Comment la Tunisie se mue en porte d’entrée de la Corée du Sud en Afrique

5
Comment la Tunisie se mue en porte d’entrée de la Corée du Sud en Afrique
Comment la Tunisie se mue en porte d’entrée de la Corée du Sud en Afrique

Africa-Press – Congo Kinshasa. S’implanter en Tunisie, c’est intégrer un marché de 1,8 milliard de consommateurs. » Au Centre de promotion des exportations (Cepex), l’entrée en matière des Tunisiens est direct, pour convaincre les investisseurs sud-coréens présents au Tunisia-Korea-Africa Business Forum (TKABF), qui vient de se tenir à Tunis. L’ancienne Carthage se veut la porte d’entrée des entrepreneurs venus du Pays du matin calme pour l’Afrique et ses 1,3 milliard d’habitants et l’Europe avec ses 500 millions de consommateurs.

Si Lee Tae Hoon a soigneusement exposé ses échantillons d’implants dentaires sur la nappe impeccablement blanche de la salle de conférences, ce n’est effectivement pas – seulement – pour conquérir la Tunisie, mais « pour vendre dans toute l’Afrique ! » Les marchés algérien et marocain l’intéressent particulièrement. Le PDG de DenQ est à Tunis pour rencontrer un distributeur tunisien qui l’aiderait à entrer sur des marchés ciblés. Lee Tae Hoon n’est pas le seul à considérer la Tunisie, avant tout, comme un sas d’entrée dans lequel on ne s’attarde pas. Sur les 27 entreprises coréennes qui ont fait le déplacement au TAKBF, 22 sont là pour identifier un partenaire local et cinq seulement envisagent d’investir sur place.

Économiser 35 % de tarifs douaniers

Réalistes, les décideurs politiques et économiques tunisiens savent que le marché national, petit et en plein marasme, n’est pas attractif pour des entrepreneurs de la dixième économie mondiale. Alors, ils « vendent » la Tunisie comme un pivot. Membre du Marché commun d’Afrique orientale et méridionale (Comesa), la Tunisie offre aux investisseurs étrangers un espace de 21 pays allant de la Libye au Zimbabwe : « S’implanter en Tunisie, c’est économiser 35 % de tarifs douaniers pour vendre ses produits au Kenya, qui est un pays en plein dynamisme », illustre Hichem Néji, directeur central approche des marchés au Cepex.

La Tunisie est aussi une tête de pont pour s’étendre sur le continent africain, via la zone de libre échange continentale africaine. La Zlecaf sera pleinement opérationnelle dans dix ans, mais le petit pays nord-africain est membre de l’Initiative de commerce guidée : « Les huit pays de cette Initiative permettent déjà des échanges commerciaux significatifs dans les conditions opérationnelles, institutionnelles, juridiques et politiques de la future Zlecaf », détaille le Tunisien Chawki Jaballi, conseiller pour l’Afrique du nord auprès du secrétariat général de la Zlecaf. Enfin, bien que toujours en discussion, l’accord de libre échange avec l’Union européenne (Aleca) permet de mettre en avant un savoir-faire des normes techniques et phytosanitaires validées par l’UE.

« Nos entrepreneurs [coréens] ne comprennent pas l’Afrique »

Les dignitaires sud-coréens présents au Forum, à Tunis, « achètent » ce discours qui correspond à leur stratégie. Le pays asiatique a pris conscience de l’importance du marché africain en 2006, avec l’organisation de l’Année de l’amitié avec l’Afrique, débouchant sur la création de l’Initiative coréenne pour le développement en Afrique. Un échec. La part des exportations coréennes en Afrique est passée de 3,5 %, en 2009, à 1,5 %, actuellement. L’Initiative faisait surtout la part belle à une « diplomatie des ressources » : la Corée du Sud n’investissait que dans les pays et les secteurs pétroliers et miniers. En 2018, elle crée la Fondation Corée du Sud-Afrique (KAF) « pour aider à l’approfondissement de la connaissance coréenne de l’Afrique et encourager l’implication du secteur privé », selon Françoise Nicolas, chercheuse à l’Ifri, dans sa note « La Corée en Afrique. Entre soft power et intérêts économiques ».

