Africa-Press – Congo Brazzaville. Alors que vous lisez cet article, votre cerveau contrôle automatiquement vos muscles respiratoires. Sans même y penser, vous inspirez, expirez. Mais saviez-vous que cette mécanique silencieuse suit un schéma unique? Détectée par des capteurs sous le nez, la personnalité respiratoire d’un individu permet de l’identifier avec une précision de quasiment 97%, soit aussi bien, voire un peu mieux, que la reconnaissance vocale, conclut une étude publiée dans la revue Current Biology.
La personnalité respiratoire, un concept ancien enfin démontré
« Le concept de la personnalité respiratoire a été développé il y a une quarantaine d’années, mais c’est la première fois qu’il est démontré avec ce niveau de preuve », commente Thomas Similowski, pneumologue à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et directeur de l’unité de recherche Neurophysiologie respiratoire expérimentale et clinique (Inserm-Sorbonne Université), qui n’a pas participé à ces travaux. S’il s’est passé tant de temps avant que ce concept ne soit démontré, c’est que les moyens techniques ne le permettaient pas.
« Dans le passé, on utilisait des spiromètres dans les laboratoires, qui ne mesuraient souvent que quelques individus sur une période de quelques heures », explique la première autrice de l’article Timna Soroka. Or, de multiples états émotionnels et physiologiques (activité physique, sommeil, etc) perturbent le rythme naturel de notre respiration. Pour en réaliser un enregistrement représentatif et lisser suffisamment la captation pour en tirer un schéma identifiant chaque individu, il fallait étirer la période de collecte des données.
C’est d’ailleurs le développement d’un dispositif portable au quotidien qui a constitué « le plus grand défi » de ces travaux, ajoute Timna Soroka. Pesant 22 grammes en tout, il est constitué d’un tube fixé sous le nez et récoltant le souffle de chaque narine séparément, et dont les extrémités se rejoignent à l’arrière du crâne sur un dispositif en silicone collé à la base de la nuque.
Une précision de presque 97%
« Cet appareil a permis de suivre la respiration de 100 personnes sur 24 heures », relate Timna Soroka. Les participants vivaient leur vie normalement, courant, étudiant ou dormant. « Cela parait contre-intuitif de détecter un schéma respiratoire malgré ces perturbations, mais ces dernières sont limitées dans le temps et nous faisons une moyenne sur de longues périodes », explique Noam Sobel, neurobiologiste qui a dirigé ces travaux.
Avec les seuls schémas respiratoires nasaux, et malgré la tendance du dispositif à glisser pendant le sommeil ou l’absence de captation de la respiration par la bouche, le système permet de reconnaître chaque individu à sa respiration avec une précision de 96,8% ! « Nous nous attendions à ce que ça fonctionne, mais pas à ce que ce soit aussi performant », commente Noam Sobel.
Pour les chercheurs, cette variabilité provient sans doute d’une organisation neuronale un peu différente chez chaque personne au niveau du complexe de pré-Bötzinger. Cette zone du tronc cérébral décrite en 1991 commande les muscles thoraciques et est impliquée dans tout ce qui touche à la respiration, « incluant ses manifestations complexes comme le bâillement ou le soupir », explique Noam Sobel.
La biométrie appliquée à la respiration
« Cette équipe démontre que cette personnalité respiratoire est utilisable pour faire de la biométrie », c’est-à-dire l’analyse des caractéristiques biologiques uniques à une personne, telles que sa voix ou ses empreintes digitales, explique Thomas Similowski. Dans le livre « Les superpouvoirs de la respiration » (Editions Albin Michel, 2024) qu’il a co-écrit, il invite à observer les rythmes respiratoires des plagistes: parfois en deux temps, plus du ventre ou de la poitrine, plus rapides ou plus lents.
« Si vous avez une mauvaise vue, vous savez probablement identifier une connaissance à sa démarche », illustre le pneumologue. « Cette signature motrice est extrêmement difficile à déguiser car elle est multiparamétrique, elle dépend de l’inclinaison du torse sur le bassin ou de la façon de bouger sa tête. » De même que certains systèmes biométriques permettent d’ouvrir des portes en reconnaissant la démarche, des chercheurs indiens ont récemment reproduit l’exploit avec la respiration, qui permettait de déverrouiller un smartphone. Des capteurs de pression permettaient de reconnaître le propriétaire de l’objet avec une précision de 97%.
Si le concept de personnalité respiratoire est passionnant, son usage concret en tant qu’outil biométrique reste flou. « Dans la vie quotidienne je ne vois pas à quoi la biométrie respiratoire peut servir, car il est tout à fait possible de changer consciemment sa respiration, par exemple. Sans compter que reconnaître une respiration demande d’abord d’avoir une base de données de la respiration des gens ! », ajoute Thomas Similowski.
Détecter la maladie par la respiration
Pour les chercheurs de l’étude, ces premiers résultats demandent surtout à être approfondis côté clinique. « La respiration des sujets nous a permis de prédire la dépression, l’anxiété, les traits comportementaux et l’indice de masse corporelle », énumère Noam Sobel. « Nous supposons que chacun de ces éléments est lié à un modèle particulier d’activité cérébrale, et notre mesure fournit une caractérisation globale de cette activité. »
Difficile de savoir à ce stade si le degré de dépression ou d’anxiété modifie la façon dont on respire, ou si à l’inverse la façon de respirer rend anxieux ou déprimé. « Si c’est le cas, nous pourrions être en mesure de modifier la façon dont vous respirez pour changer ces conditions », espère le chercheur, se disant d’un « optimisme prudent ». « J’y crois assez peu, car modifier sa respiration nécessite un contrôle conscient, et le schéma respiratoire revient dès que l’on cesse d’y penser », tempère Thomas Similowski.
Mais les chercheurs espèrent que des signatures respiratoires pathologiques pourraient aider à diagnostiquer certaines maladies. Dans de précédents travaux publiés dans Communications Medicine, l’équipe avait notamment démontré que les malades de Parkinson avaient des inspirations plus longues et moins variables que chez les personnes saines.
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