L’effondrement économique plane gravement sur le Soudan en cas de poursuite des affrontements

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L’effondrement économique plane gravement sur le Soudan en cas de poursuite des affrontements
L’effondrement économique plane gravement sur le Soudan en cas de poursuite des affrontements

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Congo Kinshasa. Le conflit actuel au Soudan qui a éclaté le 15 avril, et qui est témoin de combats généralisés à Khartoum et autour des bases militaires et des sites d’infrastructure clés et vitaux à travers le pays, est survenu après une décennie de stagnation, qui a eu des conséquences désastreuses sur la performance de l’économie dans son ensemble et, par extension, pour l’économie du pays en général.

Le niveau de vie des citoyens soudanais, dans une situation où l’État s’est retrouvé au bord de la faillite, compte tenu de la crise économique profonde à laquelle il est exposé, est un héritage des décennies de guerre, d’isolement et de sanctions.

Ainsi, la crise économique actuelle s’annonce plus profonde, en raison de ce qu’elle soulève actuellement d’un nouveau danger humanitaire, à la lumière de ce à quoi la population soudanaise est confrontée en raison du regain de violence et de l’escalade de la faim.

Malgré la déclaration d’un cessez-le-feu de 72 heures (dont la prolongation de 72 autres heures a échouée), la situation au Soudan est toujours considérée avec suspicion et prudence, ce qui soulève des questions sur les répercussions du récent conflit sur l’économie soudanaise et le potentiel de détérioration des conditions économiques en cas de prolongation de la guerre.

D’évènement violents…à d’autres encore plus violents !

La confrontation vécue actuellement sur le terrain au Soudan, n’est en fait que le résultat d’une longue suite d’événements, de tensions, de crises et de luttes pour le pouvoir qui n’ont pas réussi à apporter la stabilité dans ce vaste pays du Continent africain, et ce, depuis la chute du régime d’Omar al-Bashir en avril 2019.

Nous pouvons dire aussi que la résurgence de la violence entre soudanais, jusqu’à présent, a connu des attaques entre les deux camps en conflit, notamment les Forces armées nationales et les Forces de soutien rapide, principalement dans la capitale du pays, Khartoum.

Mais parmi tous les facteurs qui contribuent à la tension interne au Soudan, on peut constater, voire même affirmer, qu’il y a un élément clé : c’est le fait que le pays possède l’une des plus grandes réserves d’or en Afrique.

Du moins cet élément, le plus que l’on puisse dire, touche en profondeur l’économie du pays, sauf que parmi les autres raisons on peut souligner avec « effroi » l’absence de dialogue entre les deux principaux chefs militaires se trouvant à la tête du pays pour conduire la nation vers une « soi-disant » démocratie civile : Abdel Fattah al-Burhan, Chef de l’armée et Président du pays, et Muhammad Hamdan Dagalo, Chef des Forces de soutien rapide (RSF) et plus connu sous le nom de Hemedti.

Pour rappel, rien qu’en 2022, et selon le gouvernement, le Soudan aurait réalisé des exportations de près de 2,5 milliards de dollars, correspondant à la vente de 41,8 tonnes d’or.

Et si nous décortiquions ensemble l’économie du Soudan ?

À la lumière des affrontements armés actuels entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, l’inquiétude est en train de prendre beaucoup d’ampleur quant à l’impact du conflit sur l’économie soudanaise, qui souffre déjà d’une aggravation des crises connues ces dernières années.

A noter qu’après que le gouvernement d’Abdullah Hamdok (2019-2021) ait mené un plan de mise en œuvre de réformes structurelles sous la supervision du Fonds monétaire international (FMI), il a réussi à obtenir des promesses d’annulation d’une grande partie de la dette extérieure soudanaise, en la ramenant de 163% du PIB soudanais à 14% une fois les promesses tenues.

Toutefois, les événements d’octobre 2021 et ceux qui ont suivi, ayant conduit à la confrontation directe entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, ont eu un impact négatif sur les indicateurs de l’économie, avec des doutes croissants sur la capacité de l’économie soudanaise à retrouver le chemin de la croissance, ce qui peut annoncer une situation économique dangereuse qui conduira à une situation humanitaire plus dramatique.

