Le Plan « Mattei » pour L’Afrique: Est-Il un Plan Italien D’Investissement ou un Plan Néocolonial ?

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Le Plan « Mattei » pour L’Afrique: Est-Il un Plan Italien D'Investissement ou un Plan Néocolonial ?
Le Plan « Mattei » pour L’Afrique: Est-Il un Plan Italien D'Investissement ou un Plan Néocolonial ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Congo Kinshasa. A ce propos, et pour éclairer nos fidèles lecteurs ainsi que les internautes qui s’intéressent de prés à tout ce qui se trame sur le Continent africain, nous sommes en devoir de nous poser d’abord la question suivante que beaucoup se posent déjà:

• Que savons-nous du « plan Mattei » du gouvernement Meloni ?

Le Plan « Mattei », est un choix nominatif stratégique à l’initiative de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni. Il a hérité son nom du fondateur du groupe énergétique italien ENI, le protagoniste du miracle économique de l’après-guerre, à savoir « Enrico Mattei » (décédé en 1962).

Ce fût lors du sommet « Italia-Africa », tenu les 28 et 29 Janvier 2024 à Rome, que Meloni a annoncé le lancement du Plan Mattei. Soutenu par l’Union européenne, ce projet a fait l’objet du premier rendez-vous international de la présidence italienne du G7.

Son principal objectif est d’établir une étroite collaboration entre l’Italie et certains pays africains dans divers domaines, avec pour but de:

« Promouvoir un développement durable et significatif du continent africain, notamment afin de réduire les flux migratoires vers l’Europe et établir des relations renouvelées ».

Pourtant, ce partenariat conçu sous forme de plan d’investissement de plusieurs milliards de dollars, à travers lequel le gouvernement de droite dirigé par Meloni cherche à étendre son influence dans les pays africains, dans le but de réduire la migration irrégulière, présente de nombreuses ambiguïtés, allant du manque de consultation avec l’Union africaine, au manque de concrétisation du plan.

• Principal objectif du Plan Mattei: Le futur de l’Italie dépend de celui du continent africain !

« L’Afrique, est un continent qui peut et doit surprendre, mais qui a besoin de pouvoir rivaliser à armes égales dans le contexte mondial ».

C’est à travers ces mots que le gouvernement italien se dresse en « principal garant de l’Afrique », en allouant 5,5 milliards d’euros pour assurer la bonne réussite du plan Mattei. Le partenariat est conçu par Giorgia Meloni comme paritaire et mutuellement bénéfique, et non comme une énième politique prédatrice européenne. Il prévoit la réalisation de plusieurs projets dans 5 zones d’intervention: éducation et formation professionnelle, santé, accès à l’eau, l’agriculture, et enfin l’énergie. C’est d’ailleurs ce dernier pilier (l’énergie) qui préoccupe le plus la Première ministre italienne, qui cherche à transformer son pays en un centre énergétique à l’heure où l’Europe se sèvre du gaz russe.

• Un double objectif

-/- qui vise d’une part à créer plus d’emplois en Afrique,

-/- et d’autre part à réduire l’immigration illégale vers l’Italie et plus généralement vers l’Europe.

Plusieurs projets pilotes sont déjà actifs et impliquent 12 sociétés dans 6 pays africains: Maroc, Kenya, Algérie, Mozambique, Égypte et Éthiopie.

Giorgia Meloni a certifié que le plan d’investissement que l’Italie envisage de lancer en Afrique, aura des garanties générales pour les projets d’investissement, et dans ce contexte, elle a énuméré un groupe de petits projets pilotes dans divers secteurs, notamment un centre de formation sur les énergies renouvelables au Maroc, un projet de réaménagement d’écoles en Tunisie, et l’amélioration des soins primaires pour les mères et les enfants en Côte d’Ivoire.

À cela s’ajoutent le soutien aux agriculteurs du nord de l’Égypte, le développement du secteur des biocarburants, un projet de surveillance agricole en Algérie et le travail sur les réseaux d’eau en République du Congo.

Meloni a exprimé l’engagement de l’Italie à créer les conditions permettant aux jeunes Africains d’envisager leur avenir dans leur pays d’origine, abordant ainsi la question de la migration.

Quant aux projets relevant du plan Mattei, ils comprennent le développement économique, le changement climatique, les infrastructures, la politique migratoire, l’agriculture et la sécurité alimentaire, la culture, l’éducation, l’énergie et l’électricité, qui sont les plus importants pour Rome.

