Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Congo Kinshasa. À la lumière de l’escalade des conflits économiques et géopolitiques dans le monde, de la guerre en Ukraine (en Europe de l’Est), à la maladie économique en Grande-Bretagne, après le Brexit, en passant par le blocus économique étouffant imposé à la Russie, ainsi que l’escalade de la guerre commerciale et économique entre les deux plus grandes économies, des opportunités apparaissent pour d’autres puissances jusqu’ici considérées comme des « puissances périphériques ».
Peut-être que le continent africain fait partie des puissances situées en dehors du centre du monde qui pourraient trouver dès maintenant leur opportunité.
En effet, forte de son avantage comparatif clé en matière de conduite de la transition verte à l’échelle mondiale, l’Afrique peut réellement devenir une nouvelle plaque tournante de la chaîne d’approvisionnement internationale, y compris pour les industries à forte intensité technologique. Toutefois, pour réaliser cette ambition, la balle est principalement dans le camp des décideurs politiques africains et des entreprises, qui doivent positionner le continent à un niveau plus avantageux et à la place qu’il mérite, surtout que l’Afrique dispose d’un énorme potentiel pour alimenter les chaînes d’approvisionnement mondiales « en matière d’automobiles, de téléphones portables, d’aliments, d’énergies renouvelables et de soins de santé ».
Ces révélations ont été tirées du nouveau Rapport 2023 sur le développement économique en Afrique de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), publié le 16 août 2023. Le rapport sur le potentiel de l’Afrique à capter les chaînes d’approvisionnement mondiales à forte intensité technologique, indique que les pays africains bénéficient de nombreux avantages qui peuvent stimuler la diversification des chaînes d’approvisionnement mondiales, y compris pour les industries à forte intensité de connaissances et de technologies.
Bien que l’Occident ait parlé il y a quelques années de la ruée sur l’Afrique opérée par la Chine et les puissances économiques émergentes du monde non occidental traditionnel, non par souci du continent, mais plutôt dans le contexte de la lutte des puissances traditionnelles contre celles émergentes pour l’exploiter, le monde occidental, et les pays riches du Nord en général, avaient toujours considéré le continent africain comme une simple source de matières premières pour alimenter ses industries, ses échanges commerciaux et accumuler ses richesses.
Cela était vrai bien avant que les défunts empires européens ne colonisent les pays africains, mais, après l’indépendance obtenue au siècle dernier, l’Afrique n’est restée qu’un « arrière-plan » pour le vieux colonialisme, et d’autres formes d’exploitation se sont développées et existent encore aujourd’hui.
Le Nord désormais saturé et ses opportunités de développement et d’expansion diminuent régulièrement
Dans ce conteste, et à la recherche de débouchés pour le renouveau, émerge le continent africain, encore vierge dans de nombreux aspects du développement économique en raison de ses problèmes de gouvernance, alimentés par l’ancien et le nouveau colonialisme pour le maintenir moins avancé.
Ces dernières années, notamment après la crise épidémique de COVID-19 et la guerre en Ukraine, l’intérêt occidental pour le continent africain s’est considérablement accru. Cela a coïncidé avec des changements importants dans les pays du continent vers l’ouverture et la réforme dans le but d’attirer les investissements et de diversifier leurs économies pour parvenir à une croissance durable.
Dans son rapport annuel sur l’économie africaine, publié en août dernier, la CNUCED, un organisme dépendant des Nations Unies, a souligné que c’est vraiment « le moment pour l’Afrique » de devenir « une base importante pour les chaînes d’approvisionnement mondiales », mettant ainsi l’accent sur la nécessité pour les pays africains d’investir à l’échelle mondiale pour les aider à réaliser leur transformation économique et à occuper une position de premier plan dans l’économie mondiale.
Bien entendu, l’un des avantages dont bénéficie l’Afrique est qu’elle constitue une source mondiale importante de minéraux utilisés dans les industries technologiques de pointe, tels que :
• Cuivre,
• Cobalt,
• Lithium,
• Aluminium,
• Manganèse,
• Autres…
Cela s’ajoute évidemment aux réserves d’uranium, d’or et d’autres de certains pays du continent. Même le secteur énergétique en Afrique, y compris le pétrole et le gaz, a acquis une grande importance avec le besoin de l’Europe de sources d’énergie alternatives au pétrole et au gaz russes, dont elle a interdit l’importation l’année dernière.
