Africa-Press – Congo Brazzaville. Des nématodes du pin ont été découverts le 3 novembre 2025 à Seignosse, commune du sud des Landes. Pour le massif forestier aquitain, cela pourrait bien être une date historique. Les ravages de Bursaphelenchus xylophilus sont en effet tellement profonds et rapides qu’ils pourraient bien changer le paysage du massif forestier qui s’étend des Landes au nord de la Gironde sur 818.000 hectares. Toute une économie est menacée tant sylvicole que touristique puisque le paysage actuel pourrait être complètement bouleversé.
Les Nématodes constituent un embranchement du règne animal. Ce sont des vers ronds, microscopiques qui vivent le plus souvent en parasite. Celui du pin infecte les espèces de résineux avec un appétit marqué pour le pin maritime. Bursaphelenchus xylophilus est originaire d’Amérique du Nord, région où les résineux ont appris à résister et à cohabiter avec le ravageur grâce à une coévolution sur plusieurs millions d’années. Des pins américains ont été introduits au Japon à la fin du 19ème siècle, ce qui a provoqué l’apparition de la maladie dans ce pays où les résineux n’avaient pas développé de résistances. La maladie a ensuite été détectée en Chine en 1982, en Corée en 1988, à Taïwan en 1995. Son apparition au Portugal date de 1999, puis en Espagne en 2008 et en Arménie en 2022. Voilà donc le tour de la France. 350 millions de m3 de volume de bois sont menacés, soit 13% des ressources d’une filière qui fournit principalement du bois d’œuvre pour le bâtiment (charpentes, parquets).
Ces vers microscopiques étouffent des arbres de plusieurs mètres de haut
Partout dans le monde en effet, des millions d’arbres sont morts, parfois très rapidement l’été quand la chaleur aggrave l’action souterraine des vers. Ceux-ci pénètrent par millions dans les canaux vasculaires, s’y multiplient, bloquent la circulation de la sève et provoquent une multitude d’embolies. En quelques semaines, les aiguilles du pin rougissent, puis tombent, l’arbre dépérit littéralement sur pied. Le nématode est classé « organisme de quarantaine prioritaire » dans la législation européenne. Il fait à ce titre l’objet d’une surveillance rapprochée. Un groupe « surveillance du nématode du pin » (SNP) composé d’agents forestiers de l’Etat et de chercheurs de l’Inrae, de l’Anses et d’organismes spécialisés comme le réseau FREDON, arpente ainsi depuis plusieurs années les massifs susceptibles d’être affectés, examinant les arbres, traquant les dépérissements soudains. C’est ainsi que le foyer de Seignosse a été repéré.
Comment le Nématode est-il arrivé? « On ne sait pas », avoue Nicolas Lafon, président du syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest. Jusqu’ici, le nématode a beaucoup voyagé grâce aux échanges commerciaux des humains. Il se déplace soit enkysté dans le bois de grumes ou de palettes, soit en « auto-stoppeur » dans l’organisme d’un coléoptère Monochamus galloprovincialis. Car le Nématode a un vecteur qui lui permet de passer d’arbre en arbre, ce que ce ver minuscule serait autrement bien incapable de faire. « Monochamus est une espèce endémique, présente de tout temps dans les Landes (et dans les forêts de pin de France) donc si le nématode est bien exotique, son insecte vecteur est bien de chez nous », rappelle Hervé Jactel, chercheur à l’Inrae et membre du programme scientifique dédié au Nématode.
Un insecte vecteur aide le parasite à s’étendre
L’insecte devient porteur du ver lorsque sa larve se développe au sein d’un arbre contaminé. 75% des contaminations ont lieu lorsque le coléoptère entre dans sa phase active au printemps, se nourrit sur les pousses vertes des arbres et entre en maturation sexuelle, soit une période de dix semaines. 25% des contaminations ont lieu à l’automne quand Monochamus dépose ses œufs dans des arbres infectés. « La charge des Monochamus en nématodes est très variable mais beaucoup en portent plusieurs milliers. Dans les branches d’un pin sensible, les nématodes peuvent se reproduire extrêmement rapidement. Chaque femelle peut pondre une cinquantaine d’œufs et le cycle peut ne durer que de 4 à 10 jours lorsque les conditions sont favorables », préviennent les spécialistes du SNP sur leur site.
Le lieu de la première irruption à Seignosse complique les choses. « Dans ce sud des Landes, nous avons une multitude de petits propriétaires de 1 à 2 hectares de forêts qui vont subir les contrecoups des mesures sanitaires qui sont mises en place », prévient Nicolas Lafon. Celles-ci sont rapides et massives. « Le premier arrêté préfectoral publié peu après la confirmation par le laboratoire de l’Anses le 4 novembre 2025 impose un premier rayon de 500 mètres où tous les arbres vont être coupés, soit 61 hectares -100 terrains de rugby !- appartenant à 24 propriétaires publics et privés », détaille Eric Dumontet, secrétaire général du syndicat des sylviculteurs.
