Africa-Press – Congo Kinshasa. Dans les deux Kivus, les ressources minières sont au cœur d’un système complexe mêlant conflits armés, contrebande transfrontalière et stratégies économiques régionales. L’or, le coltan, l’étain ou encore le tantale, souvent présentés comme les moteurs de la violence, structurent en réalité une économie parallèle qui profite autant à des groupes armés locaux qu’à des réseaux internationaux.
Quels sont les produits miniers les plus structurants des conflits?
Les produits miniers les plus structurants des conflits dans les Kivus sont l’or, les « 3T » (étain, tantale, tungstène) et, dans une moindre mesure, les pierres de couleur. L’or occupe une place centrale.
Selon Christoph Vogel, chercheur sur les dynamiques de conflit en Afrique centrale, il a « une valeur bien supérieure » aux autres minerais, notamment parce qu’il est non traçable une fois fondu. Cela peut en faire un outil privilégié dans l’économie de la guerre. Zobel Behalal, expert à la GI-TOC (Global Initiative Against Transnational Organized Crime), explique que 750 000 kilos d’or sont extraits illégalement tous les six mois au Sud-Kivu et dirigés vers les pays voisins, où cet or est raffiné, notamment à Rubavu. Il ajoute que le gramme s’échangeait entre 40 et 50 dollars américains (USD) il y a quelques années, contre 80 à 100 USD aujourd’hui, avec une forte demande des acheteurs ougandais, dans la zone où sont déployés des soldats de la Uganda People’s Defence Force (UPDF).
Pour sa part, Christoph Vogel appelle à la prudence. Il considère que le lien entre minerais et violences doit encore faire l’objet d’un intérêt scientifique. Il fait par exemple remarquer que l’implication minière du groupe armé M23 a changé dans le temps: elle était faible entre 2021 et 2023, mais le mouvement a ensuite pris le contrôle de Rubaya, une zone connue pour son coltan.
Dans cette région, il faut noter que les groupes armés tirent aussi des revenus d’autres activités (taxation d’alcool, routes). Mais l’or, valeur refuge, reste, selon les experts, la ressource la plus rentable, la plus souple à transporter et la plus convoitée.
Quel impact le conflit de cette zone a sur le circuit mondial?
Le conflit dans les Kivus peut perturber les circuits mondiaux d’approvisionnement en minerais stratégiques. Le cas de la mine d’étain de Bisié, à Walikale, est emblématique: elle représentait en 2024, 6% de la production mondiale.
Son arrêt temporaire, causé par l’occupation de la zone par l’AFC/M23, a entraîné des tensions sur les marchés internationaux. L’opérateur Alphamin a dû suspendre ses activités avant d’annoncer leur reprise après le retrait du groupe armé, preuve de l’interdépendance entre sécurité locale et stabilité économique globale.
Pour sa part, Zobel Behalal insiste sur le fait que « le marché ne connaît pas la guerre »: même en contexte de conflit, les flux de minerais ne s’arrêtent pas. Il évoque notamment la montée du cours de l’or, passé à 100 USD le gramme à Mangurujipa, une localité du territoire de Lubero (Nord-Kivu), conséquence de la forte demande internationale.
Les pays comme le Rwanda, l’Ouganda, mais aussi les Émirats arabes unis, absorbent une large part de cette production: 67 % de l’or du Sud-Kivu irait au Moyen-Orient, selon les autorités provinciales.
Quelles sont les enjeux de la traçabilité?
Les enjeux de la traçabilité dans la région des Kivus sont importants, tant pour lutter contre la contrebande que pour assainir la chaîne d’approvisionnement minière. L’absence de contrôle rigoureux permet à des minerais extraits illégalement de s’intégrer aux circuits légaux. Zobel Behalal souligne que les systèmes actuels reposent souvent sur des documents papier sans vérification réelle de l’origine. Par exemple, un produit déclaré « provenant du Rwanda » est automatiquement perçu comme propre, alors que son origine peut être congolaise.
La traçabilité est aussi détournée par les entreprises elles-mêmes, qui créent des mécanismes internes d’auto-contrôle. Cela limite les possibilités d’actions indépendantes. De plus, des réseaux structurés – chinois, indiens ou arabes – utilisent les pays voisins comme zones de transit, en contournant toute obligation de traçabilité rigoureuse.
Pour tenter d’y répondre, la RDC a mis en place la société DRC Gold Trading SA. En une année, les exportations légales d’or dans le Sud-Kivu sont passées de 25 kilos à plus de 5 tonnes, générant 300 millions USD, selon les autorités congolaises. Mais ce système s’est effondré avec la perte de contrôle de certaines zones au profit de l’AFC/M23.
Le Rwanda, de son côté, a signé un accord avec l’Union européenne en juin 2024 pour garantir la transparence, et se dote de fonderies et raffineries pour raffiner l’or, l’étain et le tantale. Pourtant, la frontière poreuse avec l’est de la RDC alimente les soupçons de recyclage de minerais congolais dans les circuits rwandais.
Quelles sont les réponses congolaises qui ont tenté de mettre de l’ordre?