La KAF mise sur la Tunisie pour faire cet apprentissage : « Nos entrepreneurs ne comprennent pas l’Afrique. Nous devons nous concentrer sur des secteurs de niche, avec des partenaires tunisiens au comparatif coût/ savoir-faire très attractif pour nous aider », révèle une source coréenne. Outre la position géographique et ses appartenances à de multiples accords commerciaux, la Tunisie possède de nombreux points communs avec la Corée : un pays petit par la taille, un tropisme pour les nouvelles technologies, un fort niveau d’éducation dans les sciences, et un îlot de démocratie. Pour ces raisons, « le gouvernement coréen considère que la Tunisie peut être un “hub” pour les marchés européens et africains », estime Park Heong-joon, envoyé spécial du président de la République coréenne, durant ce Forum, et maire de la ville de Busan, candidate à l’organisation de la prochaine exposition universelle.

Vers une usine d’assemblage automobile en Tunisie ?

Pour cette deuxième édition du Tunisia-Korea-Africa Business Forum, les Coréens ont visé cinq secteurs clés : la cosmétique, les composants automobiles, l’agroalimentaire, les TIC et les produits médicaux esthétiques (implants dentaires, laser, botox, etc.). La filiale tunisienne de Yura Corporation, spécialisée dans les câbles et faisceaux pour le secteur automobile, a ainsi annoncé une extension de son site à Kairouan pour fournir des usines d’assemblage en Europe de l’est.

Mais les Tunisiens voudraient voir justement ces usines d’assemblage s’installer de ce côté-ci de la Méditerranée. Lors de l’inauguration du Forum, Hichem Elloumi, vice-président de l’UTICA (syndicat patronal) et dirigeant du groupe Coficab, leader mondial du câble automobile, a fortement insisté en ce sens. Park Heong-joon n’a pas écarté l’idée, mais, très diplomatiquement, a estimé que les procédures d’investissement devraient être « plus accueillantes » pour les étrangers.

Les voitures de tourisme sont les premiers produits importés de Corée du Sud. Une importante fuite de devises de 624 millions de dinars (186 millions d’euros) en 2022, que les Tunisiens aimeraient bien réduire. En face, la principale exportation tunisienne concerne… le crabe bleu. Fléau des pêcheurs de la côte qui l’ont surnommé « Daech », le crustacé est fort apprécié des gastronomes coréens. Un marché atypique qui rapporte peu à la Tunisie, 91 millions de dinars (27 millions d’euros) en 2022.

Le déficit commercial de 541 millions de dinars (162 millions d’euros) fait grincer des dents. Surtout quand, en parallèle, de grandes sociétés coréennes s’implantent ailleurs en Afrique, comme Korea Telecoms (KT) au Rwanda, Samsung Heavy Industries qui a construit au Nigeria la plus grande plateforme pétrolière flottante du monde ; Deawoo Engineering, derrière la construction de nombreuses autoroutes en Éthiopie et en Zambie ; ou encore Lotte Confectionery, société agroalimentaire, présente au Kenya. « Notre proximité avec l’Europe, la compétence de nos ingénieurs, et le climat des affaires, beaucoup plus ouvert qu’ailleurs dans la région, sont appréciés, rassure Mehdi Mahjoub, secrétaire général de la chambre de commerce tuniso-coréenne et PDG de Hyundai Tunisie. Les entreprises coréennes vont venir. » En attendant, elles ne sont que six enregistrées sur le territoire…

Le partenariat stratégique en gestation souffre également d’une mauvaise conjoncture politique. Après les propos très durs du président tunisien Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens en février, le pays s’est coupé d’une partie de l’Afrique méridionale. Si l’ambassadrice sénégalaise était présente au Forum, la Guinée, le Burkina Faso, et l’Afrique du Sud n’ont dépêché que des diplomates de second rang. Les autres pays subsahariens étaient absents. Or l’autre objectif de l’événement était de convaincre les pays africains hôtes de voter en faveur de Busan, pour l’organisation de l’Exposition universelle en 2030.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here