“Il faut tout un village pour élever un enfant” : la leçon des chasseurs-cueilleurs

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"Il faut tout un village pour élever un enfant" : la leçon des chasseurs-cueilleurs

Africa-Press – Congo Brazzaville. “It takes a village to raise a child”, selon un proverbe africain. Comprenez : “il faut tout un village pour élever un enfant.” L’expression sous-entend que s’occuper d’un enfant, de la naissance jusqu’à ce qu’il soit indépendant, ne relève pas seulement de la responsabilité de ses parents. Les grands-parents, oncles, tantes, voisins, assistants maternels ou professionnels de crèche, maîtres et maîtresses, endossent également une partie de ce rôle. Si de nos jours, dans les sociétés occidentales, les soins et l’éducation d’un bébé reviennent quasi exclusivement aux parents, cela n’a pas toujours été ainsi, selon une récente étude publiée dans la revue Developmental psychology.

Neuf heures par jour de contact avec 15 personnes différentes

“Durant la vaste majorité de l’histoire de notre espèce, les mères ont probablement eu bien plus de soutien que ce dont elles bénéficient aujourd’hui dans les pays occidentaux”, explique le Dr Nikhil Chaudhary, anthropologue évolutionniste à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et co-auteur de l’étude. Ses recherches montrent que chez les chasseurs-cueilleurs, les nourrissons reçoivent des soins, de l’attention et un contact physique pendant neuf heures par jour de la part de 15 personnes différentes.

Les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont nées en même temps que les humains modernes. “Il s’agit simplement des sociétés qui dépendent de la chasse et de la cueillette d’aliments sauvages, elles ne pratiquent ni la domestication ni la culture, c’est-à-dire qu’elles ne cultivent pas. Nous avons vécu de cette manière pendant la majeure partie de notre histoire en tant qu’espèce ; ce n’est qu’il y a environ 10.000 ans que nous avons commencé à pratiquer l’agriculture. Auparavant, toutes les sociétés humaines du monde étaient des chasseurs-cueilleurs. Aujourd’hui, seule une très petite proportion d’entre eux adoptent encore ce mode de vie, et celui-ci est en train de disparaître rapidement”, explique le Dr Chaudhary à Sciences et Avenir.

Une réponse apaisante et très rapide aux pleurs

Pour tenter d’observer comment se passent les soins des nourrissons chez les chasseurs-cueilleurs, il s’est rendu dans la forêt tropicale au nord de la République du Congo, où vit la communauté des Aka-Mbendjele. Ces derniers ne stockent pas de nourriture et sont très mobiles. Ils se nourrissent grâce à la chasse, et la récolte de miel – les activités des hommes – et grâce à la pêche et la cueillette – les activités des femmes. Si certains Mbendjele sont devenus sédentarisés, ceux observés pour les besoins de l’étude ne l’étaient pas. Ils vivent dans des camps allant de 20 à 80 individus et qui abritent plusieurs familles. En moyenne, les femmes ont six enfants mais la mortalité infantile reste élevée.

“Le niveau de contact physique que les nourrissons et les tout-petits avaient avec les soignants était exceptionnellement élevé – parfois plus de neuf heures par jour. De plus, les cris des bébés Mbendjele reçoivent presque toujours une réponse très rapide, axée sur la satisfaction des besoins du bébé. Parmi les centaines de crises de pleurs que j’ai observées chez des enfants de moins de quatre ans, il n’y a pas eu un seul cas de réaction de réprimande aux pleurs. Les réponses étaient généralement apaisantes ou nourrissantes”, raconte le Dr Chaudhary. “Ce qui m’a frappé, c’était surtout le nombre de personnes impliquées dans la garde des bébés. Ils peuvent avoir jusqu’à 16 soignants sur une période de 12 heures, ce qui est incomparable à ce que nous voyons habituellement en Occident.”

Limiter la dépression post-partum

Les auteurs soulignent que dans les sociétés occidentales, il est courant que la garde d’enfants soit utilisée simplement pour permettre aux parents de travailler, mais insistent sur le fait que la garde d’enfants doit permettre aux parents d’avoir une véritable pause : depuis la préhistoire, les parents n’ont jamais été soumis à la pression qu’ils subissent aujourd’hui en termes de manque de soutien.

“C’est tellement courant de voir des parents épuisés dans notre société. Les anthropologues s’entendent sur le fait que le soutien étendu à l’éducation des enfants, comme celui que j’ai observé chez les Mbendjele, a été la clé de notre succès en tant qu’espèce. Il n’est donc pas surprenant que le manque de soutien social soit l’un des principaux facteurs de risque de dépression post-partum dans les pays occidentaux. Cela profite également à l’enfant puisque d’autres recherches montrent que les parents qui bénéficient d’un plus grand soutien dans la prestation de soins sont en mesure de prodiguer eux-mêmes des soins plus efficaces puisqu’ils sont moins épuisés”, détaille Nikhil Chaudhary. D’un point de vue évolutionniste, le soutien aux soins des enfants a aussi permis aux mères d’avoir plus de grossesses. Pas besoin d’attendre qu’un premier enfant soit autonome pour pouvoir en concevoir un deuxième, comme c’est le cas chez les autres grands singes.

Si cette habitude est si positive, alors pourquoi l’avoir perdue dans nos sociétés modernes ? En partie, parce que nous ne chassons et ne cueillons plus pour survivre. “La chasse est très imprévisible et vivre en groupe constitue donc une sorte de système d’assurance. Si un jour, je pars à la chasse et je reviens bredouille, mais que vous, vous réussissez à chasser, vous partagerez de la viande avec moi. Puis, un autre jour, nos rôles pourraient être inversés. Pour une famille, vivre de façon isolée n’est tout simplement pas une option viable car l’accès à la nourriture serait trop instable”, pense le Dr Chaudhary.

Dans le monde industrialisé, cette interdépendance a disparu, ce qui a conduit au système familial nucléaire. “Malheureusement, cela va souvent de pair avec une réduction du soutien social et une augmentation de l’isolement social, ce qui peut à son tour augmenter le risque de problèmes de santé mentale.” En France, la dépression post-partum concerne entre 15 et 20% des femmes deux mois après leur accouchement, selon les résultats de l’enquête nationale périnatale menée en 2021. Et 10 % des pères traversent un épisode de dépression post-partum dans la première année de leur enfant, selon la Caisse nationale d’allocations familiales (CAF).

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