Le point le plus important que l’on puisse noter dans le rapport, constitué d’environ 250 pages, est l’intérêt pour les pays africains de se tourner vers l’exploitation et la fabrication de ces minéraux et matières premières au lieu de les extraire et de les exporter, de sorte que le continent devienne un centre d’exportation de chaînes d’approvisionnement mondiales pour les industries à forte intensité technologique.
En parallèle, le rapport consacre une place raisonnable à l’explication de l’émergence d’une classe moyenne dans les pays africains qui pourrait constituer un marché important et prometteur pour la consommation de produits technologiques.
Il existe également un intérêt pour les transformations économiques dans un nombre raisonnable de pays du continent, et le rapport mentionne 17 pays qui travaillent déjà à modifier leurs lois, leur législation et leurs règles de réglementation des affaires pour ouvrir largement la porte aux investissements étrangers et encourager le secteur privé à mettre la main à la patte.
Cela est considéré comme une bonne opportunité pour diversifier l’économie, créer des opportunités d’emploi et augmenter les revenus de la main-d’œuvre du continent.
De la même manière, la multipolarité et les tensions géopolitiques aggravent la situation. Par conséquent, les fabricants du monde entier cherchent à diversifier leur empreinte géographique et leurs sites de production.
Néanmoins, il existe une mise en garde : « pour attirer les chaînes d’approvisionnement, les pays africains devront attirer les investisseurs ».
Selon le rapport, l’Afrique est en train de devenir un pôle d’attraction pour les marchés et les produits de consommation, ce qui en fait un corridor attractif pour les réseaux de chaînes d’approvisionnement, et les entreprises qui établissent des bases de chaînes d’approvisionnement en Afrique ou établissent des partenariats avec des fournisseurs locaux, créeront une multitude d’emplois.
Désormais, les Africains ont leur place à la table des négociations, et ils peuvent empêcher l’histoire de se répéter et inverser la tendance à leur profit. Il s’agit de transformer cette « malédiction des ressources » en une « bénédiction » en exploitant leurs ressources pour développer le continent.
Il importe de rappeler que l’Afrique possède 30 % des réserves minérales mondiales, dont beaucoup sont essentielles à la transition verte. Les décideurs politiques ont une chance d’exploiter cette opportunité géostratégique apportée par l’énorme demande de minéraux, et à titre d’exemple, les données de la Banque mondiale indiquent que la demande de « lithium » triplera d’ici 2040, sachant que le prix de la tonne de lithium est passé d’environ 6.000 dollars en 2020 à plus de 78.000 dollars en 2022 au Nigeria. Cela implique que le Nigeria ne peut pas littéralement tirer des milliards de dollars de ses ressources en lithium.
Diamants en Afrique du Sud
La ruée vers l’or et la ruée vers les diamants en Afrique du Sud en sont un autre exemple. Le pays fait pression depuis un an pour le retour de la « Grande Étoile d’Afrique ou Cullinan I ».
Cette pierre précieuse est le plus gros diamant taillé à blanc connu au monde et le plus gros diamant brut jamais trouvé. Le diamant, qui pèse 530 carats, a été découpé en neuf pierres et 97 fragments. Il fut découvert en Afrique du Sud en 1905 et offert à la monarchie britannique deux ans plus tard par le gouvernement colonial.
Les appels au retour de ces diamants se sont notamment fait sentir après la mort de la reine Elizabeth II en septembre 2022 et récemment en mai 2023 lors du couronnement du roi Charles III. « L’Étoile d’Afrique » était placée au sommet du sceptre présenté au roi Charles III, lors de la cérémonie de couronnement. De plus, Cullinan 2 est placé devant la couronne qu’il portait.
Éléments de terres rares
Les éléments des terres rares (ETR) font référence à un groupe de 17 métaux. Ils comprennent entre autres :
• le nickel,
• le manganèse,
• le chrome,
• le graphite,
• le lithium,
• le néodyme,
• le samarium,
• l’yttrium.
Ils sont utilisés dans la fabrication de produits électroniques tels que les ordinateurs, les smartphones, les appareils photo numériques, les téléviseurs, les lampes fluorescentes et les diodes électroluminescentes. De plus, ils sont utilisés dans la technologie des énergies renouvelables. De plus, les terres rares sont utilisées dans la défense nationale, dans la fabrication de satellites, de moteurs à réaction, d’équipements GPS, de guidage de missiles, de générateurs pour éoliennes, d’armes militaires et d’autres systèmes de défense.
Alors, pourquoi l’Afrique n’est-elle pas un poids lourd dans l’industrie de la chaîne d’approvisionnement mondiale ?
