Quentin Velluet
Africa-Press – Congo Brazzaville. Depuis quatre ans qu’il investit dans la tech africaine, le Sénégalo-Mauritanien formé dans la Silicon Valley s’est rarement trompé dans ses choix. Le deuxième fonds de sa société devrait atteindre 50 millions de dollars.
Les vertes pelouses du campus de Stanford en Californie sont connues pour avoir été le théâtre de nombreuses rencontres fructueuses en matière entrepreneuriale. Pour les rares africains de l’université, il est encore plus facile de faire connaissance et de nouer des relations tant amicales que professionnelles. C’est en tout cas l’expérience de Mikael Hajjar.
Né à Dakar et issu de la quatrième génération de Libanais d’Afrique de l’Ouest, c’est en traversant l’Atlantique que l’investisseur de 36 ans a rencontré Noureddine Tayebi, le fondateur de Yassir, start-up la plus valorisée d’Afrique du Nord depuis qu’elle a levé 150 millions de dollars début 2022.
Avec P1 Ventures, qu’il a fondé en 2019 après avoir investi et accompagné à titre personnel quelques jeunes pousses sud-africaines lorsqu’il y travaillait pour Areva (aujourd’hui Orano), Mikael Hajjar fait partie des premiers investisseurs de la plateforme algérienne multiservices. Il rejoint ainsi une série de prestigieux soutiens financiers, dont la très influente Mary Meeker, fondatrice de BOND et ancienne associée chez Kleiner Perkins, l’investisseur qui a permis l’essor de quelques pépites outre-Atlantique, comme Amazon, Google, l’éditeur de jeux-vidéos Electronic Arts ou encore Twitter.
C’est d’ailleurs grâce au Sénégalais que l’Algérien accueille Mary Meeker à son tour de table. Car, après quatre ans de discrets – mais fructueux – investissements en amorçage en Afrique, Hajjar, qui compte désormais faire parler de son entreprise et monter en gamme afin de créer une véritable « institution », s’offre les conseils d’Emil Michael, ex-dirigeant d’Uber et proche de Mary Meeker.
La famille Mansour en soutien
Avec le Marocain Bernard Dalle, partenaire depuis vingt-quatre ans du fonds Index Ventures qui a soutenu lui aussi la fine fleur de la tech américaine depuis la fin des années 1990, le vétéran égyptien de la tech mondiale forme un influent duo de conseillers seniors pour P1 Ventures.
Depuis un an, le capital-risqueur accueille un nouvel associé, Hisham Halbouny. Celui-ci dirigeait auparavant Man Capital, le fonds de capital-risque de la famille Mansour, propriétaire du conglomérat égyptien éponyme, qui pèse 6 milliards de dollars. Ces derniers participent d’ailleurs au nouveau fonds de P1 Ventures, pour lequel sont attendus 50 millions de dollars.
Une première tranche de 25 millions de dollars a d’ores et déjà été sécurisée auprès de structures privées comme des fonds de fonds, des personnalités comme Bernard Dalle et Emil Michael, les dirigeants de l’investisseur a16z (Andreessen Horowitz), du fonds de fonds Foundry Group, ou de la plateforme de paiement néerlandaise, Adyen. De « grands groupes industriels africains » comme le conglomérat malgache Axian, font partie du tour de table, affirme Mikael Hajjar à Jeune Afrique.
Pour la seconde moitié de son nouveau véhicule, l’entreprise espère convaincre de grands bailleurs institutionnels. Selon nos informations, la Banque européenne d’investissement (BEI) a d’ores et déjà présenté une lettre d’intention qui pourrait bien constituer un précieux sésame pour convaincre d’autres organismes du genre.
Après Yassir, Djamo, Chari, MoneyFellows, Reliance Health, Lami et bien d’autres, P1 Ventures devrait continuer de marquer de son sceau la tech panafricaine. Pour mieux comprendre comment ce discret véhicule est entré au capital de plusieurs success-stories à travers le contient, Mikael Hajjar s’est prêté au jeu des questions pour Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Comment êtes-vous parvenus à repérer autant de champions très tôt dans leur développement ?
Mikael Hajjar : Il y a peu d’Africains qui ont une expérience internationale comme celle que nous avons avec Hisham Halbouny, que ce soit sur le plan opérationnel ou sur notre expérience en tant qu’investisseurs. J’ai accompagné pour ma part des entreprises africaines dans leur construction au milieu des années 2010, et Hisham a investi dans certaines des meilleures entreprises du monde. Le réseau s’est construit avec cela. Ensuite, nous avons la chance d’avoir des conseillers comme Bernard Dalle et Emil Michael, qui bénéficient d’une certaine aura. Les gens veulent travailler avec eux.
Et, au-delà de nos apports en capital, nous avons aussi une capacité à encourager et soutenir autant que possible les entrepreneurs. On se distingue particulièrement dans le recrutement, où nous parvenons à trouver et placer des ressources humaines clés au bon moment au sein nos entreprises.
Comment travaillez-vous sur cette dimension RH ?
