Africa-Press – Congo Kinshasa. Le président de la République Démocratique du Congo (RDC) a affirmé qu’ « une riposte vigoureuse et coordonnée contre les terroristes et leurs soutiens est en cours ». Cette déclaration a résonné dans les esprits de nombreux observateurs comme le début d’un conflit ouvert entre la RDC et le Rwanda, bien qu’aucune déclaration officielle de guerre n’ait été faite. Pour beaucoup de Congolais, la situation, souvent exprimée sur les réseaux sociaux, semble n’offrir d’autre issue que la guerre directe pour rétablir l’ordre et mettre fin à un conflit qui dure depuis trop longtemps. Alors, d’un point de vue économique, quel des deux pays pourrait tirer son épingle du jeu ?
Dans la chronique précédente, il a été fait un constat selon lequel la RDC bénéficiait d’un potentiel économique et militaire supérieur à celui du Rwanda, avec moins de dépendance à l’aide publique au développement (APD). Il existe encore d’autres chiffres clés à observer pour améliorer la perspective sur un conflit militaire entre les deux pays. Passons-les encore en revue.
Tout d’abord, le financement de l’économie constitue un enjeu non négligeable. En effet, l’économie rwandaise affiche un stock de la dette extérieure par rapport au revenu national brut (RNB) près de cinq fois plus élevé que celui de la RDC. A en croire la dernière revue du FMI de décembre 2024, la viabilité de la dette au Rwanda présente un risque modéré de surendettement extérieur. Actuellement, la capacité d’endettement est classée comme « forte », mais avec une faible marge pour absorber d’éventuels chocs. Cependant, ce scénario ne prend en compte aucune hypothèse de guerre. De plus, la stratégie de financement du Rwanda repose sur un soutien continu de ses partenaires de développement à moyen terme, ainsi que sur des prêts hautement concessionnels pour les nouveaux emprunts extérieurs dans le cadre de l’IDA-20, et une part croissante du financement intérieur à long terme. Toutefois, en cas des sanctions internationales, cette stratégie serait compromise. Par ailleurs, le pays émet des eurobonds en parallèle d’un financement intérieur, mais l’incertitude liée à un conflit entraînerait une hausse des spreads. En somme, l’économie rwandaise risquerait de se retrouver en grande difficulté si la guerre une fois déclenchée persiste. En revanche, l’économie congolaise semble moins vulnérable de ce point de vue, car son stock de dette extérieure représente seulement 15,6% du RNB, offrant ainsi davantage de marge d’endettement.
Ensuite, au-delà des enjeux de financement économique, les relations commerciales entre les deux pays risquent de subir de lourdes conséquences. En effet, la balance commerciale de la RDC avec le Rwanda présente un déficit important, comme le montre le graphique ci-dessous. En plus, le poids économique du de la RDC reste minime en comparaison avec celui de la Rwanda. À titre d’exemple, les importations du Rwanda en provenance de la RDC ne représentent que 0,86 % de l’ensemble de ses importations, tandis que les exportations du Rwanda vers la RDC équivalent à 25,4 % du total des exportations congolaises. Cette situation déséquilibrée impactera particulièrement les provinces frontalières de la RDC, qui risquent de souffrir davantage de cette dépendance commerciale.
Source: À partir de données de 2022 provenant de l’Observatoire de la complexité économique (OEC) et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)
Troisièmement, bien que la RDC bénéficie d’un avantage en termes d’allocation des ressources dans le secteur de la sécurité, il existe un autre élément clé à souligner. Le Rwanda affiche la deuxième meilleure performance en Afrique, après le Botswana, en matière de gestion de la corruption dans le secteur de la sécurité (police et armée), tandis que la RDC occupe la dernière place du continent, avec un score de seulement 1 sur 100. Comme le montre le graphique ci-après, la gouvernance du Rwanda dans ce secteur apparaît bien meilleure que celle de la RDC, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption au cours des dernières décennies. Il n’est donc pas surprenant que la question de la traîtrise et de la corruption soit aujourd’hui au cœur du débat public, car elle constitue un véritable talon d’Achille pour la RDC, notamment en cas de conflit militaire. Les propos du président congolais aux membres de l’USN illustrent parfaitement cette réalité lors qu’il affirme que « nos forces sont trahies de l’intérieur. Tous ceux qui sont chargés de les encadrer ont pris de l’argent, soit ils n’ont pas fait parvenir ce qui devait arriver à nos forces…»
Il est évident que tous les enjeux économiques n’ont pas été couverts, notamment des aspects tels que la question de l’aviation rwandaise, parmi d’autres. Toutefois, les éléments présentés permettent déjà de saisir les enjeux d’un conflit militaire ouvert. Néanmoins, il est important de noter que les effets secondaires d’un tel conflit ne sont pas toujours clairement anticipés dans tous les cas. Dans l’hypothèse d’une guerre ouverte, des objectifs stratégiques entreront en jeu, et la durée du conflit deviendra un facteur déterminant, avec des conséquences potentiellement profondes et durables sur les deux économies et leurs populations.
Guelor Tshishimbi, économiste
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