• La crainte d’un « revers de médaille » nuisible: l’ombre d’une idée néocoloniale plane quand même

Meloni exposant les détails du Plan Mattei pour l’Afrique

Les derniers commentaires de la salle des opérations du soi-disant Plan Mattei n’étaient rien d’autre qu’une confirmation des craintes auxquelles des experts des affaires africaines et des observateurs avaient fait allusion dès le début, lorsque le nom a été proposé pour la première fois: que le Plan Mattei n’est pas une véritable stratégie de partenariat envers et avec les pays du continent africain.

Bien qu’il s’agisse d’un signal important pour se repositionner, l’Italie sera plus performante sur la scène internationale et satisfera ses électeurs, à la lumière de cet objectif, en plus de celui d’atteindre la sécurité énergétique et de lutter contre ce que le gouvernement italien appelle la « migration irrégulière ».

Le fait est que ce plan n’est rien d’autre qu’une combinaison de motivations politiques externes et internes.

Si le but du Plan Mattei était aussi de constituer une nouvelle approche dans les relations italo-africaines, il y avait également que « le plan divisera l’Afrique en sphères d’influence », à l’instar de ce que les empires coloniaux ont fait pour diviser le continent africain lors de la Conférence de Berlin en 1884, et « développera de nouveaux projets ou soutiendra activement les initiatives existantes ».

Par ailleurs, « le Plan Mattei » espère réaliser une croissance des investissements dans la production d’énergie à partir de sources renouvelables et autres.

Dans ce contexte, la grande entreprise énergétique italienne, Eni, devrait jouer un rôle majeur dans cette initiative. D’autant plus qu’Eni possède des opérations à grande échelle dans le domaine du pétrole et du gaz dans plus d’une douzaine de pays africains, dont on peut citer: le Nigeria, le Mozambique, la Côte d’Ivoire, et la République du Congo. Le Président-directeur général de l’entreprise, Claudio Descalzi (PDG depuis le 9 mai 2014), a assisté au lancement du plan « Mattei » au Sénat italien, aux côtés de dirigeants d’autres entreprises contrôlées par l’État.

Le plan se concentre également et fortement sur les combustibles fossiles, de sorte que les critiques ont appelé à une campagne sur les énergies renouvelables pour répondre aux besoins de plus de 40 % d’Africains qui n’ont aucun accès à l’énergie.

Il importe de noter aussi que ce plan fait saliver beaucoup de gens, non pas à cause des fonds actuellement disponibles, mais plutôt à cause des ressources et des instruments financiers qui y sont associés, de la résonance médiatique croissante et de la voie préférentielle que le gouvernement italien entend allouer aux investissements liés au régime.

• Le Plan Mattei demeure-t-il porteur d’espoir ?

Moussa Faki Président de la commission de l’Union africaine et Giorgia Meloni Première ministre italienne

A propos de l’investissement que prévoit le plan Mattei, près de 3 milliards d’euros proviendront du Fonds climatique italien et 2,5 milliards d’euros supplémentaires du Fonds multilatéral nouvellement créé au sein de la Banque africaine de développement.

Meloni a ajouté que Rome espérait également impliquer pleinement les institutions financières internationales, l’Union européenne, les institutions financières internationales et les banques multilatérales de développement dans ce processus. Le gouvernement souhaite également impliquer l’ensemble du système italien dans le plan, en particulier les entités qui s’occupent de l’Afrique à différents titres.

C’est pourquoi ce plan très attendu qu’est le Plan Mattei vise à promouvoir le développement en Afrique et à stimuler la croissance économique, à travers deux approches.

-/- La première approche:

Elle consiste à réduire l’immigration illégale grâce à la prospérité économique, aux investissements dans les énergies vertes et à la formation professionnelle, ce qui constitue le moyen le plus efficace de faire face aux pressions migratoires. Mais il est clair que le plan pourrait réduire la migration à court terme:

A- en activant des outils pour gérer le phénomène migratoire plutôt que de le contenir,

B- et créer des flux migratoires réguliers, légaux et autorisés.

-/- La seconde approche:

Elle consiste à transformer l’Italie en un centre majeur d’approvisionnement énergétique de l’Afrique vers l’Europe, en soutenant les efforts visant à achever le gazoduc transsaharien (Nigeria-Niger-Algérie), qui permettra le transfert de plus de 25 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an vers l’Europe.

Cette ligne contribuera ainsi « à renforcer la position de l’Italie en tant que pôle énergétique et plateforme de promotion de la sécurité énergétique européenne et de soutien au développement économique et social des côtes sahariennes et euro-méditerranéennes ».

Giorgia Meloni a décrit le plan comme un « plan Peer-to-Peer pour l’Afrique », s’appuyant sur une combinaison de relations politiques, diplomatiques et économiques pour une coopération basée sur l’égalité, afin d’ouvrir une nouvelle ère de coopération entre l’Italie, l’Union européenne et le continent africain.

