Africa-Press – Congo Brazzaville. Il existe dans la situation de handicap de façon générale, et dans la drépanocytose en particulier, une notion de dépendance, ou du moins, une incapacité à une totale autonomie, du fait de la constance ou de la régularité des crises et problèmes de santé qui prêtent le terreau à une infantilisation dégradante et dangereuse pour les malades eux-mêmes et pour la relation avec leurs accompagnateurs.
Misère de l’âme, misère humaine que sont la situation de maladie, de handicap, de vulnérabilité. Elles réduisent l’Homme dans ses capacités et l’obligent à attendre de l’aide d’une main extérieure, pour les grandes choses comme pour les petites, d’en avoir nécessairement besoin, de volontiers la désirer voire d’en dépendre factuellement.
La fréquence et la régularité des crises douloureuses dans la drépanocytose, dans la période de l’enfance, des infections qui conduisent régulièrement à des périodes d’hospitalisation plus ou moins longues, et la nécessité d’observer une hygiène de vie plus ou moins stricte font que le drépanocytaire donne souvent l’impression d’être un souffle sur lequel il faut veiller en permanence et de façon très regardante pour ne pas qu’il ne s’éteigne pour une simple négligence.
Son corps affaibli et régulièrement secoué par des tempêtes sanitaires, des déferlantes de douleur, il perd naturellement le lien avec les choses triviales, accessoires, pour se concentrer sur le maintien de son souffle, sa survie, se battant pour demeurer sur la rive de la vie.
Entre temps, la vie est faite de prises de décisions. Elle n’est qu’un enchaînement de prises de décisions, de celles apparemment plus anodines à celles les plus conséquentes. Et quand la personne n’est pas en mesure de les prendre, parce que son esprit est préoccupé par une lutte interne et aussi externe dans sa relation au monde, à l’environnement qui l’entoure, d’autres prennent ces décisions à sa place dans le but premier de lui faciliter la vie.
Sauf qu’au fil des années, cette posture dans laquelle la personne a toujours besoin d’aide devient problématique. Elle installe une perception et une dynamique faussées: celle du besoin constant des autres ou d’une personne spécifique qui est généralement le tuteur.
Cette dynamique peut facilement donner lieu et souvent à des abus de l’accompagnateur, de l’aide qui se sent de facto indispensable, un espèce de super-héros inconscient sans lequel la personne vulnérable ne pourrait survivre. L’abus peut se constater aussi du côté du malade qui pourrait profiter de ce bénéfice secondaire d’être veillé, aidé, soutenu pour devenir partisan du moindre effort et demeurer dans une position de confort, se prévalant juste de vivre, de respirer, même quand, il faut le souligner, cet exercice-là peut s’avérer difficile dans des moments critiques.
Le piège de cette dynamique est de se retrouver pour l’un comme pour l’autre, l’aide et le malade, dans une relation dysfonctionnelle où les limites personnelles deviennent floues, l’intimité quasi inexistante, les capacités du malade amoindries ou sous-estimées parce que toutes investies dans la seule lutte contre la maladie et pas dans le mouvement de la vie en lui-même.
On observe ainsi dans les familles où un ou deux enfants sont drépanocytaires, que ces derniers sont infantilisés aux limites du respect de l’individu, de la personne humaine et de son rôle au sein du groupe familial. De façon générale, l’enfant drépanocytaire, adolescent ou jeune adulte, ne participe à aucune prise de décision. Il subit les prises de décisions de sa famille sans avoir un mot à dire et sans y être sollicité. Il semble faire partie du décor.
Il subit aussi une surprotection telle que des cas de possissivité ont été souvent rapportés dans les témoignages que nous avons reçus de la part des personnes malades, où des jeunes-femmes ont eu à rapporter et à se plaindre de l’attitude de leurs frères qui sabotaient leurs relations amoureuses, repoussaient d’éventuels prétendants allant jusqu’à les chasser du domicile familial lors de simples visites de courtoisie, parce que leur sœur serait » intouchable « . Il serait peut-être nécessaire de rappeler que la drépanocytose n’est pas une maladie invalidante au point d’empêcher la vie conjugale et la procréation.
Certains se sont vus empêcher de saisir l’opportunité de voyages scolaires, académiques, loin de leur maison, de leur tuteur bienveillant qui se serait tout simplement senti soustrait de la possibilité d’être valorisé dans son rôle de super-héros inconscient privant ainsi la personne malade d’une occasion de croissance et d’épanouissement personnel.
Si l’aide est nécessaire, elle ne devrait cependant pas rendre prisonnier et empêcher le mouvement intrinsèque de la vie. Les postures d’aide indispensable et irremplaçable sont des postures toxiques à terme lorsqu’il n’y a pas de leviers, de mouvements réguliers d’ajustement, de volonté réelle de l’un comme de l’autre de rééquilibrage et d’autonomisation. Ces postures se révèlent alors contre-productives et handicapantes bien au-delà de la sphère physique, sanitaire, biologique. Elles donnent lieu à des excès où parfois par un mouvement de révolte intérieure et extériorisée, la personne malade devient consciemment ou inconsciemment le petit chef, le petit bourreau, la grande gueule ou l’expert saboteur de la famille mais aussi de toutes les relations qui le replongent dans cette dynamique parce que ne supportant plus d’être traité comme si son avis et même sa présence étaient insignifiants. Une forteresse émotionnelle se crée qui devient difficile à faire tomber.
Il faut ainsi, dans la mesure du possible, privilégier au maximum les aides professionnelles ou semi-professionnelles telle qu’une aide au ménage, une infirmière, la participation à un programme association, l’implication à la vie communautaire et autonomiser au maximum les enfants drépanocytaires d’aujourd’hui qui vont devenir des adultes demain et entrer de gré ou de force dans la vie active.
Ils seront ainsi appelés à contribuer eux aussi au faire-ensemble de la vie collective, avec ses nécessités de savoir-être et de savoir-vivre, d’aisance relationnelle et d’ouverture d’esprit, survivre n’étant pas en soi une mission de vie.
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