Comment la dette obère la souveraineté économique de l’Afrique

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Comment la dette obère la souveraineté économique de l’Afrique
Comment la dette obère la souveraineté économique de l’Afrique

Africa-Press – Congo Brazzaville. Au moment où l’Afrique travaille à s’octroyer une meilleure place sur la scène internationale, son endettement pourrait sérieusement hypothéquer ses ambitions.

La hausse des taux d’intérêt sur les marchés obligataires depuis deux ans pose les questions de la soutenabilité des dettes publiques et de la perte de souveraineté qui y est associée. Les inquiétudes liées à la montée de la dette des pays émergents ne sont pas nouvelles : le ratio de dette publique sur PIB des économies émergentes et en développement a presque doublé depuis 10 ans (+ 30 points de pourcentage à 67 %). Conséquence directe, les États doivent consacrer une part de plus en plus importante de leur budget au remboursement de ces dettes. En 2023, les dépenses des pays africains pour le service de la dette extérieure (intérêts et capital) auront atteint 17 % des recettes publiques, soit le niveau le plus élevé depuis 1999. Et pour certains pays, la situation ne va pas s’arranger l’année prochaine en raison de l’échéance de nombreuses obligations à refinancer sur les marchés internationaux.

Des conditions moins favorables pour les refinancements

Or les conditions de refinancement de cette dette se sont beaucoup détériorées ces dernières années : des pays qui empruntaient à 5 ou 6 % il y a encore deux ans doivent désormais accepter des taux à deux chiffres. Ce surplus qui renchérit le coût du réendettement signifie que les gouvernements vont devoir y dédier une part encore plus importante de leur budget l’année prochaine.

Les raisons de cette détérioration des finances publiques sont multiples : la première est évidemment le besoin de financer le développement, à travers des investissements dans les infrastructures ou encore la santé et l’éducation. Ces dernières années, les dépenses de sécurité ont aussi dû augmenter dans un contexte de montée du risque sécuritaire dans plusieurs régions du monde.

Les taux bas et la liquidité mondiale abondante jusqu’en 2020, la volonté de compenser pour les pays exportateurs de matières premières la brusque baisse des cours mondiaux en 2015-2016, la gestion des conséquences économiques et sanitaires de la pandémie de Covid-19 en 2020-2021, puis celles de la guerre en Ukraine sur les cours des matières premières agricoles et énergétiques en 2022-2023 sont les autres principales explications de cet endettement croissant. Sans oublier les crises locales ou encore la gestion sous-optimale des finances publiques dans certains pays.

Des signes inquiétants pour l’Éducation

Face à ces divers chocs principalement externes, les gouvernements et les citoyens peuvent avoir l’impression d’une perte de contrôle et de maîtrise, de ne pas être responsables de cette détérioration des finances publiques dont ils subissent pourtant les conséquences à travers les coupes dans les dépenses et les investissements publics.

Prenons l’exemple de l’éducation. Certes, déjà avant la pandémie de Covid-19, peu de pays africains atteignaient les cibles en matière de dépenses : qu’il s’agisse de la taille dans l’économie (4 % du PIB), dans celle du budget (15 % des dépenses totales) ou au regard des dépenses par habitant (234 dollars américains en valeur constante de 2017), seule une douzaine des 52 pays pour lesquels des données sont disponibles avaient atteint au moins l’un des objectifs de dépenses de la Déclaration d’Incheon au cours de la période 2017-2019 d’après l’Unicef. Mais les dépenses d’éducation par habitant ont chuté en 2020 (- 8 % en moyenne sur le continent) au moment de la pandémie, sans rebondir ensuite (+ 1 % seulement entre 2020 et 2022).

Des leçons d’histoire à retenir

La question de la perte de souveraineté relative à l’endettement est très antérieure à 2020. Par nature, la dette induit toujours une dépendance vis-à-vis de son créancier et donc un renoncement à une partie de sa souveraineté. Par exemple en 1850, une dette non remboursée constitua l’un des motifs du blocus du port du Pirée en Grèce par la marine anglaise, puis de son occupation entre 1854 et 1857 (accompagnée par la France). Quelques années plus tard, l’Empire ottoman a aussi perdu une partie de sa souveraineté : en incapacité de refinancer sa dette à un taux satisfaisant en 1876, il fut contraint de nommer un Anglais ministre des Finances et un Français ministre des Travaux publics.

Dans beaucoup d’autres cas, la perte de souveraineté est moins tangible, mais réelle. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, le président américain Ulysse Grant (surtout connu pour avoir commandé l’armée unioniste durant la guerre de Sécession) alertait le Japon sur le risque de s’endetter en devise étrangère, signe selon lui d’asservissement. L’importance de la capacité d’un pays à émettre de la dette dans sa propre monnaie a ensuite été de nombreuses autres fois mise en exergue, au point de parler de « péché originel » pour caractériser cette difficulté initiale des économies émergentes. Elles doivent donc supporter le risque de change lorsqu’elles s’endettent, un facteur aggravant en cas de période de forte volatilité et de dépréciation de leur devise.

C’est d’ailleurs la crise asiatique de 1997 qui a mis en évidence ce « péché originel ». À la suite de celle-ci, les pays de l’ASEAN, le Japon, la Chine et la Corée du Sud, décidaient de lancer l’initiative de Chiang Mai en 2000. L’objectif était simple : s’engager à se fournir mutuellement de la liquidité en cas de difficulté en cas de manque dans l’un ou plusieurs pays et, surtout, accélérer le développement de marchés obligataires en devise locale. Vingt-trois ans plus tard, l’objectif est atteint : beaucoup de ces pays disposent de marchés obligataires locaux profonds et liquides, grâce à la participation d’investisseurs diversifiés à la fois privés et publics, locaux et étrangers (banques centrales, banques commerciales, fonds de pension, gestionnaires d’actifs et autres fonds d’investissement).

C’est aujourd’hui le chemin à suivre pour l’Afrique.

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