Elle a souligné entre-autres que l’avenir de l’Italie en particulier, et de l’Europe en général, dépend inévitablement de l’avenir du continent africain, et que la nouvelle relation est une relation sur un pied d’égalité entre les parties, loin de toute exploitation de ressources, ou l’utilisation d’une approche caritative dans les relations avec l’Afrique.

• Question « migration »

Migrants clandestins à Lampedusa

Dans ce contexte, les détails précis du Plan Mattei incluent également la coopération africaine pour empêcher les bateaux de migrants de quitter les côtes africaines et pour accélérer le retour des migrants qui arrivent en Italie par la mer sans avoir demandé au préalable l’asile, ce qui conduit à un ralentissement de l’immigration clandestine en provenance des pays africains.

Meloni a indiqué à ce propos: « Notre objectif est de s’attaquer aux causes de la migration en offrant d’une part des opportunités de travail et de formation aux jeunes, tout en déclarant la guerre aux contrebandiers de ce troisième millénaire, notamment ceux de la « traite d’êtres humains ».

• Les sous-entendus du plan Mattei

La Première ministre italienne d’extrême droite semble vouloir vendre un partenariat « équitable » et un partage des richesses plus « égalitaire » entre l’Italie et les pays d’Afrique.

Meloni semble jouer sur les sentiments d’années de spoliation et de colonisation pour faire croire aux Africains que l’Italie compte rompre avec la prédation à laquelle on les a habitués. L’Italie veut donc faire croire qu’elle ne veut que le bien de l’Afrique, et rien d’autre. Le programme peut, en effet, sembler alléchant face à des relations antérieures totalement déséquilibrées avec les autres pays d’Europe.

Seulement voilà, le Plan Mattei est-il simplement, comme l’Italie tente de le vendre: un simple partenariat énergétique ?

Il est évidemment bien plus que cela. C’est surtout le programme sur lequel l’Italie de Meloni se base pour reprendre le contrôle de l’Afrique. Elle essaye, également, à travers ce plan, d’avoir la main pour négocier l’épineux dossier migratoire.

On peut également avancer que Meloni cherche à utiliser ces milliards annoncés comme un outil pour lutter contre l’immigration irrégulière, ce qui suscite des inquiétudes parmi l’opposition concernant ce projet, d’autant plus que son gouvernement n’a pas tenu ses promesses électorales de lutter contre ce phénomène et que son parti est confronté à une situation difficile en vue des prochaines élections européennes.

De l’autre, Rome est avide des ressources énergétiques dont regorge le continent africain, qu’elles soient fossiles ou renouvelables, sachant que l’Italie satisfait 40 % de ses besoins en gaz à partir de l’Afrique.

• Le mot de la fin

Le Plan Mattei reste « dans la catégorie des intentions et des promesses », selon plusieurs médias italiens, qui le considèrent « avec beaucoup d’appréhension et de manque de confiance dans sa mise en œuvre ».

D’autant plus que la perspective de résoudre les problèmes de l’Afrique vient d’une dirigeante d’un gouvernement de droite qui ne regarde pas aussi loin qu’elle l’imagine, et de ce point de vue on s’interroge sur la couverture financière des projets italiens proposés en Afrique à une époque où l’Italie est accablé de dettes et ne peut espérer rivaliser avec des pays comme la Chine, la Russie et d’autres pays du Golfe, qui cherchent tous à renforcer leur présence en Afrique, laquelle abrite de nombreuses ressources naturelles mondiales, ce qui nécessite une coopération entre eux. Les pays européens doivent fournir un soutien financier et attendre de récolter les fruits de l’énergie.

Par ailleurs, pour certains, le Plan Mattei reste une arme pour le gouvernement du parti d’extrême droite, au pouvoir, face à sa crainte de l’expansion de l’influence chinoise, russe et américaine en Afrique, et pour tenter d’éviter également une intervention militaire comme la méthode des sanctions économiques et l’approche de la pression sur les pays africains alliés à la Russie et à la Chine.

C’est pourquoi l’Italie tente d’adopter une approche de partage des bénéfices et de séduire les pays africains en proposant des concessions attractives.

La question demeure: l’Italie sera-t-elle capable de prendre des mesures pratiques et concrètes pour aider les Africains, notamment dans le contexte de la crise de la dette, ou s’agit-il simplement de slogans retentissants pour le parti ?

Toutefois, tous conviennent que le continent brun a besoin de plans pour rétablir son équilibre par des moyens innovants, et pas seulement de réunions et d’ambitions qui le maintiendront au plus bas et dans la pauvreté.

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