Pourquoi l’économie représente le chiffre le plus important dans l’équation du mouvement de rue soudanais ?

Les manifestations de 2018 qui ont été organisées contre l’ancien président Omar el-Béchir étaient principalement une protestation contre l’augmentation déjà du « prix élevé du pain », et un rapport publié par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires a classé le déclin économique comme l’une des principales menaces auxquelles le Soudan est confronté en 2023.

Par conséquent, notre article revient également sur les répercussions économiques potentielles du conflit au Soudan, ainsi que les répercussions sociales et humanitaires qui en résultent, et surtout l’avenir « flou » de l’économie soudanaise au cas où la crise se poursuivrait pendant une période plus longue.

A noter qu’au cours des cinq dernières années, un certain nombre d’indicateurs négatifs ont dominé l’économie soudanaise, dont :
• L’exacerbation des pressions inflationnistes
• Les répercussions négatives des crises mondiales
• Les exportations ont chuté à des taux élevés
• La dépréciation de la monnaie soudanaise
• Le coût élevé des services de base.

Larges conséquences :

Le conflit a fait ressortir un certain nombre de répercussions négatives et potentielles sur l’économie soudanaise, répercussions qui aggraveraient la crise économique dans le pays, puis entraîneraient davantage de souffrances pour ses citoyens en cas de poursuite de la guerre.

Les plus importantes de ces répercussions peuvent être citées comme suit :
• Le risque que les investisseurs quittent le pays
• Les attentes négatives concernant les exportations d’or
• La perturbation des chaînes d’approvisionnement internes
• Les dommages possibles aux économies de plusieurs pays voisins
• Les répercussions de la guerre sur les infrastructures
• Les risques de financement éventuels.

Un déclin économique dans le sillage des crises à répétition

Des pénuries de produits de base, dont notamment le pain et le carburant, ont entraîné plusieurs crises répétitives, et depuis la sécession du Soudan du Sud en 2011, la production pétrolière du Soudan a diminué, le poussant à importer plus de 60 % de ses besoins en carburant.

Le Soudan est l’un des pays les plus pauvres, bien qu’il soit le troisième plus grand producteur d’or en Afrique, mais sa production dépend du secteur minier privé à environ 80%, et ce secteur passe souvent en contrebande plus de 70% de sa production pour obtenir des prix plus élevés que les tarifs gouvernementaux.

Par ailleurs, on constate que l’inflation est l’un des principaux problèmes auxquels est confrontée l’économie soudanaise, car elle est passée en 2022 à plus de 154%, et en janvier 2023, l’inflation annuelle a atteint environ 83%, puis est tombée à 63,3% un mois après, tandis que le produit intérieur brut soudanais (PIB) est l’un des plus faibles du monde, où il n’a augmenté qu’une seule fois au cours des cinq dernières années.

Compte tenu de la détérioration de la valeur de sa monnaie et de la hausse des prix dans le monde à la suite de crises mondiales telles que la pandémie de Corona et la guerre russo-ukrainienne, le Soudan a enregistré en 2022 le déficit le plus élevé de sa balance commerciale depuis 2012.

Répercussions économiques potentielles du conflit

Les répercussions économiques du conflit actuel au Soudan augmentent à la lumière d’un certain nombre de déterminants fondamentaux, notamment l’impact du conflit russo-ukrainien, les répercussions résultant de la pandémie de Corona et sa coïncidence avec le pays traversant une crise politique et une crise sécuritaire aiguës. L’une des plus importantes de ces répercussions est le rythme élevé de l’inflation, qui devrait ralentir progressivement à partir de cette année, mais les attentes d’une augmentation du déficit budgétaire général et la faiblesse de la monnaie locale par rapport au dollar entraîneront une augmentation d’inflation au-dessus des niveaux de 100 %, après qu’elle soit tombée à des niveaux proches de 60 %.

Au premier trimestre de 2023, le ministre soudanais des Finances, Jibril Ibrahim, avait précédemment confirmé que le gouvernement avait l’intention de réduire les niveaux d’inflation à 25 % d’ici fin 2023, devenue difficile après l’affrontement militaire actuel, et le flou de la scène politique et sécuritaire dans le pays.