Une multitude de défis pèsent sur ce secteur lucratif. La CNUCED cite de faibles niveaux de technologie, des capitaux limités, des institutions et des réglementations faibles et des marchés fragmentés. L’écosystème logistique actuel a besoin d’une refonte majeure des actions politiques pour surmonter ces obstacles.
Le problème de la réalisation de ces espoirs et de la possibilité pour l’Afrique de saisir cette opportunité est que les pays du continent souffrent d’un lourd fardeau de la dette.
Effectivement, avec la hausse des taux d’intérêt dans les grands pays, le service de la dette ronge les budgets des pays africains, entravant leur capacité à investir dans la transformation économique. En outre, sa capacité à emprunter ou à restructurer ses dettes se heurte à d’extrêmes difficultés, car emprunter lui coûte quatre fois plus que ce qu’il coûte aux emprunteurs occidentaux.
Quant aux investissements dans l’industrie manufacturière technologique, ils restent très faibles et la part de l’Afrique dans ces investissements au niveau mondial ne dépasse pas 2%. Il est vrai que ces investissements se sont légèrement améliorés au cours des deux dernières années pour atteindre environ quarante milliards de dollars, mais les pays du continent doivent doubler ce chiffre s’ils veulent saisir l’opportunité et réussir leur place en tant que composante montante du marché économique mondial.
Quant à l’accent mis sur les chaînes d’approvisionnement, également, il s’inscrit dans le contexte des efforts des États-Unis et de l’Occident pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine en tant que plus grand centre de chaînes d’approvisionnement au monde, en particulier dans les industries technologiques. Il y a des encouragements pour d’autres centres, comme l’Inde par exemple. Cependant, l’Afrique représente une meilleure opportunité grâce à un accès facile aux matières premières extraites de ses propres terres et à sa propre main-d’œuvre flexible et facilement adaptable.
Néanmoins, il y a un important problème qui se pose : « la majeure partie des activités d’exploration, d’extraction et d’exportation de ces matières premières est réalisée par des sociétés internationales et transcontinentales, dont les principaux sièges sociaux se trouvent en Occident ».
Il n’est donc pas clair si ces entreprises verront un intérêt à développer une production manufacturière locale en Afrique, ou si elles préféreront leur système d’exploitation actuel, qui leur rapporte de plus grands profits.
La ruée vers les minéraux verts
Le rôle central de l’Afrique dans la transition verte mondiale ne peut être nié. Le continent abrite des minéraux indispensables aux technologies d’énergie propre, et leur demande augmente de jour en jour en raison de la transition verte vers l’abandon des combustibles fossiles.
À la lumière de cela, l’Union africaine et d’autres organismes régionaux élaborent une stratégie africaine pour les minéraux verts, afin de guider les politiques, réglementations et institutions minières. Il s’agit, entre autres objectifs, de rationaliser le climat d’investissement et d’attirer les chaînes d’approvisionnement mondiales.
A noter que l’Afrique a le dessus dans la transition énergétique mondiale, qui pourrait révolutionner le secteur de la chaîne d’approvisionnement. Les données de l’ONU indiquent que l’Afrique détient 30 % des réserves minérales mondiales, et abrite 65 % de la totalité des terres arables de la planète et 8 % du gaz naturel mondial. En outre, l’Afrique abrite environ 12 % des réserves mondiales de pétrole.
Par ailleurs, l’expansion des chaînes d’approvisionnement énergétique en Afrique est également une opportunité d’accélérer le plan de libre-échange du continent, la ZLECAf, sachant que l’écologisation des chaînes d’approvisionnement est également réalisable en exploitant l’énergie éolienne, solaire et verte de l’Afrique.
Renforcer les industries minières en Afrique
Dans la course à la neutralité climatique d’ici 2050, l’Union européenne, à travers son initiative REPowerEU, vise à réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Le bloc a parcouru le monde à la recherche d’autres partenaires commerciaux pour les minéraux.
À la lumière de cela, l’UE a dévoilé sa loi sur les matières premières critiques, afin d’éviter le risque de perturbations de la chaîne d’approvisionnement et ses effets néfastes. La loi vise à rendre le bloc moins dépendant de fournisseurs uniques en renforçant les industries minières dans les pays africains comme la RDC.
Mais, en fin de compte, peu importe ici que l’Afrique se développe ou non, autant que les revenus et les bénéfices qui devraient être beaucoup plus importants pour les entreprises occidentales.
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