Africa-Press – Congo Kinshasa. Les groupes extractifs ont décidé d’appuyer les efforts du gouvernement pour appuyer un développement minier artisanal responsable coexistant avec les sites industriels.
En juin 2019, la plupart des concessions des grands groupes miniers industriels installés en RDC ont été envahies par des creuseurs à la recherche de minerai de cobalt et de cuivre. Ces incursions ont entraîné un arrêt complet de la production de ces sites pendant plusieurs jours, notamment à la mine de Kamoto (dans le Lualaba), détenue majoritairement par le suisse Glencore, où 2 000 creuseurs avaient franchi les clôtures de la concession.
Sur ce site, le 27 juin 2019, l’effondrement de deux galeries percées artisanalement avait entraîné la mort de 19 creuseurs. Une semaine plus tard, les autorités faisaient intervenir l’armée pour déloger ces quelque 2 000 mineurs illégaux. Des événements similaires avaient également eu lieu à la même période dans la mine de Tenke Fungurume (TFM) de China Molybdenum, l’autre mégacomplexe minier de la région, plus à l’est, dans le Haut-Katanga.
Conflits récurrents
À la suite de ces interventions de l’armée, dans les rues de Kolwezi, la capitale provinciale du Lualaba, des centaines de creuseurs avaient manifesté leur colère contre leurs gouvernants et les compagnies, réclamant leurs propres zones minières pour subsister.
En RDC, les conflits entre mineurs artisanaux, industriels et autorités sont récurrents. Mais dans le Lualaba et le Haut-Katanga, les activités minières artisanales sont cruciales pour l’économie et les populations locales. En 2016, pas moins de 10 000 creuseurs avaient envahi la concession de Tenke Fungurume.
« On estime qu’il y a dans ces deux provinces entre 140 000 et 200 000 creuseurs vivant de cette activité, dont les revenus nourrissent sans doute cinq fois plus de personnes ! » explique Jean-Dominique Takis, le directeur général de l’Entreprise générale de cobalt (EGC).
Des efforts centrés sur le cobalt
Ce responsable estime qu’environ 20 % du cobalt extrait de RDC (70 % de la production mondiale) provient de cette filière, qui pose de nombreux problèmes de sécurité, de protection des enfants, de pollution et de traçabilité. « Les creuseurs sont nombreux, très mobiles, et s’adaptent rapidement aux fluctuations des cours : à la fin de 2018, lorsque les prix du cobalt ont chuté, ils se sont rabattus sur l’extraction de cuivre ou d’or. Aujourd’hui, alors que le cours du cobalt remonte, le mouvement est inverse », observe Jean-Dominique Takis.
EGC est la toute nouvelle filiale de la Gécamines (qui, depuis l’indépendance, gère les intérêts miniers de l’État dans l’ex-Katanga), créée en novembre 2019 par décret présidentiel. Il lui a été octroyé le monopole d’achat, de transformation et de commercialisation du cobalt extrait artisanalement.
Minerai stratégique, le cobalt concentre en effet les efforts des autorités pour encadrer et accompagner le développement de mines artisanales responsables. Utilisé dans la fabrication des batteries de véhicules électriques, peu disponible ailleurs dans le monde, il suscite l’appétit des constructeurs, ainsi que de leurs fournisseurs – négociants et fabricants de batteries –, désireux de sécuriser leur approvisionnement.
Cela a entraîné l’engouement des creuseurs autant que l’inquiétude des ONG – en particulier Amnesty International, auteur d’un rapport remarqué sur le sujet en 2018 –, qui craignent l’exploitation des mines par des groupes armés, le travail des enfants et des risques pour l’environnement. Kinshasa veut profiter de cette conjoncture dans la filière extractive pour changer la donne.
Il y avait de nombreux accidents. Cette situation nous préoccupait, tout comme nos acheteurs internationaux Pour développer ses activités, EGC va s’appuyer sur l’expérience du géant du trading Trafigura. Cet autre groupe suisse – 147 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020 – s’est en effet lancé en 2017 dans une expérience atypique pour une entreprise de négoce de cette envergure en nouant un partenariat avec un site extractif artisanal à Mutoshi, au nord-est de Kolwezi.