Quelques réponses congolaises ont été initiées pour tenter de mettre de l’ordre dans le secteur minier du Sud-Kivu. À son arrivée à la tête de la province en mai 2024, le gouverneur Jean-Jacques Purusi a lancé une série d’audits économiques. Il dit avoir identifié 1 600 entreprises opérant illégalement dans le secteur minier, sans permis d’exploitation, de recherche ou de travail, et n’ayant jamais payé d’impôts, selon lui. Face à ce constat, un arrêté provincial a suspendu toute activité minière dès le 18 juillet de la même année.
Dans la foulée, plus de 147 taxes ont été supprimées pour alléger la fiscalité jugée « confiscatoire », ramenée de 80% à 26%. Le gouverneur a aussi imposé la numérisation des procédures, la bancarisation des transactions et la création de guichets uniques pour les opérateurs. Ces mesures ont permis d’augmenter significativement les recettes provinciales: de 500 000 dollars par mois, les revenus sont passés à 1,75 million dès le premier mois d’application, selon les documents officiels.
Par ailleurs, une politique de lutte contre la corruption a conduit à l’arrestation d’une quarantaine de personnalités locales. Dans le même élan, des entreprises chinoises opérant illégalement ont été suspendues, contraintes à se régulariser et à commencer à payer les taxes dues. Mais les résultats sont restés mitigés étant donné que le gouvernement de Kinshasa a perdu le contrôle d’une grande partie de la province.
Comment répond le Rwanda?
Face aux accusations congolaises liant son implication à l’exploitation illégale des ressources dans les Kivus, le Rwanda oppose une ligne de défense fondée sur la transparence et la souveraineté économique. Lors de son audition à la Commission des affaires étrangères en avril 2025, l’ambassadeur rwandais en France, François Nkulikiyimfura, a nié tout lien avec l’exploitation à Rubaya, affirmant que le Rwanda disposait de ses propres ressources, notamment en coltan, wolfram, or et tantale, exploitées légalement sur son territoire. Il a souligné que le Rwanda et la RDC partagent la même zone géologique appelée « ceinture de Kibaran », et que la richesse minière ne s’arrête pas aux frontières coloniales.
Pour appuyer sa position, il a rappelé la signature en juin 2024 d’un accord avec l’Union européenne sur la traçabilité des minerais. Il a aussi mis en avant les investissements du Rwanda dans la transformation locale: une fonderie d’étain (2018), une raffinerie d’or (2019) et une raffinerie de tantale (2024). Il a insisté sur le fait que des opérateurs africains et européens viennent faire raffiner leur or au Rwanda avant de le vendre sur les marchés de Dubaï ou d’Europe, dans le respect de procédures traçables.
Quelles sont les solutions qui sont préconisées?
Pour Zobel Behalal, la clé réside moins dans la traçabilité stricte que dans la coopération régionale et des « contrats gagnant-gagnant » entre États et acteurs économiques.
Zobel insiste aussi sur la nécessité d’impliquer les réseaux économiques — congolais, chinois, indiens — qui contrôlent aujourd’hui les circuits. Selon lui, il faut transformer ces chaînes criminelles en chaînes économiques vertueuses, en régularisant les activités et en responsabilisant les États de transit (Rwanda, Ouganda, Burundi, Tanzanie).
Par ailleurs, les experts insistent sur l’importance d’une approche régionale du conflit et sur la régularisation des acteurs miniers pour endiguer l’exploitation illicite et affaiblir les sources de financement des groupes armés.
Que sait-on du deal minier en négociation entre Kinshasa et Washington?
Un accord minier entre la RDC et les États-Unis est en cours de négociation. Il ne s’agit pas encore d’un contrat signé, mais d’un cadre en discussion, destiné à attirer davantage d’investissements américains dans le secteur minier congolais. Massad Boulos, conseiller principal pour l’Afrique du Département d’État américain, a précisé en avril 2025 que ce projet s’inscrit dans la stratégie économique portée par l’administration Trump sur le continent.
Ce que les États-Unis appellent un minerals deal, c’est un projet structurant de coopération économique. L’objectif, c’est d’encourager les entreprises privées américaines à investir dans les mines congolaises, mais aussi dans les infrastructures nécessaires à ces activités: routes, chemins de fer, barrages, centrales hydroélectriques.
Massad Boulos l’a répété: le gouvernement américain n’intervient pas directement dans les exploitations minières, mais il facilite les investissements à travers des institutions comme la Development Finance Corporation ou EXIM, la banque d’import-export des États-Unis.
Ce projet se veut « gagnant-gagnant », selon les deux parties. Les entreprises américaines qui seront impliquées devront respecter les lois congolaises, mais aussi les lois américaines, notamment sur le travail des enfants, l’environnement et la lutte contre la corruption, ajoutent les responsables américains contactés.
Concernant la présence dominante de la Chine dans le secteur minier congolais, Washington dit ne pas vouloir interférer. Pas question, selon eux, de demander à Kinshasa de retirer des concessions à des entreprises chinoises. Les États-Unis disent vouloir offrir une alternative concurrentielle.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press