Africa-Press – Comores. Ils sont 27 et officiellement déclarés en rémission de leur infection par le VIH, le virus du Sida. Pourtant, cela fait deux à vingt ans qu’ils ont (pour raisons diverses) arrêté le traitement théoriquement nécessaire à vie pour éviter que le virus ne reprenne le dessus. Ces cas « extraordinaires » – dixit les chercheurs eux-mêmes – ont révélé une étonnante prédisposition génétique à des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et de l’AP-HP (hôpitaux de Paris) et publiés dans la revue Med.
Des patients qui contrôlent le virus seulement après arrêt du traitement
Elles s’appellent « Natural Killer », en français « tueuses naturelles », mais sont plus couramment appelées cellules NK. Agentes de l’immunité innée, la première ligne de défense de l’organisme, ces globules blancs sont spécialisés dans le repérage et la destruction de cellules anormales, par exemple infectées ou cancéreuses. Ce sont elles qui semblent profiter aux 27 contrôleurs du virus post-traitement – à distinguer des contrôleurs naturels du VIH, qui n’ont même jamais eu besoin de traitement pour maîtriser le virus.
« Les contrôleurs naturels sont très rares, moins de 3 ou 4 personnes infectées sur 1.000 », chiffre Asier Sáez-Cirión, responsable de l’Unité HIV inflammation et persistance de l’Institut Pasteur et qui a dirigé ces nouveaux travaux. Il estime – prudemment – le nombre de contrôleurs post traitement dix fois supérieur, c’est-à-dire 5 à 10% des personnes recevant un traitement précoce. Or, chez les naturels, ce ne sont pas les cellules NK qui entrent principalement en jeu, mais les lymphocytes CD8, des globules blancs également capables de reconnaître et éliminer les cellules anormales. « Cette étude nous a permis de comprendre que les mécanismes nécessaires pour contrôler le virus sont probablement différents de ceux qui permettent de maintenir le virus contrôlé », résume Asier Sáez-Cirión.
Le paradoxe de ces patients contrôleurs particulièrement sensibles au VIH
Ces mécanismes seraient si différents que là où les contrôleurs naturels maîtrisent immédiatement le virus du VIH, les contrôleurs post traitement y seraient au contraire plus sensibles que la moyenne. Ainsi, non seulement les contrôleurs post-traitement ne possèdent pas des lymphocytes CD8 aussi efficaces que ceux des contrôleurs naturels, mais ils souffrent même pour la plupart d’un désavantage génétique ! Nommée HLA-B*35, cette protéine de surface défavorable « est associée à une progression plus rapide du virus et de la maladie », explique le directeur de recherche. « C’est donc un paradoxe, car chez les naturels cette version de HLA est beaucoup moins fréquente que dans la population générale, quasiment exclue, alors qu’à l’inverse elle est particulièrement fréquente chez les contrôleurs post-traitement. »
Deux réponses à cette apparente contradiction. « Les contrôleurs post-traitement possèdent, en combinaison avec ces molécules HLA-B*35, d’autres HLA connus pour donner des signaux particuliers aux cellules NK qui pourraient faciliter leur activité contre le VIH », commence Asier Sáez-Cirión. L’action sensibilisante du HLA-B*35 pourrait donc être largement compensée par l’action des autres HLA que possèdent ces patients particuliers.
En outre, l’importante intensité des symptômes des personnes possédant le HLA-B*35 leur a probablement permis un diagnostic rapide et donc un traitement précoce. « On pense donc que le fait d’avoir un HLA-B*35 associé à un VIH de progression sévère a d’un côté conduit à la mise en place d’un traitement antirétroviral précoce, à une époque où tout le monde n’était pas traité de façon immédiate, et d’un autre côté que ces personnes ont bénéficié de molécules qui favorisaient l’activation des NK efficaces contre le VIH », résume Asier Sáez-Cirión. Sur 27 patients, neuf possédaient un profil génétique et donc des protéines de surface homogènes sur leurs cellules NK. « Ce n’est même pas sûr que ces cellules NK soient plus efficaces contre le VIH de façon directe, nous cherchons quelles activités leur permettent de maintenir le contrôle viral. »
L’importance d’un traitement antirétroviral précoce
La précocité de l’administration du traitement antirétroviral est un facteur clé. « Ce facteur a soit favorisé les cellules NK efficaces, soit leur éducation, si bien que ces cellules qui au départ n’étaient pas capables de contrôler l’infection ont réussi ensuite à la contrôler après l’interruption du traitement », appuie le chercheur. La rapidité d’administration des antirétroviraux est donc un facteur clé. Si le traitement est administré trop tard, après les deux premiers mois d’infection par le VIH environ, le virus aura plus le temps de se multiplier et se diversifier, menant à une dégradation des réponses immunitaires. « La fenêtre d’opportunité est très petite », souligne Asier Sáez-Cirión.
Le chercheur, son équipe et leurs partenaires espèrent confirmer ces résultats en observant 16 personnes sous traitement et dont le profil immunogénétique correspond aux neuf contrôleurs post-traitement au profil homogène de cette étude-ci. « Nous leur avons proposé l’arrêt de leur traitement antirétroviral, et avons surveillé leurs proportions de cellules NK ainsi que l’évolution de la charge virale », explique Asier Sáez-Cirión, qui espère communiquer de premiers résultats à la fin de l’année.
Si cet essai clinique confirme le profil immunogénétique des cellules NK permettant aux personnes vivant avec le VIH de devenir des contrôleurs du VIH post-traitement, l’objectif est de transformer le plus de ces personnes possibles en contrôleurs. « Si on parvient à pointer ces caractéristiques critiques des cellules NK, nous pourrons mobiliser les cellules NK adéquates chez ces personnes », espère Asier Sáez-Cirión.
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