« Les mines artisanales font partie de notre industrie, les creuseurs sont là depuis la nuit des temps. Cette activité comporte bien sûr des risques très importants, mais, plutôt que de nier leur existence, Trafigura a décidé de s’engager dans un projet pilote pour déterminer comment une compagnie comme la nôtre, acheteuse d’hydroxyde de cobalt, pouvait aider à réduire ces risques en ayant un impact local positif majeur », explique James Nicholson, chargé des programmes de responsabilité sociétale du groupe.
Cobalt : des cours à nouveau à la hausse
Après une hausse exponentielle suivie d’une chute brutal de son cours mi-2018, le cobalt est reparti à la hausse du fait de son rôle irremplaçable dans les batteries des véhicules électriques et des initiatives pour en favoriser son exploitation responsable en RDC, qui produit 70% des volumes mis sur le marché.
« En 2017, nous avions le projet de signer un contrat d’achat avec le groupe Chemaf, concessionnaire de Mutoshi, qui voulait mécaniser le site. Mais cette décision suscitait des tensions avec des mineurs artisanaux illégaux présents sur place, auxquels Chemaf refusait d’acheter du cobalt. Il y avait de nombreux accidents. Cette situation nous préoccupait, tout comme nos acheteurs internationaux. En accord avec Chemaf, nous avons décidé de lancer un projet pilote pour aider les mineurs artisanaux à être légalement enregistrés et à gérer les risques de leur activité en nouant un partenariat avec l’ONG américaine Pact », raconte le cadre de Trafigura.
1 000 creuseurs accompagnés ont injecté collectivement plus de 1 million de dollars par an dans l’économie locale
Enregistrement des membres de la coopérative, amélioration des équipements des creuseurs, audit et amélioration des processus de production, contrôle et clôture des sites, formations techniques et de sécurité, une série de standards et de procédures ont été élaborés et mis en place par les creuseurs congolais de Mutoshi, appuyés par Trafigura, Chemaf et l’ONG Pact. Selon Trafigura, cette expérience de plus de deux ans à Mutoshi – de la fin de 2017 au début de 2020, jusqu’à ce que les couches exploitables artisanalement soient épuisées – a été couronnée de succès.
« Les quelque 1 000 creuseurs accompagnés ont injecté collectivement plus de 1 million de dollars par an dans l’économie locale grâce à leurs revenus », fait valoir James Nicholson, heureux de n’avoir déploré aucun accident mortel sur le site.
Le siège social de la compagnie minière Tenke Fungurume Mining, à Lubumbashi, capitale de la province minière du Katanga, en République démocratique du Congo, le 9 mars 2015 © Gwenn Dubourthoumieu/Jeune Afrique
Lorsque le monopole EGC a été créé par les autorités congolaises, la nouvelle entité s’est logiquement tournée vers Trafigura, sélectionné après un appel d’offres en juin 2020, pour l’accompagner dans son développement. « Quatre groupes internationaux se sont manifestés, indique Jean-Dominique Takis. Un consortium japonais, un nord-américain, et deux européens, dont Trafigura, mais pas Glencore », précise-t-il.
Cet autre géant des matières premières a également évolué dans son approche des mines artisanales, mais a défini une autre stratégie en la matière. « Contrairement à nos concurrents négociants, nous avons en RD Congo des infrastructures industrielles majeures, avec notre site de Kamoto, qui produit environ 30 000 tonnes de cobalt par an, mais aussi celui, temporairement suspendu, de Mutanda, capable d’ajouter à cela entre 15 000 et 20 000 t. Nous n’avons pas besoin d’acheter du minerai artisanal », explique David Brocas, le responsable de la filière cobalt de Glencore.
En revanche, marqué par les événements dramatiques de juin-juillet 2019 à Kamoto, le groupe suisse, jusqu’alors peu disert sur le sujet, entend désormais promouvoir une coexistence pacifique et collaborative entre mineurs industriels et artisanaux. « D’une part, nous avons besoin de continuer l’exploitation de nos sites miniers sans risques pour les personnes et sans perturbation de production ; et, d’autre part, nous devons établir la réputation de la marque Glencore Cobalt comme étant socialement responsable », fait valoir David Brocas.
Glencore s’est donc impliqué dans la Fair Cobalt Alliance (FCA), qui fédère les efforts des miniers – le chinois Huayou Cobalt en est membre –, de leurs clients (dont Tesla) et d’ONG pour appuyer les autorités congolaises et les coopératives artisanales afin de changer la donne pour les creuseurs de cobalt.
