Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Congo Kinshasa. Après des années de silence, l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, était revenu sur la scène politique dans un contexte de tensions croissantes. Cette nouvelle apparition, que certains considèrent comme une mesure de représailles, reflétait l’ambition de Kabila de retrouver son rôle politique à un moment où le pays est confronté à des défis sécuritaires et diplomatiques complexes.
Sauf que Kabila est accusé par l’actuel président Félix Tshisekedi de ses liens possibles avec l’Alliance du fleuve Congo, dont le mouvement M23 est une composante majeure.
Nous entamons ce dossier avec un peu de recul pour analyser la situation en République démocratique du Congo.
• Une stratégie de silence limité
Il importe de rappeler que, depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila a choisi de rester discret, adoptant une stratégie du silence qui a contribué à créer une ambiguïté quant à ses positions et ses objectifs.
Durant cette période, son image publique est restée ternie, ses proches cherchant à le présenter comme un « président serein » après la première passation pacifique du pouvoir de l’histoire du Congo, malgré la controverse entourant les élections qui ont conduit à l’élection de son successeur et actuel président, Félix Tshisekedi.
À mesure que le temps passait et que la situation sécuritaire dans l’est du pays se détériorait, avec notamment la reprise du conflit dans des régions comme Goma et Bukavu, et les accusations de Tshisekedi envers Kabila d’être impliqué dans cette crise en soutenant le mouvement M23, ce silence semblait faire plus de mal que de bien, car il permettait à ses proches d’intensifier les rumeurs sur son intention de revenir sur la scène politique.
• Un retour médiatique suivi d’une levée d’immunité à J. Kabila
Son retour à Goma, le vendredi 18 avril 2025, dans un contexte de crise sécuritaire en République démocratique du Congo, n’a fait que raviver davantage les tensions politiques.
Revenu dans son pays par la zone sous contrôle du M23, qu’il est accusé par les autorités de soutenir, l’ancien président multiplie les apparitions publiques. Un retour au premier plan soigneusement préparé par une poignée de ses fidèles, lesquels tentent d’imposer un face-à-face avec son successeur.
On relève que les sénateurs, quelques semaines après son retour, ont voté le 22 mai 2025, avec une écrasante majorité, en faveur de la levée de l’immunité de l’ancien chef de l’État et sénateur à vie, accusé par Félix Tshisekedi de soutenir les rebelles de l’AFC/M23. Joseph Kabila, qui prétend toujours être en exil, est donc officiellement poursuivi pour trahison.
Ce retour médiatique intervient à un moment très délicat, à un moment où Tshisekedi peine à gérer la crise du M23, qui s’est étendue à l’est du pays, déstabilisant son régime.
A noter que l’ONU accuse le M23 d’avoir commis des crimes généralisés contre des civils et de recevoir un soutien du Rwanda, selon les médias d’État congolais.
• Ouverture d’un procès à l’encontre de Kabila
Un procès contre l’ancien président congolais Joseph Kabila s’est ouvert en République démocratique du Congo devant la Cour militaire suprême, après la levée de son immunité par le Sénat, en mai dernier, et Kabila se retrouve ainsi poursuivi par de graves accusations.
Selon certains medias internationaux, l’acte d’accusation comprend des chefs d’accusation graves, notamment:
a) participation à une rébellion,
b) crime contre la paix,
c) meurtre avec préméditation,
d) trahison,
e) incitation,
f) viol,
g) torture,
h) déplacement forcé,
i) et prise de contrôle de Goma par la force.
Certaines de ces accusations ont été révélées lors de la procédure de levée d’immunité du Sénat. L’accusation se concentre spécifiquement sur la présence de Kabila à Goma, ville sous contrôle du mouvement rebelle M23.
Il s’agit donc d’un procès qui suscite un vif intérêt tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, car il est sans précédent dans l’histoire de la République démocratique du Congo qu’un ancien président soit jugé pour des accusations aussi graves devant un tribunal militaire.
Evidemment, Kabila n’a pas assisté à l’audience du vendredi 25 juillet dernier, car il est présumé être en exil depuis plus de deux ans, malgré sa récente visite à Goma, où il a séjourné pendant plusieurs semaines (et peut-être qu’il y est encore).
• Justice ou règlement de comptes?
Le procureur militaire de la République démocratique du Congo, a requis le vendredi 22 août « la peine de mort » contre l’ancien président Joseph Kabila, « jugé par contumace » devant les tribunaux militaires de son pays pour crimes de guerre, notamment meurtre, torture et viol, et autres délits.
En effet, le général Lucien René Likulia, représentant du ministère public, a appelé les juges de la Haute cour militaire à condamner à la peine de mort l’ex-président Joseph Kabila pour crimes de guerre, trahison, et organisation d’un mouvement insurrectionnel, ainsi qu’à 20 ans de prison pour apologie de crimes de guerre et 15 ans de prison pour complot.
On relève que le régime de l’actuel président de la RDC, Félix Tshisekedi, a exigé de traduire son prédécesseur en justice, l’accusant de soutien aux rebelles et de crimes contre l’humanité.
Pour rappel, Kabila a dirigé la RDC pendant près de deux décennies avant de démissionner en 2018 et de fuir le pays vers, principalement, l’Afrique du Sud, sachant qu’il a été vu pour la dernière fois dans une zone rebelle de l’est du pays.
