Africa-Press – Congo Kinshasa. Vieux routier politique et ancien ministre de la Fonction publique, le professeur Michel Bongongo, livre à Ouragan son analyse sans détour sur les Accords de Washington, la persistance de la guerre dans l’est, le rôle des États-Unis, le Rwanda et la nécessité d’un dialogue national inclusif.
Ouragan: Quelques jours après la signature des Accords de Washington, la rébellion AFC-M23, appuyée par le Rwanda, s’est emparée de la ville d’Uvira au Sud-Kivu. Est-ce un message pour dire clairement que les accords signés sous l’égide du président américain Donald Trump sont piétinés et enterrés?
Par sa prise de la ville d’Uvira, l’AFC-M23 a tenté de piétiner et d’enterrer les Accords de Washington, au grand dam des signatures présentées à la face du monde entier. Le président Paul Kagame a ainsi foulé aux pieds la parole donnée par lui-même et son peuple à la République démocratique du Congo et à la population congolaise.
En signant l’accord d’intégration économique régionale avec le Rwanda, la RDC s’est-elle fait prendre au piège, comme l’a dit Martin Fayulu?
La sagesse millénaire de l’humanité nous enseigne que si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre. Et la même sagesse ajoute, sans ambages, qu’après l’hécatombe produite par la cruauté indescriptible de la guerre en termes de destruction de vies humaines et d’infrastructures civilisationnelles, il est inéluctable de passer à l’étape finale: celle des négociations de paix, qui conduiront à la concorde nationale et régionale, c’est-à-dire à la réconciliation des cœurs éprouvés pendant trente ans par l’aveuglement des passions hégémoniques. Pour rassurer et consolider les intérêts vitaux de différentes parties contractantes, à savoir; la RDC et le Rwanda, l’accord d’intégration économique régionale s’impose comme l’unique voie pouvant permettre à tous les peuples de la région des Grands Lacs de vivre en paix, en sécurité, et de connaître une nouvelle ère de développement et de prospérité communautaires. Rappelons-nous la guerre de cent ans ainsi que les Première et Deuxième Guerres mondiales en Occident. Grâce à la ténacité des Occidentaux et à leur volonté d’unité, de cohésion et de solidarité entre eux, leurs pays sont devenus aujourd’hui, pour nous, un modèle de développement intellectuel, scientifique, industriel et d’expansion socio-économique. Bref, l’accord d’intégration économique régionale n’est pas un piège pour la RDC, mais la meilleure voie à suivre pour le bien de notre population congolaise.
Le Congo a troqué ses minerais contre la sécurité avec les Américains. Pourtant, la guerre se poursuit et rien n’a changé sur le terrain. Qu’attendre alors des Américains, parrains des accords?
Je suis convaincu que les États-Unis d’Amérique, par l’action du président Donald Trump et de son administration, sont déterminés à respecter les engagements pris auprès du peuple congolais et de son gouvernement, par l’entremise des Accords de Washington signé par le président de la République. Non seulement parce que les minerais congolais les intéressent beaucoup, mais aussi et surtout parce qu’ils accordent une valeur très élevée à leur parole donnée. Certes, la grandeur des États-Unis repose sur leur puissance économique et militaire, mais il faut avouer qu’ils ont un sens remarquable de la dignité morale qui ne tergiverse pas sur le respect de leurs engagements. Au nom de cette même dignité morale, le président Donald Trump et son administration luttent contre la corruption. Ils veilleront, à coup sûr, dans le cadre du partenariat, à ce que la mauvaise gouvernance de la chose publique soit combattue au bénéfice des couches sociales défavorisées de notre pays. Dans le passé, l’un des points majeurs qui a éloigné la RDC de l’attention du gouvernement américain a été la paupérisation des populations congolaises découlant de la gabegie financière des institutions de la République.
À l’ONU, l’ambassadeur américain Mike Waltz a condamné sans ambiguïté le Rwanda, le pointant du doigt comme l’instigateur de la déstabilisation de l’est de la RDC. Cette simple déclaration suffit-elle à changer la donne sur le terrain?
Je pense que la donne sur le terrain dans l’est de notre pays va changer, et nous constatons tous qu’elle commence déjà à changer.
Le secrétaire d’État américain Marco Rubio menace le Rwanda de sanctions après la chute d’Uvira. Paul Kagame va-t-il écouter cette voix et arrêter son entreprise déstabilisatrice de la RDC?