Sans oublier que la situation actuelle entraînera des taux de chômage plus élevés que les limites prévues par le Fonds monétaire international (30,6 %), et il est également peu probable que l’État tire 50 % de ses revenus des ressources fiscales selon son objectif compte tenu de la conjoncture difficile de la situation sécuritaire et militaire dans la capitale et dans d’autres régions, sachant que le budget du Soudan dépend fortement des recettes fiscales et des dépenses avec l’arrêt de l’aide internationale et le déclin des activités industrielles et agricoles.

La poursuite des combats pourrait également entraîner la destruction des infrastructures, la perturbation des circuits et chaînes d’approvisionnement, le détournement des dépenses de secteurs importants vers le financement militaire et une baisse de la confiance des investisseurs dans le marché local.

Le Soudan devrait perdre entre-autres des investissements étrangers sur lesquels comptait l’État car ces investissements doivent être les niveaux les plus bas de risques politiques et de sécurité.

Répercussions sociales et humanitaires

Une grave crise de sécurité alimentaire guette et menace le Soudan et, selon les estimations des Nations Unies, environ 15 millions de personnes, prés d’un tiers de la population, ont besoin d’une aide humanitaire, et par conséquent, toute escalade de la violence ne fera qu’aggraver davantage leurs conditions.

Les Nations Unies, qui s’attendaient à ce que le nombre de Soudanais en situation d’insécurité alimentaire augmente fortement fin 2023, pour la troisième année consécutive, ont confirmé que plus de 1,7 milliard de dollars sont nécessaires pour fournir une aide humanitaire et une protection à 12,5 millions de personnes parmi les plus vulnérables au Soudan, à court terme.

Quelles perspectives pour la situation économique soudanaise ?

Le plus gros risque pour les Soudanais, c’est qu’à la lumière du conflit en cours, et sa poursuite évidemment, l’économie soudanaise se trouve rudement confrontée à un avenir inconnu, d’autant plus qu’elle souffrait à l’origine de pressions et de crises majeures, ainsi que d’un certain nombre de défis internes structurels qui nécessitent des réformes.

Cela signifie donc que l’avenir de la situation économique au Soudan dépend de l’horizon de l’équation de la paix et de la guerre entre les parties en conflit et, dans ce contexte, on peut dessiner trois scénarios possibles qui pourraient déboucher sur la scène soudanaise, et jeter évidemment une ombre sur la situation économique :

-/- Le succès des efforts de médiation (qu’ils soient internes ou externes) pour arrêter le conflit, retrouver le chemin d’une solution politique, remettre le pouvoir aux civils et reprendre le travail sur le programme de réforme économique, avec le soutien régional et international qui en découle. Dans ce cas, les indicateurs macroéconomiques s’amélioreront à moyen et long terme.

-/- La poursuite du conflit pendant une plus longue période et l’échec des efforts de médiation pour l’arrêter, à la lumière de l’échec de l’une ou l’autre des parties à remporter des victoires décisives, ce qui signifiera l’épuisement des capacités et de l’infrastructure de l’État soudanais avec la possibilité de parvenir à un accord pour mettre fin au conflit à long terme. Ce scénario mettrait l’économie du pays en danger d’épuisement et exacerberait les répercussions humanitaires.

-/- La transformation du conflit actuel en une guerre civile globale en raison de la fragilité croissante de la situation politique et sécuritaire dans tout le pays, ce qui pourrait éventuellement conduire à l’effondrement complet de l’économie soudanaise. Dans ce cas, le Soudan aura besoin de plusieurs années pour ramener son économie sur la carte de la réforme et de la reprise.

Ainsi, dans le cas où le conflit se prolonge et que les efforts de trêve échouent, une forte baisse est attendue des indicateurs économiques du pays, d’une manière qui pousse l’économie soudanaise au bord de l’effondrement.

Point de vue de l’ancien Premier-ministre soudanais Abdullah Hamdok

Nous avons jugé utile de revenir dans cette analyse sur les déclarations accordées aux médias par l’ancien Premier ministre soudanais, Abdullah Hamdok.