Des informations ont confirmé qu’il était apparu fin mai à Goma, une ville sous contrôle du groupe antigouvernemental M23 (dirigé politiquement par Bertrand Bisimwa, bien que le commandement militaire des attaques soit assuré par Sultani Makenga), où il avait mené des consultations avec des représentants politiques et de la société civile en vue, selon lui, de contribuer au retour de la paix en RDC.
Le procureur militaire, le général Lucien René Likulia, a déclaré à la Cour suprême qu’il requérait la peine de mort contre Kabila pour meurtre, viol, déportation et torture, entre autres crimes.
A noter que Joseph Kabila avait annoncé en avril dernier son intention de retourner au Congo pour contribuer aux efforts de paix dans l’est du pays, déchiré par la guerre. Cependant, plus tard dans le mois, le gouvernement a rapidement interdit son parti politique et confisqué ses biens.
Dans ce contexte, Ferdinand Kambere, secrétaire exécutif national du Parti du Peuple pour la Reconstruction et le Développement (PPRD) de Kabila, a déclaré il y a quelques jours que les actions du gouvernement constituaient des mesures arbitraires et un acte de persécution contre un membre de l’opposition.
« C’est un procès politique, le régime cherche à dissimuler son échec diplomatique et militaire », a déclaré récemment Kambere à l’issue du réquisitoire. Pour lui, cette condamnation revient à « persécuter un opposant, car les conditions actuelles ne garantissent pas un procès équitable ».
Kambere a accordé également une déclaration à l’agence Reuters, dans laquelle il a indiqué que la décision de suspension, qui visait le parti et ses dirigeants, constituait une violation flagrante de la Constitution et des lois de la République démocratique du Congo.
La décision de suspendre le parti et de confisquer ses biens est intervenue seulement deux jours après le retour de l’ancien président à Goma, après son exil volontaire en Afrique du Sud, déclarant à l’occasion son intention de participer au processus de paix et mettre fin aux combats qui opposent depuis le début de l’année les rebelles à l’armée régulière.
Néanmoins, la demande de peine de mort du ministère public contre Kabila a semé la confusion en République démocratique du Congo tout en soulevant des questions quant à ses implications.
Cette évolution intervient quelques semaines après que Kabila soit apparu dans les zones contrôlées par les rebelles du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo, où il aurait rencontré des chefs religieux et même d’autres acteurs politiques et discuté des moyens d’instaurer la paix dans le pays.
Le 25 mai 2025 à Goma Kabila rencontrant des Chefs religieux
Dans le même contexte, un analyste politique congolais a souligné que « la démarche du procureur général et de l’auditeur militaire de la République du Congo témoigne d’une approche judicieuse, car des fuites indiquent que Kabila soutient effectivement le mouvement M23, même s’il ne l’a pas annoncé ».
Avec son retour, notamment dans les régions de l’est, le pays entre dans un nouveau chapitre d’un conflit qui a fait plus de 7.000 morts et déplacé des centaines de milliers de personnes depuis fin décembre dernier 2024.
Par ailleurs, le Procureur a estimé que les violences perpétrées par le groupe M23 dans l’est ont causé de « graves dommages » à la République, tenant Kabila « pénalement et individuellement responsable ».
Selon le général Lucien René Lekulia, Kabila, « de connivence avec le Rwanda », a cherché à perpétrer un coup d’État contre le régime du président Félix Tshisekedi, qui lui a succédé en 2019 à l’issue d’élections contestées.
Au cours d’une longue plaidoirie, le général Lucien René Lekulia, a exhorté la cour à prononcer les peines les plus sévères, soulignant que Kabila porte une « responsabilité pénale individuelle » pour les graves dommages causés à la République par les activités du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda.
Les partisans de Kabila ont rapidement rejeté ce procès, affirmant qu’il était motivé par des considérations politiques et visait à régler ses comptes avec l’ancien président, notamment après l’apparition de profonds désaccords entre lui et l’actuel président Félix Tshisekedi. Ils ont également mis en doute l’impartialité du pouvoir judiciaire, au vu de ce qu’ils ont qualifié d’« utilisation sélective de la justice ».
L’affaire a suscité une vive controverse aux niveaux national et international, notamment en raison des demandes croissantes des organisations de défense des droits humains et des organisations internationales pour un procès équitable et transparent, exempt de toute contestation politique.
• Quel est le Statut de la Peine de Mort en RDC?
Selon les recherches entreprises à ce sujet, on constate que la République démocratique du Congo maintient la peine de mort dans son code pénal pour des crimes graves (trahison, espionnage, meurtre, etc.).
Cependant, la RDC observe un moratoire de fait sur les exécutions depuis 2003, or les dernières exécutions remontent à 2001.
Les condamnations à mort sont régulièrement prononcées (souvent contre des combattants rebelles ou pour des crimes de droit commun), mais elles sont systématiquement commuées en peines de prison à perpétuité.
C’est pourquoi il est très improbable, même en cas de condamnation de Joseph Kabila à la peine capitale, qu’une exécution ait lieu. La peine serait très probablement symbolique ou convertie.
Finalement, on peut dire que la procédure est considérée par une grande partie de la communauté internationale et des observateurs comme étant motivée par des considérations politiques plutôt que par une recherche indépendante de justice.
Il s’agirait donc d’un développement significatif dans la crise politique congolaise, mais il faut le comprendre aussi comme étant un acte dans « un bras de fer politique » bien plus large, et non comme une procédure judiciaire conventionnelle.
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