Nous avons développé un outil en interne qui permet grâce à de l’intelligence artificielle de croiser des bases de données comme PitchBook ou le réseau social professionnel LinkedIn, afin de cartographier tous les talents africains de la tech. À partir de cela, nous avons conçu un algorithme de correspondances entre les compétences de ces talents et d’autres critères, avec les besoins de nos entreprises. C’est par exemple grâce à cela que nous avons pu présenter Malek Debbas à Noureddine Tayebi. Cet ancien artisan de l’expansion internationale de Lyft, une plateforme nord-américaine cousine de Yassir, qui pilote aujourd’hui la stratégie de la plateforme algérienne.
Qu’est-ce qui vous convainc d’investir dans une start-up plutôt que dans une autre ?
Le revenu qu’elles génèrent et les cycles d’adoption de leurs produits. Plus généralement, nous essayons d’injecter des tickets lorsque nous sommes certains de parvenir à un important point d’inflexion dans le parcours d’une entreprise. Je prends l’exemple de MoneyFellows, dans laquelle nous avons investi lors d’une deuxième levée de fonds de 31 millions dollars. Nous ne sommes pas arrivés au début de leur histoire, mais nous savions que l’entreprise présentait, à ce moment précis, des garanties concrètes comme un chiffre d’affaires de 3 millions de dollars qui sécurise une belle croissance. En comparaison, nous avions auparavant regardé d’autres entreprise en Égypte qui n’avaient ni produit ni revenu, mais qui étaient déjà valorisées la moitié de ce que vaut MoneyFellows aujourd’hui…
LE TERROIR D’AFRIQUE FRANCOPHONE SUR LE PLAN TECHNIQUE RESTE TRÈS PROFOND ET DE HAUTE QUALITÉ
Après un trimestre particulièrement morne, les investissements reprennent progressivement dans la tech africaine, mais l’espace francophone semble constituer l’angle mort de cette reprise…
Je ne crois pas. Si on prend un peu de recul, les « Big Four » [le Nigeria, le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Égypte, qui concentrent traditionnellement l’essentiel des financements dans le numérique, Ndlr] sont dans une situation macroéconomique difficile avec des effets d’hyperinflation, des taux de change qui s’écroulent et de l’instabilité politique pour certains. Nous croyons sincèrement que des pays comme le Maroc, où la tech a été hissée au rang de priorité par le roi, va nécessairement déboucher sur des géants nationaux. Après InstaDeep en Tunisie et Yassir en Algérie, le Maroc va forcément suivre. Chari a d’ailleurs le vent en poupe mais il y en aura d’autres.
Le Sénégal, quant à lui, a construit un bel écosystème à la suite du succès de Wave. Certains anciens ont d’ailleurs commencé à créer leur propre entreprise. La Côte d’Ivoire est peut-être le pays qui a pris le plus de retard, mais son PIB par habitant est l’un des plus forts de la région, et il y a des entreprises comme Djamo qui rencontrent un grand succès.
Dans les deux ou trois prochaines années, nous planifions d’ailleurs de passer plus de temps dans les pays francophone et émergents d’Afrique (RDC, Soudan, Éthiopie) que dans les Big Four.
La capacité des porteurs de projets francophones de répliquer les modèles et de croître géographiquement demeure limité puisque leur maîtrise de l’anglais n’est toujours pas garantie, et que la zone Uemoa, présentée par certains comme un marché unique, subit les secousses politiques et sécuritaires engendrées par les coups d’État au Sahel…
Je suis entièrement d’accord. Mais cela ne nous inquiète pas outre mesure étant donné que nous parlons d’une classe d’actifs dont la croissance est nettement supérieure à celle des PIB locaux. Ce sont des modèles d’affaires qui restent très facilement réplicables à l’export.
NOUS CROYONS RÉELLEMENT À LA BLOCKCHAIN ET AUX CRYPTOMONNAIES
Le bon exemple est InstaDeep, qui a une importante empreinte tunisienne mais des rentrées d’argent en monnaies fortes issues d’Europe ou des États-Unis. Il faut surtout veiller à avoir de bons talents. Et il ne faut pas se mentir, les talents en Afrique francophone sont tout aussi bons qu’au Nigeria ou ailleurs. Certes les entrepreneurs francophones pèchent parfois par timidité dans leurs ambitions commerciales en comparaison des Nigérians par exemple, qui savent très bien se vendre, parlent anglais, et sont plus agressifs sur les levées de fonds. Mais le « terroir » d’Afrique francophone sur le plan technique reste très profond et de haute qualité. On veut y croire et le cultiver.
P1 Ventures a récemment participé au tour de table de Kotani Pay, qui est spécialisée dans les cryptomonnaies et développe sa propre monnaie numérique stable via la blockchain au Kenya. Dans quelle mesure ce type d’entreprise est encore crédible après une année 2022 qui a été témoin de l’effondrement de plusieurs success-stories du secteur ?
Nous croyons réellement à la blockchain et aux cryptomonnaies. Et c’est d’ailleurs peut-être le meilleur moment pour investir dans ce type d’entreprise puisque les valorisations sont raisonnables. Un cas d’utilisation indéniablement utile est celui qui permet l’échange de monnaie dans un contexte de grande fluctuation des taux de change à travers le continent. Kotani Pay continue donc d’avancer. Nous les avons aidés à recruter leur directeur technique. Leur activité a été multiplié par 20 depuis 2022.
Source: JeuneAfrique
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