Elhem Al yamma
Africa-Press – Congo Kinshasa. Leslie Varenne a été journaliste d’investigation pendant 20 ans, elle est une spécialiste reconnue de l’Afrique, continent sur lequel elle se rend régulièrement et auquel elle a consacré de nombreux articles, reportages, rapports et ouvrages dont « Abobo-la-guerre: Côte d’Ivoire, terrain de jeu de la France et de l’ONU’’ et récemment elle a publie un livre intitulé « Emmanuel au Sahel, itinéraire d’une défaite ».
Varenne retrace, dans ce livre, l’itinéraire d’Emmanuel Macron en Afrique depuis 2017. Elle raconte une longue suite de manque de stratégie, de vision, de méconnaissance des réalités africaines, d’approches technocratiques, d’erreurs, de contretemps.
Dans une interview avec « Africa Press », Leslie Varenne explique Les raisons du recul de l’influence française en Afrique et la stratégie française face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Ainsi que les effets de la montée de l’extrême droite sur ces relations.
Marcel Gay écrit dans son présentation du livre « Emmanuel au Sahel, itinéraire d’une défaite »: « ce livre est l’histoire d’un Président qui ne sait pas qu’il ne sait pas », comment vous expliquez que la perte d’influence de la France en Afrique?
De nombreuses raisons existent, les couches des griefs des Africains francophones envers la politique française se superposent. Avant l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, l’édifice sur lequel se reposait la France depuis les indépendances était déjà brinquebalant. Avec ce Président, il s’est écroulé comme un château de cartes. Comme il n’a eu ni vision, ni stratégie, sa politique a été erratique, illisible donc forcément elle n’a produit aucun résultat. Paradoxalement, moins il y avait de résultat et plus il se comportait de manière autoritaire, arrogante. Pour les Africains, comme d’ailleurs pour les autres pays du Sud, ces attitudes ne sont plus acceptables.
Dans le passé, il y a eu des dérives, même si elles s’exprimaient de manière plus nuancée, la différence est qu’aujourd’hui les Etats ont le choix de leurs partenaires. Ils choisissent d’abord les plus respectueux et ensuite ceux avec qui ils peuvent conclure des partenariats gagnants-gagnants. La plus grande erreur commise par ce jeune Président c’est de n’avoir pas compris que le monde avait changé et que la France n’était plus une nation indispensable. Il a perpétré beaucoup d’autres fautes par manque cruel de diplomatie mais aussi par méconnaissance de l’histoire, de la culture de ces sociétés, des rapports de forces internes. Il a néanmoins agi comme s’il connaissait les dossiers. C’est la raison pour laquelle dans mon introduction je le qualifie «de Président qui ne sait pas qu’il ne sait pas».
Est-ce que la Russie et la Chine déstabilise la France en Afrique?
Les zones d’influences ont disparu, le monde est en pleine reconfiguration, la concurrence ouverte bat son plein. L’Afrique est un continent convoité, courtisé, toute la planète est sur les rangs pour obtenir un bout de place au soleil. La Russie et la Chine font partie de ceux-ci, même si ces deux puissances ont des stratégies et des objectifs très différents. Cette dernière est présente depuis des décennies et intervient essentiellement sur le terrain économique, de ce point de vue, on ne peut pas considérer qu’elle déstabilise la France dans la mesure où Paris n’a pas les moyens de Pékin pour financer des infrastructures par exemple. La Russie avance sur tous les fronts économique, sécuritaire, diplomatique et elle a habilement manœuvré pour s’investir dans les pays que les militaires français ont été sommé de quitter, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Rejeter ces échecs sur le dos de Moscou est une forme de déni car en réalité, elle s’est d’abord contentée de profiter des erreurs commises par l’Elysée. Après les menaces d’Emmanuel Macron d’envoyer des hommes en Ukraine, elle a opté pour une politique plus agressive, clairement, on constate maintenant une volonté de déstabiliser la France, notamment au Tchad, dernier pays du Sahel où la France garde une présence militaire.
La montée de l’extrême droite en Europe affectera-t-elle ses relations avec l’Afrique?
L’extrême droite européenne sera confrontée aux principes de réalité. L’Afrique n’est pas un continent que l’on peut rejeter ou ignorer. Toutes les politiques visant à contenir l’immigration ont échoué. On le voit bien d’ailleurs avec l’Italie de Georgia Meloni qui après avoir menacé sur ce sujet a été obligée de faire volteface en régularisant 450 000 migrants.
D’une part, l’Europe vieillissante a besoin de main d’œuvre ; d’autre part, aucun Etat n’a intérêt à se fâcher avec les pays d’origine sous peine de rompre les relations commerciales et diplomatiques. Le plus préoccupant à mon sens serait la montée d’une forme de xénophobie débridée à l’intérieur de certains Etats européens qui pourrait générer des tensions avec les pays d’origine.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press