Selon David Brocas, même s’il existe, outre FCA, plusieurs autres initiatives autour des mines artisanales – notamment Cobalt for Development, porté par la coopération allemande entre Volkswagen et BMW, mais aussi la Global Battery Alliance (GBA, émanation du World Economic Forum) et la Responsible Mining Initiative (RMI, appuyée par Apple, Google et Microsoft) –, cela n’empêche pas ces différentes organisations de collaborer entre elles et de se répartir les rôles.
« GBA considère FCA comme son interlocuteur sur la filière du cobalt en RD Congo ; l’initiative allemande va rejoindre FCA ; quant à RMI, elle a la responsabilité de définir les standards de production minière artisanale et responsable », décrypte le cadre de Glencore.
Épaulés par ces organisations et par les grands miniers et négociants tels que Glencore et Trafigura, la RD Congo et EGC ont deux grands défis à relever pour assainir radicalement la filière du cobalt artisanal. Le premier d’entre eux est de délimiter les zones d’exploitation artisanales (ZEA) et de les attribuer à des coopératives de creuseurs.
« Des ZEA ont été délimitées par les ministères nationaux et provinciaux des Mines, et l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (Arecoms) délivre les permis aux coopératives, mais cela prend du temps » , reconnaît Jean-Dominique Takis, conscient que l’activité artisanale illégale continue de se développer dans les zones reculées en dehors des ZEA et des canaux de commercialisation officiels d’EGC, qui ne prévoit de commencer à acheter du minerai qu’à partir de mars 2021.
Quant aux sites miniers artisanaux coopératifs choisis par EGC pour commencer ses achats, et accompagnés par Trafigura et Pact, ils devraient dans un premier temps se limiter à trois : deux dans le Lualaba, et un dans le Haut-Katanga. « Il faut agir progressivement, mais nous sommes confiants sur la capacité à multiplier ces mines artisanales rapidement par la suite », fait valoir James Nicholson. Du fait du risque réputationnel, plusieurs grands clients cherchaient à restreindre leurs besoins en cobalt congolais. Ce n’es plus à l’ordre du jour
Le second défi est celui de la première transformation du minerai en hydroxyde de cobalt, qui peut être exporté. « Jusqu’à présent, une dizaine de centres de traitement, pour la plupart appartenant à des Asiatiques, achetaient le minerai brut de cobalt aux mineurs artisanaux pour le transformer. Désormais, du fait de l’établissement d’EGC en monopole sur cette filière, ils n’ont plus le droit de le faire », indique le patron de la filiale de la Gécamines.
Jean-Dominique Takis prévoit de s’appuyer sur les structures de sa maison mère, mais qui, au démarrage de l’achat du minerai artisanal, devraient se révéler insuffisantes. « L’usine Gécamines de Shituru devrait être opérationnelle, mais cela prendra plus de temps à Kolwezi, indique le DG d’EGC. Nous envisageons donc de nouer un partenariat avec l’un ou l’autre de ces centres de traitement capable d’un taux de récupération du minerai de plus de 75 %. »
Le chemin de l’assainissement de la filière minière artisanale du cobalt sera encore long. Mais la mobilisation de l’État et des acteurs privés de la filière a impulsé un changement positif sur la réputation du cobalt congolais… et sur son marché. « Il y a deux ans, du fait du risque réputationnel, plusieurs de nos grands clients cherchaient par tous les moyens à restreindre leurs besoins en cobalt congolais en lui substituant d’autres minerais. Ce n’est plus à l’ordre du jour. Nous signons désormais des contrats de vente à terme non plus d’un an, mais de cinq, voire dix ans, pour ce minerai crucial pour la transition énergétique », se réjouit David Brocas.
Jean-Dominique Takis Kumbo, pilote d’un nouveau monopole
Haut-cadre de la Gécamines, où il épaule depuis 10 ans son président Albert Yuma Mulimbi à son conseil d’administration ainsi qu’à son comité stratégique, Jean-Dominique Takis Kumbo, ancien député du Dungu (Haut-Uele), a été choisi pour piloter l’Entreprise générale de cobalt (EGC, filiale de Gécamines) monopole d’achat, de transformation et d’exportation du cobalt extrait artisanalement en RDC créé en novembre 2019.