Ce dernier a mis en garde, le samedi 29 avril 2023, contre le danger que le conflit au Soudan s’aggrave et se transforme en l’une des pires guerres civiles au monde si rien n’arrive à le stopper.

Hamdok a déclaré dans la capitale kenyane, Nairobi : « Si le Soudan devait atteindre un point de véritable guerre civile… alors la Syrie, le Yémen et la Libye ne seraient plus que de petits duels ».

Il a ajouté : « Je pense que ce sera un cauchemar pour le monde », notant que cela aura de dangereuses répercussions, tout en qualifiant le conflit actuel de « guerre sans signification » entre deux armées, soulignant aussi que « personne n’en sortira vainqueur, et pour cette raison, ce conflit doit nécessairement connaître une fin ».

Il importe de noter qu’environ 75.000 personnes ont été déplacées à la suite du conflit au Soudan vers les pays voisins, l’Égypte, l’Éthiopie, le Tchad et le Soudan du Sud, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, tandis que des pays étrangers organisent des évacuations à grande échelle.

Les évènements au Soudan : Une tracasserie qui retient énormément l’opinion américaine

Le grand intérêt américain pour la question soudanaise a surpris de nombreux observateurs, compte tenu des relations tendues entre les deux pays au cours des trois dernières décennies. Depuis le début des combats entre l’armée et les Forces de soutien rapide, Washington a pris l’initiative de communiquer avec les deux parties et un certain nombre de capitales régionales concernées, et d’œuvrer à mettre fin aux combats.

Pour faire la lumière sur la position de Washington sur le conflit en cours au Soudan, la professeure Rebecca Hamilton, experte des affaires soudanaises et africaines au Collège de droit de l’Université américaine de Washington, a présenté sa vision des répercussions des combats qui s’y déroulent et des scénarios futurs.

• Pourquoi l’administration Joe Biden se soucie-t-elle tant de la situation au Soudan ?

Le Soudan est le troisième plus grand pays d’Afrique, et c’est une région où les administrations américaines successives ont investi d’importantes ressources diplomatiques et financières. Selon elle, l’administration Biden comprend que le type de violence que nous voyons actuellement au Soudan pourrait conduire à une catastrophe humanitaire et à l’instabilité dans la région pour les années à venir.

• Quels sont les principaux intérêts américains au Soudan ?

Rebecca Hamilton ne peux pas parler au nom de l’administration Biden, mais en général, la politique américaine a cherché à voir un Soudan démocratique et stable. Le problème est que la transition de la dictature à la démocratie ne se fait jamais du jour au lendemain, et pendant ce temps, il y a forcément de l’instabilité. La question qui se pose dans les années à venir est la suivante :

Comment les États-Unis et d’autres pays équilibrent-ils l’objectif de la démocratie avec l’objectif de la stabilité ?

Washington doit continuer à essayer d’obtenir le soutien des acteurs régionaux pour s’entendre sur la priorité et la nécessité d’arrêter la violence. Ils doivent investir dans la société civile soudanaise et écouter les gens quand ils disent qu’ils veulent rendre des comptes plutôt que de récompenser les criminels de guerre avec des positions de pouvoir.

La question ultime pour les États-Unis est de savoir s’ils feront ce qu’ils n’ont pas encore fait, c’est-à-dire rester solidaires des aspirations démocratiques du peuple soudanais même lorsqu’un règlement non démocratique apparaît comme le meilleur pari pour la stabilité.

Alors que le monde est préoccupé par les tentatives de trouver une solution politique à la guerre actuelle au Soudan, en conjonction avec l’évacuation des ressortissants étrangers et l’accueil des Soudanais fuyant l’enfer du conflit militaire, des signes de grandes répercussions économiques se profilent à l’horizon pour l’Égypte et les pays voisins si la guerre se poursuivrait encore longtemps, et c’est ce contre quoi l’agence de notation de crédit « Moody’s » a mis en garde, s’attendant à un impact négatif sur le crédit des pays voisins.

Par ailleurs, cette guerre « fratricide » a de multiples répercussions politiques, sécuritaires, humanitaires et économiques qui nécessitent des politiques rationnelles pour y faire face.

Appui médiatique :
L’ONU envoie un émissaire au Soudan :

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