater que la diplomatie actuelle est bloquée et qu’aucun progrès vers une solution, ne serait-ce partielle pour ne pas dire définitive, de ce litige internationalisé, n’apparait à l l’horizon.

A mon avis, il est temps que l’on débloque les choses au niveau de la diplomatie comorienne qui, plus combative certes à ses débuts, a perdu sa vigueur par la suite. Il lui faut, désormais, être à la fois plus réaliste et concrète.

Soyons réalistes et n’exigeons pas l’impossible. Pour un règlement définitif et durable de ce litige politico-juridique, il y a, dans un premier temps, à repenser la politique étrangère et la diplomatie comorienne sur la base, notamment, de plus de « Realpolitik » en s’inspirant des expériences internationalement vécues en matière de règlement de conflits territoriaux. Autrement dit, on doit exiger de nos décideurs politiques la définition d’une nouvelle politique étrangère qui soit réaliste en vue d’un règlement définitif de cette question de l’ile de Mayotte. Il faut, à mon sens, écarter les solutions à court terme et envisager des solutions à plus long terme qui consisteraient, par exemple, à un grand rendez-vous historique où ces communautés de frères et sœurs que sont les Wangazidja, Wandzuwani, Wamwali et Wamaore se retrouveront un jour, main dans la main, comme un seul corps, pour se dire « Unissons-nous pour le bien-être de nos générations futures ».

A ce grand rendez-vous qui restera, sans doute, dans les annales, ils seront tellement fiers de leur conscience d’appartenance à une même civilisation et à une même culture qu’ils regretteront tout ce temps perdu avec ces slogans du genre « Mayotte est comorienne et le restera à jamais » pour les militants d’une Mayotte comorienne ou « Mayotte est française et le restera à jamais » pour les partisans de Mayotte française.

En effet, les pays du monde qui ont triomphé des crises similaires à celle qui oppose la France et les Comores au sujet de Mayotte ont su apporter des doses de « Realpolitik » en privilégiant l’efficacité, le concret et le réalisme par rapport aux considérations de principe, d’éthique ou de morale. Les exemples historiques de Realpolitik pour un règlement des conflits dans le monde au XXème siècle sont nombreux pour servir de modèles d’inspiration en vue d’un règlement pacifique de ce conflit territorial qui oppose les Comores à la France. Il s’agit du rapprochement du gouvernement de Nixon, conseillé par Henri Kissinger, alors Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, avec la Chine de Mao Tsé Toung. Ce rapprochement est aujourd’hui considéré par de larges franges de l’opinion mondiale comme le point de départ du décollage économique de la Chine qui serait, aujourd’hui, en train de devenir la toute première puissance économique mondiale. Ancienne colonie britannique, Hong Kong a été rétrocédé à la Chine en 1997 au terme d’un bail de 99 ans établi entre l’Empire britannique et l’empire chinois sous la dynastie des Qing à la suite de la défaite de ce dernier dans la guerre sino-japonaise (1894-1895). Deux ans après la rétrocession de Hong Kong ce fut autour de Macao d’être rétrocédé à la Chine par le Portugal après plus de 400 ans de colonisation.

Une telle politique évalue donc les rapports de force en présence et se fonde, avant tout, sur l’intérêt national. C’est une stratégie politique qui doit s’enraciner, non pas sur les a priori idéologiques ou les jugements de valeurs, mais sur l’importance économique ou géopolitiques des parties ou des interlocuteurs en conflit. Elle prend également en compte les intérêts et considérations géopolitiques, économiques, culturels des parties en présence car, comme disait un homme d’Etat français : « les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts à défendre ».

Loin de moi toute prétention à relancer un débat sans fin autour des concepts d’intégrité territoriale et d’autodétermination des peuples qu’invoquent les uns et les autres pour justifier a priori leurs positions respectives autour de cette question de Mayotte.

Ne nous laissons pas prendre par le piège de la rigueur des controverses sémantiques que suscite encore le droit international s’agissant des concepts antinomiques d’intégrité territoriale et d’autodétermination des peuples quoiqu’une seule exception puisse être soulevée : comment dans le cas des questions de décolonisation, on peut mettre de côté une disposition fondamentale du droit international à savoir celle « l’accession à l’indépendance dans les frontières héritées de la colonisation » ?

Par ailleurs, le concept d’« autodétermination des peuples » suscite une autre polémique, à savoir celle ayant trait à l’interprétation de la notion de « peuple », perçue comme un concept polysémique. En effet, les États défendant l’intégrité de leur territoire considèrent généralement l’ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique (au sens de « nation », se référant au « droit du sol »). Quant aux mouvements séparatistes de certaines minorités nationales, ils considèrent les communautés (linguistiques, religieuses ou autres) qu’ils affirment représenter comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l’autodétermination. C’est un piège qu’on doit éviter si nous tenons à avancer dans la recherche d’une solution de cette crise territoriale vieille déjà d’un demi-siècle.

Quelle stratégie pour un retour de Mayotte dans son giron naturel

C’est l’ancien président de la République française, F. Mitterrand, lors de sa visite d’Etat aux Comores le 13 juin 1990, qui semble avoir posé les bases d’une réflexion pour un règlement au problème de Mayotte qui demeure le point d’achoppement dans les relations entre la France et les Comores en déclarant, je cite : « … Il est de multiples formes d’unité, croyez-moi et nous allons les rechercher. Cette même confiance nous fait espérer que nous saurons trouver, cette fois, une issue positive au problème de Mayotte ». La démarche pour y parvenir est la suivante :

A l’instar de Hong Kong, Taïwan et Macao, concédés à la Chine respectivement par la Grande Bretagne et le Portugal sur la base d’un bail de 99 ans signé par les chinois et ses anciens colonisateurs, on pourrait envisager la signature d’une Convention Tripartite prévoyant le retour de Mayotte dans son giron naturel dans un délai qui sera fixé de commun accord par les Comores, Mayotte et la France.

Demander à l’Organisation des Nations Unies (ONU) par le biais de l’Union Africaine (UA) de prendre les dispositions nécessaires visant à parrainer des négociations entre la France et les Comores sur un calendrier réaliste devant aboutir à l’adoption par le Parlement français d’un texte législatif modifiant le statut actuel de Mayotte conformément au principe sacro-saint « une Nation, deux Systèmes » qui soit préparatoire à cette réintégration éventuellede Mayotte dans l’ensemble comorien.

Faire adopter par le parlement comorien une politique nationale de coopération sur la question de Mayotte et un plan stratégique de sa mise en œuvre conformément à ce principe de « une Nation, deux Systèmes ».

Mettre en place un nouveau mécanisme paritaire regroupant des représentants des Comores, de Mayotte et de la France en mettant fin au Haut Conseil Paritaire (HCP), héritier du Groupe Technique de Haut Niveau (GTHN), deux mécanismes de coopération bilatérale entre la France et les Comores qui ont montré leur limite pour apporter les résultats souhaitables. En effet, ces deux institutions n’ont jamais abordé le fond du problème qui aurait été d’engager un débat de fond sur un « statut spécial à accorder à l’île de Mayotte » qui ne devait jamais être séparé de ses trois autres îles sœurs comme l’ont toujours cru certains hommes politiques français tels Olivier Stirn ou Valéry Giscard d’Estaing qui, défendant l’unité des Comores, a fait la déclaration suivante à propos des Comores : « C’est un Archipel qui constitue un ensemble, c’est une population qui est homogène dans laquelle il n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française. Est-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines : les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. Il est naturel que leur sort soit commun. Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique Archipel des Comores. »

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