Quand « Les Emirats Arabes Unis » partent à la conquête du monde et se voient comme une nouvelle Venise

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Quand « Les Emirats Arabes Unis » partent à la conquête du monde et se voient comme une nouvelle Venise
Quand « Les Emirats Arabes Unis » partent à la conquête du monde et se voient comme une nouvelle Venise

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Congo Kinshasa. Indépendant depuis le 2 décembre 1971, l’Etat des Emirats arabes unis, qui venait tout juste, à cette date, de s’extraire du joug colonial du Royaume-Uni, et qui s’étale sur une superficie de 82880 km2, a réalisé en 2022 un PIB par habitant de 78255 dollars US.

Et c’est l’étoile étincelante de ce pays qui aurait incité l’écrivain français Sébastien Boussois, Docteur-chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Bruxelles) et à l’UQAM (Québec), à lui consacrer un intéressant livre intitulé : « Les Emirats arabes unis à la conquête du monde », paru le 14 septembre 2021 en 190 pages chez Max Milo.

Il faut rappeler qu’en 1968, les Britanniques s’étaient retirés de la région en mettant fin aux neuf émirats dits « États de la Trêve », qui étaient composés également des États de Bahreïn et du Qatar, lesquels déclarèrent leur indépendance respectivement en août et en septembre 1971.

Ainsi, les sept émirats restants « Abou Dhabi, Ajman, Charjah, Dubaï, Fujaïrah, Oumm al Qaïwaïn, et Ras el Khaïmah (qui les a rejoint en 1972) » ont réussi à former une union transformée après en fédération qui prit le nom d’« Émirats arabes unis ».

Le pays connaît alors une importante période de développement économique et démographique, sachant que dès le début des années 1960, un premier gisement de pétrole fût déjà découvert à Abou Dhabi, ce qui permit le développement rapide de l’émirat, sous la conduite du cheikh Zayed ben Sultan Al Nahyane, lequel fit construire des écoles, des hôpitaux, des logements et des routes.

Pourtant, les Émirats étaient jusqu’alors extrêmement pauvres. Il n’y avait presque pas de médecine dans les années 1960 et la plupart de la population était analphabète.

Quelles orientations prises par les EAU ?

L’auteur du livre : Sébastien Boussois

Il importe de dire que, après avoir parcouru les pages de ce livre, les Emirats Arabes Unis, possèderaient deux visages :

• Le premier étant dirigé vers l’ouest, afin de se refléter dans le miroir de la modernité, de la tolérance religieuse et de la diversification économique,

• Le second, moins connu, reposerait sur l’autoritarisme, l’opacité financière et le blanchiment d’argent, notamment celui détourné de l’aide à l’Afghanistan. Et surtout, la poursuite incessante de l’influence internationale, et pour cette raison, il a participé au cours de la dernière décennie à la guerre du Yémen, au blocus du Qatar, et a accru son ingérence dans les affaires des autres pays arabes.

La contre-révolution est devenue l’obsession du prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed ben Zayed, l’homme fort des Emirats, gâté par les grandes puissances, dont la politique étrangère se caractérise fondamentalement par la volonté d’assurer la survie des Emirats en un environnement volatil, et cela se reflète notamment dans l’alliance avec Israël.

Cette situation complexe fait donc l’objet du livre de l’auteur-chercheur et professeur français de relations internationales, Sébastien Boussois, et son objectif est d’offrir une lecture pointue de l’état de ce pays, qui s’est imposé en quelques décennies, se présentant comme éclairé, moderne et libéral. Mais son revers réside dans le fait que lorsqu’il ne fait pas la guerre, il s’immisce dans les affaires d’autres pays comme la Tunisie, le Yémen, la Libye, le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie, et peut-être même d’autres pays à l’avenir.

Le chercheur affirme qu’Abou Dhabi « dans sa lutte pour la survie et la prospérité a pris pour modèle : Israël ». Dans l’imaginaire de Mohammed ben Zayed, l’État hébreu constitue « le bastion qui s’est battu pour la liberté dans la région ».

Il estime que la comparaison peut sembler contradictoire et absurde, car « Comment maintient-il son intégrité dans un contexte géopolitique agressif et défavorable, et poursuit-il un développement économique et social sans précédent face à des ennemis puissants ? » Pourtant, tous deux partagent une vision de l’Iran comme ennemi ultime.

Cela conduit à « l’israélisation d’Abu Dhabi », comme l’affirme le témoignage d’un islamologue franco-syrien, Bassam Tahhan, dans une interview que l’auteur avait accordée en octobre 2019, après un discours que l’ancien ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, avait prononcé devant l’American Israel Public Affairs Committee ( AIPAC), lors duquel il s’était efforcé d’amender le passé, exprimant ses regrets pour le « boycott injuste qui dure depuis des décennies contre Israël ».

Pour lui, « c’était une erreur très grave, et pour cause : ce que nous partageons aujourd’hui est bien plus que ce que nous perdons, notamment en prenant l’exemple d’Israël et sa lutte pour sa propre survie », a-t-il laissé entendre.

