Quentin Velluet
Africa-Press – Congo Brazzaville. Sous le coup d’une enquête des autorités américaines, le PDG de la plateforme d’échange de cryptomonnaies a préféré démissionner de son entreprise pour la préserver.
Il y a un peu plus d’un an, Changpeng Zhao (dit « CZ ») confiait son ambition continentale à Jeune Afrique. Binance, la plateforme d’échange de cryptomonnaies qu’il a fondée en 2017 comptait selon lui disposer « de multiples présences dans l’ensemble des sous-régions ». Le dirigeant sino-canadien se disait convaincu de pouvoir faire « plus d’argent dans les pays en développement » qu’en Amérique et en Europe.
Quatorze mois plus tard, celui qui se positionnait comme le chantre d’une nécessaire régulation des marchés qu’il convoitait, est justement rattrapé par celle-ci, aux États-Unis. Le 21 novembre à Seattle, Binance et son chef ont plaidé coupable pour des chefs d’accusation de blanchiment d’argent lors d’une audience devant une cour fédérale.
Les enquêteurs reprochent à la bourse de cryptomonnaies d’avoir enfreint les lois américaines en dissimulant plus de 100 000 transactions suspectes avec des organisations qualifiées par les États-Unis de terroristes ainsi qu’avec des sites web pédophiles. Binance aurait également fermé les yeux sur la collecte de fonds issus d’activités cybercriminelles.
Une amende à 4,3 milliards de dollars
Dans le cadre d’un accord avec le département du Trésor et la Commodity Futures Trade Commission (CFTC) qui précède une comparution devant la justice, la plateforme s’engage à verser une amende de 4,3 milliards de dollars. CZ doit pour sa part s’alléger de 50 millions de dollars à titre personnel. En démissionnant, ce dernier conserve en revanche la participation qu’il détient dans Binance. L’entreprise est mise sous surveillance pendant cinq ans tandis que Richard Teng, ex-directeur des marchés régionaux de Binance, succède à CZ au poste de PDG.
Depuis la chute de son concurrent FTX et la condamnation pour fraude de son fondateur Sam Bankman-Fried, la pression réglementaire est à son comble aux États-Unis. Binance, qui avait jusqu’ici échappé aux contrôles n’a pour autant jamais profité de l’espace qui lui a été offert suite à la disparition de FTX pour conquérir de nouveaux clients.
Le mirage africain
En Afrique, le constat n’est pas plus concluant. Outre d’intenses campagnes de marketing usant de personnalités comme l’influenceur TikTok d’origine sénégalaise, Khaby Lame, pour faire connaître ses services localement, Binance n’a jamais véritablement décollé. « Cette entreprise a tellement de problèmes de régulation partout dans le monde qu’elle n’a pas le temps de se concentrer sur son développement en Afrique », analyse un dirigeant du secteur, actif dans plusieurs pays du continent qui confirme que Binance s’est séparé de l’essentiel de ses équipes africaines.
« Le continent représente une bonne part des utilisateurs de la plateforme mais la réalité des flux financiers entre l’Afrique et le reste du monde fait que le continent ne pèse pas lourd dans les résultats de l’entreprise malgré une croissance exponentielle des volumes d’échange », observe quant à lui un ancien salarié de l’entreprise.
Il est difficile de connaître la valeur réelle du volume de transaction, Binance ayant toujours pris soin de maintenir un flou juridique sur sa structure juridique et ses finances. Selon la Security and exchange commission (SEC), le régulateur américain des marchés financiers, les sociétés Binance.us et Binance.com auraient réalisé un chiffre d’affaires d’environ 12 milliards d’euros entre 2017 et 2022.
Selon le Wall Street Journal, la Chine qui représente le premier marché de Binance – malgré l’interdiction des cryptomonnaies dans le pays – a représenté 20 % des volumes de transactions de Binance en 2022, soit 90 milliards de dollars devant la Corée du Sud (55 milliards de dollars) et la Turquie (40 milliards de dollars). Dans ce flux, les transactions effectuées par des clients africains, ne représenteraient qu’1 % du montant total géré annuellement par Binance, selon notre source qui a travaillé au sein de l’entreprise.
Vague de licenciements
En juillet, le Wall Street Journal a effectivement révélé qu’une vague de licenciements d’environ 1 000 personnes avait débuté chez Binance. Selon nos informations, celle-ci est toujours en cours et concerne une bonne partie de l’équipe Afrique – environ 15 personnes sur le continent – qui a été remerciée. « Aujourd’hui, l’objectif principal pour Binance et ses concurrents est de se battre pour conserver leur présence dans les plus gros marchés comme les États-Unis et l’Europe », poursuit notre expert du secteur.
À l’annonce de la démission de CZ, sa cryptomonnaie, le Binance Coin (BNB) qui s’échangeait aux alentours de 246 euros dans la matinée du 21 novembre, a chuté pour se stabiliser à environ 215 dollars à l’heure où sont écrites ces lignes et ce, sans emporter avec elle le reste de l’écosystème crypto. Le cours du bitcoin s’est même apprécié depuis qu’au mois d’octobre, le gestionnaire de fonds Blackrock a annoncé vouloir créer un fonds négocié en bourse (ETF) dédié aux cryptoactifs. « Je pense que le marché ne s’effondre pas car les gens font confiance à CZ et au fait que Binance dispose d’un fonds sécurisé d’un milliard de dollars », analyse l’ex-Binance.
Dans un tweet publié ce 22 novembre, le nouveau PDG de la plateforme de cryptomonnaies a souhaité rassurer les clients de la solidité de l’entreprise : « Binance continue d’exploiter la plus grande bourse de cryptomonnaies au monde en termes de volume, notre structure de capital est exempte de dettes, les dépenses sont modestes et, malgré les faibles frais que nous facturons à nos utilisateurs, nous avons des revenus et des bénéfices solides. »
Source: JeuneAfrique
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