Margaux Guillot
Africa-Press – Congo Kinshasa. À l’instar du Cameroun, plusieurs pays africains sont devenus de véritables décharges d’e-déchets selon la Cnuced, qui révèle que l’impact environnemental des technologies numériques pèse davantage sur les pays en développement.
À Douala, le lieu-dit « Ancien 3e » est devenu l’épicentre du trafic d’appareils électroniques. Cet arrondissement de la capitale économique du Cameroun abrite des dizaines de techniciens informels qui réparent et revendent smartphones et accessoires électroniques de seconde main, bien souvent venus d’Europe ou parfois issus du vol.
Avec la digitalisation et la consommation croissante de produits de téléphonie mobile, ce secteur d’activité informel grandit et s’accompagne d’une hausse de la production de déchets électroniques. Une fois que les matériaux lucratifs comme le cuivre ou l’aluminium en sont extraits par des ferrailleurs, la plupart sont incinérés ou bien déversés dans la nature.
Des déchets qui libèrent des substances toxiques, qui polluent l’air et l’eau environnants et représentent un danger pour la santé. Composés de polluants organiques et de métaux lourds, tels que le mercure et le plomb, les déchets des équipements électriques et électroniques (D3E) sont en effet classés comme « dangereux » par la Convention de Bâle.
Malgré la réglementation adoptée par le gouvernement sur la gestion des déchets électroniques en 2012, il n’existe aucun système de collecte ni de filière formelle de recyclage au Cameroun et seulement 0,2 % des déchets liés à la numérisation est récolté dans le pays.
Le pays est donc devenu une décharge d’e-déchets, bien que ses habitants en rejettent en moyenne seulement 0,221 kg par an, soit bien en deçà de la moyenne mondiale estimée à 1,33 kg par personne d’après les calculs de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), sur la base des données du programme Sustainable Cycles de l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (Unitar-SCYCLE).
Un coût environnemental disproportionné
Dans son rapport 2024 sur l’économie numérique, intitulé Façonner un avenir numérique respectueux de l’environnement et ouvert à tous, la Cnuced détaille l’empreinte écologique de ces nouvelles technologies: hausse des déchets électroniques, épuisement des matières premières, augmentation de la consommation d’eau et d’énergie… Des effets néfastes majoritairement supportés par les pays en développement, pointe-t-elle.
Entre 2010 et 2022, les e-déchets ont ainsi enregistré une hausse de 30 % pour atteindre 10,5 millions de tonnes à l’échelle mondiale. Mais les pays africains, dont l’activité locale a généré en moyenne 0,44 kg de déchets électroniques par personne en 2022, contre 3,25 kg en moyenne dans les pays avancés, sont devenus pour certains des décharges de smartphones, ordinateurs et autres appareils électroniques usagés, selon la Cnuced.
« Même si un pays africain sur cinq dispose d’une législation pour la collecte et la gestion des déchets numériques, le problème c’est de pouvoir l’appliquer », souligne Shamika Sirimanne, directrice la Division de la technologie et de la logistique de la Cnuced, interrogée par Jeune Afrique.
De fait, les trafics sont nombreux. Les autorités espagnoles ont ainsi démantelé en janvier 2023 un réseau criminel qui a expédié plus de 5 000 tonnes de déchets électroniques en provenance d’Europe, depuis les îles Canaries vers l’Afrique de l’Ouest, en particulier vers le Nigeria, la Mauritanie et le Sénégal.
Davantage de coopération interétatique, de lois et d’économie circulaire
Dans ses recommandations, la Cnuced plaide pour davantage de coopération régionale et internationale afin d’harmoniser la gestion de ces déchets mais aussi pour promouvoir une production et une consommation plus responsables des technologies numériques. Cette coopération doit notamment se traduire par des réglementations environnementales plus strictes pour limiter l’empreinte de ces technologies.
Le rapport de la Cnuced prône aussi la transition vers une économie numérique circulaire, qui consiste à réutiliser, réparer et recycler les produits et matériaux existants le plus longtemps possible et donc de réduire les déchets.
Ce modèle économique plus durable pourrait se traduire par la formalisation d’une filière de revalorisation des D3E, qui contribuerait aussi à réduire la fracture numérique. En effet, une étude de la Coalition pour l’accessibilité financière des téléphones portables, constituée notamment de la GSMA – une association qui défend les intérêts de l’industrie mondiale des télécoms – et de la Banque mondiale, parue le 10 juillet, montre que le principal obstacle à l’accès à internet est le prix des téléphones, qui est le principal moyen de connexion au réseau.
D’après le consortium, si les portables coûtaient aux alentours de 20 dollars, 270 millions d’Africains supplémentaires pourraient s’en procurer un. Ainsi, la remise en état et la vente d’appareils de seconde main à des prix plus abordables renforcerait la durabilité de la croissance numérique tout en permettant d’élargir l’accès au numérique.
Vers la formalisation du recyclage des D3E au Cameroun ?
Au Cameroun, une première initiative de collecte et de recyclage de déchets électroniques a vu le jour en 2016 grâce à la Fondation camerounaise de la terre vivante (FCTV). Dans son dernier rapport, l’ONG indique que le volume de ses collectes croît chaque année. En 2020, 30 tonnes de déchets de téléphones mobiles et de cartes électroniques ont été collectés dans la ville de Douala et ses alentours. Ce chiffre a frôlé les 38 tonnes en 2021, dernière année pour laquelle des données ont été communiquées par le collectif.
La fondation a reçu divers soutiens financiers, dont ceux de la société multinationale de conseil Environmental Resources Management, de l’entreprise américaine Noble Energy ainsi que d’Orange Cameroun, qui, parallèlement, a installé des box dans ses agences pour collecter les déchets électroniques.
En 2019, l’association française Solidarité technologique a inauguré la première et seule structure de revalorisation des équipements contenant des matériaux toxiques et des métaux précieux dans le pays. Une partie des 80 tonnes d’e-déchets traités annuellement par le centre est reconditionnée avant d’être revendue à moindre coût. L’ONG souhaite désormais faire passer l’activité existante de recyclage et de dépollution à une échelle semi-industrielle. À cette fin, Solidarité technologique devrait construire une deuxième usine, destinée à broyer les déchets ne pouvant être revalorisés, sur le site d’un hectare qui lui a été concédé à Douala.
Une incidence difficile à quantifier
Tout en s’efforçant d’alerter sur les risques que fait peser la transition numérique sur l’environnement et la santé, en particulier dans les pays en développement, la Cnuced prévient que ces répercussions sont « difficiles à évaluer ». Torbjorn Fredriksson, responsable de la division e-commerce et économie numérique de la Cnuced, indique ainsi que « les données sont disponibles pour un nombre très limité de pays » et sont hétérogènes. « Certaines proviennent des gouvernements, mais d’autres d’entreprises, et les études déjà publiées à ce sujet ont été rédigées par des universitaires parfois associés à une société, de sorte qu’elles ne sont pas totalement neutres », explique-t-il, préconisant la réalisation de davantage d’études et la mise en place d’un système de contrôle du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Source: JeuneAfrique
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