Des rêves de grandeur

Pour l’écrivain, « Les Emirats ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres, de l’israélisation de petits pays arabes, de très petits pays, qui rêvent de grandeur. Et parce que les Emirats sont un petit pays et à la lumière de ce qui s’est passé au Moyen-Orient, ses dirigeants ont réalisé que l’argent devait servir à devenir un pays fort dans tous les sens du terme :

• scientifique,

• militaire (achat d’armes, fabrication, politique étrangère),

• et économique (investissement étranger).

Israël devient indirectement un exemple pour ces gens, et c’est le succès d’Israël qui poussera certaines minorités du pays vers une idée de petit pays puissant et expansionniste.

Boussois ajoute : « Abou Dhabi s’est rendu compte qu’il n’y aurait pas de salut sans l’émergence d’un émirat diversifié et armé… La ville est devenue une forteresse, et elle a remporté de nouvelles batailles avec Dubaï pour accroître le contrôle des ports du monde entier, et former des mercenaires en Afrique pour sécuriser les voies maritimes contre les pirates, surtout dans la Corne de l’Afrique ».

L’essor régional émirati au Moyen-Orient a franchi une nouvelle étape en août 2020, en normalisant les relations avec Israël, sous le nom des « accords d’Abraham ». Au fond, il s’agit de « former un front uni conjoint contre l’Iran avec le Royaume d’Arabie saoudite, mais c’est aussi l’accomplissement d’un vieux fantasme émirati qui voit aussi Israël comme un modèle de développement exceptionnel ». Les Émirats arabes unis ne voient rien de dangereux dans cette démarche tant qu’ils se sont hissés parmi les puissances régionales, car le but sera d’unir les forces contre le premier ennemi de la région : l’Iran.

D’autre part, Abou Dhabi bénéficie du génie israélien en matière de nouvelles technologies de l’information, d’armement et d’outils de sécurité, notamment cybernétique, pour assurer sa survie et monter plus haut que jamais, et ça c’est permis ». En plus l’écrivain estime que « l’israélisation des Emirats s’appuie sur le modèle du pays émergent, que le président français Emmanuel Macron a fait personnellement imaginer, mais surtout il a inspiré Mohammed ben Zayed à développer son pays à travers le soutien apporté sur la base de la haute- industries technologiques, les industries de l’armement et de la sécurité, la protection électronique, la diversification économique et les investissements dans le monde ».

Séduction inégale…mais mutuelle

Comme le conclut l’auteur, et comme preuve de cela, une photo a été prise de l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Yisrael Katz, en juillet 2019, dans la cour de la mosquée Sheikh Zayed à Abu Dhabi, afin de confirmer l’intérêt de Tel-Aviv pour les politiques émiraties, et pas seulement en termes de sécurité. Une délégation de lycéens israéliens a participé au premier concours de robotique de Dubaï, au cours duquel des représentants des Émirats arabes unis ont remporté quatre médailles. La délégation israélienne a remporté quant à elle deux médailles d’or et une d’argent et s’est qualifiée pour la phase finale aux États-Unis, où elle a également rencontré l’Italie, l’Ouganda et l’Australie. Ofir Akunis, alors ministre des Sciences et de la Technologie, a déclaré qu’ « ils ont obtenu des résultats sans précédent » et qu’il « n’a jamais douté de leur capacité à obtenir d’excellents résultats ».

A propos de surveillance

Pour comprendre à l’avance les enjeux de cette surprenante alliance, l’auteur propose de se référer aux « Panama Papers », qui avaient révélé que Matti Kochavi, un homme d’affaires israélien qui a fait fortune dans l’immobilier, est devenu un marchand d’armes de premier plan, agissant comme un médiateur entre les pays intéressés. Dans le contexte post-11 septembre, il aurait construit un empire de la surveillance électronique qui propose des solutions combinant des caméras avec des barrières de sécurité à la pointe de la technologie. Et « craignant l’agression iranienne », les EAU ont appelé Kochavi à mettre en place des équipements pour se défendre en échange de grosses sommes d’argent.

Selon l’auteur, des documents obtenus par Haaretz en 2017 ont révélé un accord d’une valeur de trois milliards de shekels (plus de 760 millions d’euros), dont une partie devait être payée en espèces. Ce montant comprend une des filiales du groupe et des personnalités émiraties. Un examen attentif de la correspondance divulguée du cabinet juridique et financier d’Appleby révèle que l’armée des Émirats arabes unis, si impressionnée par les performances des avions de renseignement électronique israéliens et britanniques, souhaitait acquérir ce type de capacité aérienne en prévision d’une guerre contre l’Iran.

Toujours selon Sébastien Boussois, l’intérêt de Mohammed ben Zayed pour la technologie israélienne remonte à 2008, et les premières grandes tensions avec l’Iran sont dues au début d’une coopération entre les EAU et Israël, en modernisant deux vieux avions civils afin de les transformer en appareils d’espionnage équipés avec du matériel de surveillance. L’auteur explique que cela a été fait grâce à une série d’ « arrangements » financiers qui sont passés par des sociétés écrans, et dans le cas des avions espions, l’armée a choisi une société à Abou Dhabi appelée « Advanced Integrated Systems » (AIS), créée en 2006 et détenue par Abdullah Ahmed Al Balushi., proche des services de renseignement.