Lui seul, le président Paul Kagame, peut répondre à cette question en dévoilant ses intentions profondes.
Pensez-vous qu’au stade actuel, les processus de Washington et de Doha ont échoué?
Non, les processus de Washington et de Doha n’ont pas échoué. Bien au contraire, le début du retrait de l’AFC-M23 de la ville d’Uvira, un retrait imposé par l’administration du président Donald Trump, inspire confiance et suscite de l’espoir auprès de la population congolaise. Toutefois, ces processus de négociation seront de longue haleine, car de nombreux acteurs importants, visibles et moins apparents, devront intervenir. À mon humble avis, si la dynamique interne propre au dialogue national inclusif est mise en branle, les processus de Washington et de Doha pourront être parachevés plus rapidement.
Que faut-il faire urgemment pour stopper la guerre qui pousse vers Kalemie, dans le Tanganyika?
Pour stopper la guerre, outre les interventions rigoureuses et permanentes des États-Unis, parrains des Accords, il importe d’accélérer les pourparlers secrets et réguliers entre les émissaires du président de la RDC et ceux du président du Rwanda, sous la supervision des États-Unis, afin de créer un climat favorable à l’organisation du dialogue national inclusif.
Selon vous, le dialogue des religieux va-t-il résoudre les questions profondes évoquées par l’AFC-M23?
Tout dialogue est constitué de deux phases successives: une phase A, en amont, et une phase B, en aval. C’est en amont que s’effectue, en toute franchise et dans le strict secret, l’exposé des griefs et des préoccupations majeures de deux parties en présence. La phase A est la plus douloureuse, car elle permet à chaque partie de procéder au déballage de ses douleurs, rancœurs, incompréhensions, injustices et infidélités subies de la part de son partenaire d’hier. Cette étape permet à la raison de prendre progressivement le dessus sur l’égoïsme des passions démesurées. Lorsque ce déballage parvient à un point d’accord, la phase B s’ouvre alors au grand jour, sous l’égide du président de la République, devant toutes les forces vives réunies au dialogue intercongolais.
Comment organiser le dialogue alors qu’il y a encore des exilés et certains condamnés à mort, parmi lesquels se recrutent des acteurs importants devant être présents aux pourparlers?
L’histoire tumultueuse de la RDC, notre pays, nous démontre à suffisance que ce ne serait pas la première fois que certains de nos frères, exclus de la communauté nationale, se retrouvent réintégrés au nom de l’unité nationale et en vue de raviver l’esprit salvateur de cohésion nationale qui habite toute âme congolaise.
Régression ou progrès de la démocratie, dès lors qu’on sait qu’il y a déjà eu des élections dans ce pays?
L’histoire des élections démocratiques dans notre pays nous révèle une vérité indéniable, évidente aux yeux du monde entier, que nous ne pouvons plus continuer à taire. Il s’agit de la mauvaise organisation récurrente des élections, qui est à la base de l’épineux problème de la légitimité du pouvoir politique à tous les niveaux. Nous devons avoir le courage d’en parler. La volonté dont nous devons faire preuve est celle de mettre en place, de commun accord, des mécanismes adéquats pouvant nous conduire à la vérité des urnes, notamment: le recensement administratif de la population, la production et la distribution effective d’une carte d’identité congolaise, ainsi que la lutte contre le règne omniprésent de la corruption dans les rouages de l’appareil électoral de la CENI. Nous devons parler de tous ces sujets brûlants, qui sont d’une importance capitale pour la vie et la vitalité de notre démocratie congolaise. Nous devons en parler dans la vérité, débarrassée de tous les faux-fuyants.
Quel message adressez-vous particulièrement au peuple congolais et à l’ensemble de la classe politique?
Chers compatriotes, arrêtons-nous un instant et méditons ensemble cette pensée que son Éminence le Cardinal Laurent Monsengwo nous a léguée, à savoir:
« Le Congo est trahi par ses propres fils, abandonné par ses frères africains et pillé par ceux qui nous donnent des leçons de démocratie ». Oui, il est vrai que le Congo n’est plus suffisamment respecté. Mais pour que le Congo soit respecté, nous, femmes et hommes politiques qui le représentons, devons devenir respectables en nous efforçant d’honorer nos engagements et de tenir les promesses que nous faisons à notre population. Car, aux yeux du monde entier, la parole donnée demeure une valeur sacrée que l’on ne peut marchander.