Troncs et branches devront être broyés et acheminés vers des chaufferies au bois pour incinération avant le 31 décembre 2025. Des grumes à maturité pourraient être sauvées pour l’industrie grâce à un traitement à la chaleur à 56°C pendant 30 minutes pour tuer les vers. Cette simple phase devrait coûter plusieurs dizaines de millions d’euros. « Mais aucune indemnisation des propriétaires n’est prévue, nous estimons le préjudice de pertes d’arbres abattus avant leur âge d’exploitation de 50 ans à 500.000 euros », revendique Nicolas Lafon.
Une éradication totale qui paraît illusoire
Une deuxième zone d’un rayon de 20 kilomètres suspend tous travaux sylvicoles dans les parcelles. 130.000 hectares de forêts sont concernés appartenant à 2000 propriétaires. Cette zone tampon implique également une interdiction de vente et de transports de grumes à partir du 1er avril, période où démarre l’activité des coléoptères. Cette interdiction porte sur les six mois d’été et est levée pendant la période froide. La mesure est d’ores et déjà prévue pour quatre ans. Pendant toute cette période, cette partie du massif sera sous haute surveillance.
« Tout le monde partage le même objectif: l’éradication », soutient Nicolas Lafon. Mais les doutes sont nombreux. Tout d’abord, jusqu’au 3 novembre 2025, le foyer le plus proche des Landes se trouvait dans la région espagnole de Galice. Le Nématode a donc parcouru apparemment d’un coup plusieurs dizaines de kilomètres. Les sylviculteurs locaux font ainsi le constat que cette distance franchie par la maladie équivaut à peu près à celle séparant Seignosse du Médoc, le nord du massif aquitain. Personne n’est à l’abri. D’autant que les coupes rases n’ont jamais arrêté Bursaphelenchus xylophilus. « Cette méthode a marché à court terme dans le cas de petits foyers isolés avec des boisements de pins épars, mais à long terme sur de grandes forêts, cela n’a été efficace ni au Japon, ni en Corée, ni en Chine, ni au Portugal, ni en Espagne », avoue Hervé Jactel.
Les monocultures condamnées
Il semble donc bien qu’il va falloir vivre avec le nématode. Les chercheurs de l’Inrae ont développé des modèles de diffusion du ver et de son vecteur. « Cela nous permet de prédire l’aire de répartition potentielle actuelle à partir du foyer initial et ensuite de prédire la vitesse et la distance de diffusion année après année », poursuit Hervé Jactel. Pour mieux suivre encore la dissémination, des projets s’intéressent à l’histoire évolutive de l’espèce et tentent de mieux comprendre le fonctionnement démographique du nématode lors de sa phase d’invasion, ce qui devrait permettre à terme d’améliorer les moyens de surveillance et de lutte.
Les forestiers craignent évidement pour leurs revenus mais estiment également qu’il y aura des dégâts sur l’activité touristique. « Qui va vouloir visiter une région désertique au sol sableux sur lequel rien ne pousse à part les pins? », se demande Nicolas Lafon. Ce scénario du pire n’est évidemment pas certain. Mais l’éviter sera douloureux pour l’exploitation forestière actuelle. D’abord, la création par hybridation d’un pin résistant à la maladie n’est pas pour demain. Des tests sur des arbres issus de croisement de pins maritimes landais, corses, espagnols, marocains sont en cours sur la plateforme Emergreen à Bordeaux, des laboratoires strictement confinés car ils manipulent des nématodes pour leurs essais de résistance des végétaux à leur agression.
Il existe une autre solution à moyen terme: la diversification. Sur le site de Pierroton (Gironde) géré par Hervé Jactel, l’Inrae étudie la vigueur et la résistance aux maladies de parcelles plantées de plusieurs espèces de pins, mais aussi de feuillus. « Pour réduire le risque des parasites, il faut augmenter la diversité des espèces forestières et augmenter l’hétérogénéité des paysages, ainsi insectes et nématodes ne bénéficieront pas de milliers d’hectares plantés avec une seule essence favorable à leur développement », plaide Hervé Jactel. La forêt infectée de Seignosse par exemple est composée à 80% de pins maritimes. Dans les prochaines années, la forêt aquitaine pourrait donc être complètement différente, plus riche en biodiversité, mais surement plus difficile à exploiter…