Le livre ajoute, parmi les documents, une facture datée de 2015 d’un montant de 629 millions d’euros pour les deux appareils équipés et leur maintenance, soit une augmentation de 80 millions par rapport à l’arrangement initial entre les EAU et l’armée britannique, qui remontait à 2010. Leurs programmes d’interception des signaux électroniques (ELINT) pour 65 millions d’euros, les antennes longue portée et logiciel de décodage pour l’écoute et l’interception des communications pour 80 millions d’euros, le système d’autoprotection de l’avion pour 42 millions d’euros, l’aménagement de caméras inclinables pour plus de 40 millions d’euros et 35 millions d’euros pour le support et la maintenance.

Le scandale de « Pegasus »

L’auteur révèle que c’est AGT International qui a fourni des milliers de caméras, des lecteurs de plaques d’immatriculation et toute l’infrastructure informatique pour le Département de la sécurité urbaine à Abu Dhabi, et à toutes les frontières et points d’entrée aux Émirats. L’ensemble de cette infrastructure est géré par un système d’intelligence artificielle fourni par Wisdom, une société israélienne chargée de brasser en temps réel des millions de vidéos et d’images captées sur le territoire, sans aucune garantie que ces données ne soient pas sous le contrôle d’entités autres que le Emirates, et Israël pourrait-elle les utiliser à son avantage dans des guerres offensives à Gaza, des interventions militaires dirigées contre des ennemis, l’utilisation d’armes non conventionnelles, des cyberattaques gouvernementales, etc.

Et durant l’été 2021, le scandale du programme « Pegasus », commercialisé par la société israélienne NSO, a renforcé les doutes qui pesaient sur les fondements de la relation entre Israël et les Emirats. L’auteur du livre cite ce qu’ont écrit les deux journalistes spécialisés, Damien Leloup et Martin Untersinger : « Israël protège et chérit le NSO, qui est l’un de ses outils de soft power, et dont la mise à disposition des gouvernements a pu contribuer au rétablissement des relations diplomatiques. « Les activités de l’ONS éclairent en partie le rapprochement récent entre Israël et l’Arabie Saoudite, la Hongrie ou le Maroc ».

Apparemment, le rapprochement entre certains pays et Israël semble lié à la commercialisation de cet outil d’espionnage, dont les pièges sont massifs : 50 000 numéros de téléphone, dont ceux de chefs d’État et de dissidents, d’activistes, d’avocats et de journalistes, sont susceptibles d’avoir été infectés. Parmi eux se trouve le réseau Downing Street du bureau du Premier ministre, selon le « Citizen Lab » canadien, spécialisé dans la recherche sur la cybercriminalité et les systèmes d’information, dans un communiqué publié dans ce sens.

Les projets des EAU en Afrique

L’écrivain revient sur les projets des EAU en Afrique, car ils « s’attaquent désormais ouvertement à l’Afrique subsaharienne. C’est le nouvel objectif géostratégique de Mohammed ben Zayed pour assurer l’avenir de son pays ». Et il estime que ce qui s’est passé au Soudan et ce qui se passe en Ethiopie annonce davantage d’interventions émiraties, « le tout dans la logique de faire des Emirats non seulement un Etat israélien émergent, mais aussi un instigateur diplomatique et militaire sur le continent ».

Il explique en détail comment les Émirats arabes unis, en concurrence avec la Chine, sont devenus un acteur colonial majeur, pour attaquer « terres et mers », et piller les richesses, l’eau, les minéraux et même les sols arables.

Autres visions en rapport

L’entrée prochaine de DP World* sur le marché kenyan permettra aux EAU de renforcer leur emprise sur les ports et les routes commerciales de la région. Comme la Chine le long des « nouvelles routes de la soie », Abou Dhabi tisse un chapelet de perles à travers l’Afrique de l’Est, de l’Égypte au Mozambique. Hormis Djibouti, où il est en conflit avec les autorités, et l’Erythrée, où il s’est récemment retiré, la puissance du port s’étend sur tout le flanc oriental du continent grâce à ses bras financiers, DP World et Abou Dhabi, et à une diplomatie aventureuse.

*DP World, filiale de Dubai World, société de participation appartenant au gouvernement de Dubaï est le troisième exploitant portuaire mondial. Elle possède 49 terminaux et prévoit d’en acquérir 12 autres.

Quand les Emirats se voient comme une nouvelle Venise

L’implantation émiratie dans la région a débuté en 2006 à Djibouti. « Les Emirats se voient déjà comme une nouvelle Venise, une puissance culturelle et commerciale extérieure, et un nouvel Sparte, un émirat fortement axé sur la « puissance militaire dure », a confié l’auteur Sébastien Boussois.

Appui médiatique
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