Tourisme À Maurice: Menace sur la Beauté Naturelle

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Tourisme À Maurice: Menace sur la Beauté Naturelle
Tourisme À Maurice: Menace sur la Beauté Naturelle

Africa-Press – Congo Brazzaville. L’aire marine protégée de Saint Felix ressemble à un prospectus touristique. Le bleu transparent des eaux du lagon, la barre récifale lointaine, l’ombre des filaos sur le bord de plage servent d’écrins à des bungalows en faux matériaux traditionnels d’un hôtel de luxe. L’image est falsifiée. La réalité de cette plage du sud de l’Ile Maurice, c’est un désastre écologique. Les coraux sont morts, les herbiers marins ont été arrachés, les plages s’érodent faute d’être recouvertes de leur liane rampante protectrice, les mangroves ne sont plus là. Tout cet écosystème a disparu pour protéger les baigneurs et leur permettre d’étendre leur serviette de bain.

La réserve de Saint-Félix est une aire marine dite « volontaire ». « Elle n’a pas de statut légal et repose uniquement sur l’engagement des populations locales à préserver cette zone de 42 hectares, reconnaît Thitra Tanthul, biologiste et cheffe de ce projet de conservation. Nous comptons sur la concertation et la prise de conscience que le milieu est en train de se dégrader et qu’il faut désormais le protéger ». Sur la plage publique qui voisine l’hôtel de luxe, les élèves des écoles de la région viennent pique-niquer ; c’est l’occasion d’informer les enfants et leurs professeurs du drame qui se joue sous leurs yeux.

Une vague mondiale de blanchiment des coraux

Durant l’été austral 2024-2025, 83% des coraux de la réserve ont blanchi. La moitié de ces animaux est définitivement morte. « Entre janvier et avril, les eaux du lagon ont dépassé en permanence 32°C, raconte Ashil Kallychurn, responsable scientifique du lieu qu’il étudie depuis près de deux décennies. Les coraux peuvent supporter des pics de chaleur temporaires, pas des durées aussi longues ».

Les coraux vivent en symbiose avec des algues, les zooxanthelles, qui les fournissent en énergie via la photosynthèse et les décorent de leurs couleurs spectaculaires. Quand la température est trop élevée, les coraux stressent et rejettent leurs algues, provoquant leur asphyxie et leur blanchiment. L’épisode de 2025 a été d’une violence inégalée. Selon la National Océanographic and Atmospheric Administration (NOAA, le service météo américain), 84% des coraux du monde entier ont blanchi en janvier dernier. Maurice se situe dans cette sinistre moyenne.

Ce véritable « incendie sous-marin » dépasse en intensité les catastrophes de 1998 et 2018 qui constituaient les premiers avertissements. 93% de la chaleur émise en excès par la combustion des énergies fossiles est absorbée par les océans, entraînant une hausse continue de la température de l’eau et son acidification. La vie biologique est durablement affectée. Le blanchiment des coraux en est le symptôme le plus visible. Il va s’accroissant. « Je mesure la température de l’eau du lagon depuis 2007 et je constate une augmentation régulière mais la moyenne estivale était jusque-là de 29°C », témoigne Aschil Kallychurn. En mai, les eaux du lagon sont redescendues à 28°C et les chercheurs pourront désormais évaluer au cours de l’hiver austral débutant le taux de coraux qui a résisté à l’épreuve.

Un déclin général des barrières coraliennes de Maurice

Il sera difficile d’étendre les constats sur toute la ceinture coralienne de l’île. Seul le Parc Marin de Blue Bay fait l’objet d’un réel suivi scientifique du fait de son inscription à la convention de Ramsar sur la protection des zones humides. Partout ailleurs, le manque de surveillance de sites et d’études de leur évolution est patent. Il faut remonter à 2016 pour trouver une évaluation de 22 sites autour de Maurice. « Nos résultats montrent qu’il y a un déclin général des coraux dans de nombreux sites, à la fois dans le lagon et à l’extérieur du récif, écrit Jennifer Ah King Elliott dans cette étude pour la faculté de sciences de la Northeastern University (Australie). La température de la surface de l’océan et le tourisme sont les deux plus importants impacts affectant les structures coraliennes ».

