L’Oubli, Indispensable Complice du Souvenir

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L'Oubli, Indispensable Complice du Souvenir
L'Oubli, Indispensable Complice du Souvenir

Africa-Press – Congo Brazzaville. « Essayez de retracer tout ce dont vous vous souvenez depuis votre réveil ce matin. Combien de personnes avez-vous croisées? De quelle couleur étaient les voitures sur le trajet jusqu’au bureau? » Cet exercice proposé par Géraldine Rauchs, docteure en neurosciences cognitives à l’université de Caen, montre à quel point l’oubli fait partie du quotidien.

Chaque seconde, le cerveau reçoit des milliers de stimuli. Des couleurs, des formes, des sons, toute une panoplie de détails dont il efface une partie quasi instantanément. Ce tri est un processus indispensable à la mémoire. « On a surtout étudié l’oubli sous sa forme pathologique, rappelle la chercheuse, mais c’est avant tout un processus physiologique normal, en équilibre avec les souvenirs, qui nous donne la souplesse mentale nécessaire pour continuer à apprendre et réfléchir. »

Pour ne pas surcharger la conscience, le cerveau ne conserve de son environnement que ce qui est utile ou suscite l’intérêt. « L’attention est le moteur de la mémoire, explique Pascale Gisquet-Verrier, directrice de recherche émérite CNRS à l’Institut des neurosciences de Paris-Saclay. Les choses auxquelles on ne prête pas ou peu d’attentionne vont pas être stockées. » C’est pourquoi, en lisant le journal, on ne retient souvent que les informations utiles ou celles que l’on souhaite raconter.

Pas besoin de réfléchir pour faire du vélo

Mais oublier, c’est parfois aussi être incapable de se souvenir d’informations pourtant bien présentes dans la mémoire. Dans ce cas, disparaissent-elles vraiment? « Nous sommes nombreux à considérer que l’oubli, ce n’est pas l’effacement total d’un souvenir, mais plutôt la difficulté à le retrouver, poursuit Pascale Gisquet-Verrier. Probablement existe-t-il un processus qui empêche l’accès direct aux souvenirs stockés, mais il est encore inconnu. »

Les souvenirs ne sont pas entreposés dans une seule et même zone du cerveau, mais disséminés un peu partout dans le cortex. Pour rappeler un événement, l’hippocampe va jouer le rôle de table des matières et remobiliser toutes les zones sollicitées au moment où il s’est produit. « Pour se souvenir d’un visage, par exemple, l’hippocampe va dialoguer davantage avec le cortex visuel », explique Joy Perrier, chercheuse en neuropsychologie à l’université de Caen. Parfois, un simple stimulus, comme une odeur, va servir d’indice de rappel sans même parvenir à la conscience.

Tous les types de mémoires ne sont pas affectés de la même manière par cet oubli physiologique. La mémoire procédurale, qui enregistre les savoir-faire et les gestes automatiques, y est très peu sensible car elle n’engage pas la conscience: une fois l’apprentissage automatisé, pas besoin de réfléchir pour faire du vélo. De même pour la mémoire sémantique, responsable des connaissances générales: « À force de répéter que Rome est la capitale de l’Italie, on finit par s’en souvenir automatiquement », illustre Pascale Gisquet-Verrier.

Finalement, c’est la mémoire épisodique, relative aux événements vécus, qui semble la plus fragile. C’est celle qui est le moins souvent mobilisée, mais aussi la dernière à se construire. Elle repose notamment sur les interactions entre l’hippocampe et le cortex préfrontal, deux régions qui se développent tardivement. Cela expliquerait en partie pourquoi on ne se souvient pas de ses premières années, ce qu’on appelle l’amnésie infantile.

Mais pourquoi l’oubli affecte-t-il la mémoire épisodique? Les scientifiques y voient plusieurs causes. L’interférence est l’une des principales. « Quand on vit des événements très proches les uns des autres, les images qu’on en garde ont tendance à se chevaucher, précise la neuroscientifique. Les souvenirs de Noël se ressemblent tous ! Il est difficile de différencier ceux de 2015 d’avec ceux de 2014, sauf si un détail marquant permet de trancher. Par exemple, le Noël où mamie s’est cassé le bras. »

Plus récemment, les recherches ont mis en évidence le phénomène de reconsolidation. Les chercheurs estiment que la mémoire épisodique n’est pas fiable. « À chaque fois qu’on se rappelle un souvenir, il est partiellement modifié par les circonstances dans lesquelles on l’évoque. » L’ancien « fichier » est alors remplacé par une version plus récente, mais parsemée d’éléments nouveaux qui modifient la version initiale.

Comment recréer en labo les conditions réelles de l’oubli?

Enfin, « il arrive que l’on ait simplement du mal à retrouver le chemin vers l’information stockée. Très souvent, elle revient plus tard, souligne Joy Perrier. On en a tous fait l’expérience ! » Pour autant, ces souvenirs ne sont pas perdus. Simplement, selon la chercheuse, les conditions nécessaires au rappel (souvent inconnues) ne sont pas réunies à l’instant t.

La difficulté à recréer les conditions réelles de l’oubli et du rappel freine la recherche. Géraldine Rauchs, qui a étudié le rôle du sommeil sur la consolidation des souvenirs, souhaiterait ainsi établir un protocole permettant de reproduire les conditions réelles de l’oubli lorsqu’on dort. « Pendant la phase de sommeil lent, le cerveau réactive les souvenirs et consolide les plus utiles. On sait qu’il y a un lien avec l’oubli, mais lequel et à quel moment? » En attendant que la science éclaire ces zones d’ombre, l’oubli ne doit pas inquiéter. Tant qu’il n’affecte pas la vie quotidienne, il fait partie intégrante du fonctionnement cérébral.

Mon menu du 12 décembre 1998…

Au début des années 2000, Jill Price envoie une lettre à l’équipe de James McGaugh, un neuropsychologue californien: elle se plaint de… ne rien pouvoir oublier. Donnez-lui une date au hasard, elle saura raconter ce qu’elle a mangé ce jour-là. Même les grandes lignes de l’actualité du jour lui reviendront instantanément en mémoire. Après une batterie d’examens, Jill Price devient la première patiente à recevoir le diagnostic d' »hypermnésie autobiographique ».

Incapable d’inhiber le rappel de ses souvenirs, elle est condamnée à revivre sans cesse son propre passé. Depuis, plusieurs cas de personnes souffrant de ce trouble ont été recensés. Les chercheurs les expliquent par un probable dysfonctionnement du cortex frontal.

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