La chercheuse australienne ne note pas cependant de changement de milieu. Quand les coraux meurent en effet, les zones sont envahies par des algues qui sont des précurseurs d’un écosystème radicalement différent. La biodiversité des poissons coraliens fait alors place à quelques espèces herbivores. Des espèces opportunistes apparaissent qui se nourrissent des derniers coraux comme les Acanthaster, de grosses étoiles de mer que l’on retrouve désormais dans tous les massifs coraliens. « Quand on en compte cinq en 45 minutes de plongée, on considère que nous assistons à une explosion de cette espèce », détaille Aschil Kallychurn.

Des doctorants pour réduire les déficits de connaissance

Dans quel état sont les récifs qui ne sont pas protégés ni étudiés? A quel stade de l’évolution vers un écosystème différent et plus pauvre sommes-nous? Comment mieux appréhender les sources de pollution pour y remédier? « Aujourd’hui, nous n’avons pas de réponse à ces questions », regrette Emmanuelle Mahé, doctorante en biologie marine.

La jeune femme originaire de la Réunion est à Maurice pour explorer le sujet. Sa thèse est financée par Expertise France, la filiale technique de l’Agence française de développement (AFD). « Nous allons financer 12 travaux de thèses qui ne seront rattachés à aucun laboratoire ou université afin d’avoir une démarche la plus transversale possible pour bien mettre en relation les activités économiques et touristiques avec les atteintes à la nature », explique Sanju Deenapanray, ancien professeur à l’Université des Mascareignes et aujourd’hui directeur de l’ONG « Ecological living in action » qui va encadrer ces recherches.

Emmanuelle Mahé devra notamment faire la part des responsabilités entre les phénomènes globaux et les impacts locaux. Le blanchiment des coraux est en effet provoqué à la fois par la hausse des températures de l’eau d’un océan qui absorbe la chaleur en excès dans l’atmosphère, mais aussi par des pollutions très locales. C’est ce qu’aimerait savoir Thitra Tanthul en montrant les bungalows de l’hôtel de luxe voisin. « Nous ne savons rien de la teneur en nitrate et en phosphate des rejets de l’hôtel », dénonce la chercheuse. Or, pour vivre, les coraux ont besoin d’une eau claire et surtout peu nutritive. La turbidité et des nutriments en excès leur sont fatals. Mais au-delà de ces constructions proches du rivage, ce sont tous les apports terrestres lors des pluies et des cyclones qui affectent également les polypes. « Le manque d’assainissement dans les villages voisins, l’agriculture, les activités industrielles, tous ces secteurs sont aussi responsables du blanchiment des coraux », assène Sanju Deenapanray.

Herbiers marins, batatran, mangroves également victimes du tourisme

Le lagon n’est pas le seul habitat des coraux. C’est aussi le lieu de vie des herbiers marins. Ces plantes à fleurs (on connaît, dans les eaux tempérées de Méditerranée, la posidonie) jouent un rôle d’assainissement et d’oxygénation de l’eau qui profitent à l’ensemble de la biodiversité du récif. « Or Maurice a perdu beaucoup de ces herbiers qui ont été arrachés parce les gestionnaires d’hôtels touristiques ont considéré qu’ils abimaient l’image de pureté des lagons », raconte Annabelle Cupidon, doctorante qui va traiter le sujet au sein du projet financé par Expertise France. L’affaire est connue. En 2002, les grands ensembles touristiques occupaient déjà 96 kilomètres des 177 kilomètres de côtes de l’Ile Maurice, soit 54% du littoral. Chercheur à l’Université de Maurice, D Daby dénonçait cette année-là le fait que systématiquement les herbiers marins étaient arrachés en face de ces établissements de luxe. « Les herbiers sont enlevés parce que les hôteliers croient qu’ils abritent des organismes pouvant causer des blessures aux baigneurs », écrit le chercheur. Principale cible, le poisson pierre (Synanceia verrucosa) réputé être le poisson le plus venimeux au monde.

Ce risque ne justifie pas que, selon les constats de D Daby sur les sites étudiés, deux espèces d’herbes marines S. isoetifolium and H. uninervis, ont été éradiquées respectivement à 72 et 65%. Ces arrachages s’appliquent à des végétaux extrêmement rares. Il n’existe que 60 espèces de plantes à fleurs marines contre 250 000 angiospermes terrestres. Les recensements les plus récents estiment que dans le monde, les herbiers marins représentent une surface totale comprise entre 160 000 et 266 000 km2, soit une broutille à l’échelle de l’océan.

Depuis 1980, Maurice replante ses mangroves sans réussir à réparer les dommages du passé

La liste des impacts du tourisme n’est pas close. Aschil Kallychurn contemple avec tristesse la plage de Saint-Felix au sable dénudé. « Si ce lieu était naturel, il serait recouvert d’une liane rampante, le batratan, qui retient le sable avec ses multiples racines fines et limite ainsi l’érosion », regrette le biologiste. Ipomoea pes-caprae fait « sale » sur les photos de plages de sable fin et empêche les baigneurs d’étendre leurs serviettes de bain. Elles sont donc arrachées. Aschil Kallychurn n’oublie jamais de faire faire à ses visiteurs quelques kilomètres de plus vers une plage sauvée de la disparition grâce à la replantation du batratan avec l’aide des habitants des villages voisins.

Batatran sur la plage jouxtant le lagon de Saint Felix. Copyright LC

Les doctorants devront aussi se pencher sur le sort de la mangrove. Ces forêts aux racines plongeant dans la boue des littoraux ont failli disparaître de Maurice. « A l’origine, il devait y en avoir 2000 hectares tout autour de l’île, rappelle Sachooda Ragoonaden, président de l’association développement durable. Ces arbres étaient gênants pour l’accès à la mer si bien qu’on les a coupés. Au début des années 1980, il n’en restait plus que 45 hectares ». Les différents gouvernements se sont alarmés de la situation et ont imposé la protection des dernières mangroves. Mais en cinquante ans, les forêts littorales n’ont reconquis que 200 hectares. « Les mangroves sont des protections naturelles des barrières coraliennes, rappelle Sachooda Ragoonaden. Elles filtrent et retiennent les polluants et les sols lors des fortes pluies ce qui évite que les eaux des lagons ne deviennent turbides et n’affectent les coraux ».

L’extension du tourisme, principal danger pour l’avenir de Maurice

Au Morne, dans le sud de l’île, les mangroves sont ainsi replantées pour protéger l’un des lagons les plus beaux de l’île. Le tourisme représente 25% du PIB de Maurice. Une manne qui permet à cet Etat d’accéder au statut de « pays à revenu intermédiaire ». Mais à quel prix ! Les aménagements hôteliers figurent actuellement parmi les premières causes de destruction du milieu qui attire les touristes venant du monde entier. De par son isolement dans l’Océan Indien, les plages paradisiaques ne sont accessibles que par avion, ce qui aggrave les émissions de gaz à effet de serre. Les pollutions diffuses des lagons, les destructions de mangroves, les arrachages d’herbiers marins et de batatran, rendent fragiles un paysage qui sert de vitrine pour toute une industrie. Une des cibles de l’objectif du développement durable 14 traitant de la protection de la biodiversité marine incite ainsi à corriger ce mauvais cap: « d’ici à 2030, faire mieux bénéficier les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés des retombées économiques de l’exploitation durable des ressources marines, notamment grâce à une gestion durable des pêches, de l’aquaculture et du tourisme ».

Au début de ce siècle, D Daby prévenait: « L’extension du tourisme peut être pointé comme abîmant agressivement ce capital naturel primordial dont dépend son développement futur et sa survie. Il est maintenant clair que cette industrie pourrait devenir la victime de son propre succès à moins que l’actuelle dégradation de l’environnement marin soit stoppée rapidement ». 25 ans plus tard, l’avertissement n’a pas été entendu. Et le travail des 12 jeunes doctorants va être d’évaluer l’accumulation des dégâts et de trouver des solutions. « Car chacun des chercheurs devra, dans sa thèse, développer les actions même douloureuses pour l’économie permettant de restaurer la nature », exige Sanju Deenapanray.

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