A la quête d’un deuxième mandat, l’urgence d’un recentrage politique à mi-trajectoire s’impose pour Félix Tshisekedi (Tribune)

11
A la quête d’un deuxième mandat, l’urgence d’un recentrage politique à mi-trajectoire s’impose pour Félix Tshisekedi (Tribune)
A la quête d’un deuxième mandat, l’urgence d’un recentrage politique à mi-trajectoire s’impose pour Félix Tshisekedi (Tribune)

Africa-PressCongo Kinshasa. Le Président Tshisekedi veut d’un deuxième mandat. Une quête contre vents et marées, certes. Mais, une ambition légitime et qui porte une validation principielle enracinée dans la Constitution. Cependant, exprimer une ambition électorale pour une seconde mandature est une chose, et matérialiser une deuxième victoire au scrutin présidentiel en 2023 est une autre paire de manches*.

A la lumière des réalités de la mi-trajectoire l’équation est hyper-complexe. Cependant, la politique congolaise est non seulement dynamique, mais oscillatoire et visqueuse. L’éventualité d’une nouvelle méga-coalition intégrant mêmes certaines figures politiques de proue apparaissant comme les antagonistes actuels, et propulsant F. Tshisekedi vers une seconde conquête de la magistrature suprême ne relève vraiment pas du registre de l’impossible. Cette assertion est d’autant plus vraie que la politique est l’art du compromis dans l’acception de Joseph H. Carens (Le Compromis en Politique, 2011 : 15-36) comme « un accord sur les différends par conciliation ou par consentement obtenu par concessions mutuelles».

Dans cette cogitation politique, la thèse principale est que la possibilité d’un deuxième mandat du Président Tshisekedi est fondamentalement fonction de sa réinvention politique au regard des contradictions de la mi-trajectoire. Pendant les 30 mois de son exercice du pouvoir, les diverses occurrences politiques ont reconfiguré son capital politique, les interactions de l’échiquier politique ainsi que son imagerie politique tant nationale qu’internationale. La réflexion propose de cerner les avancées essentielles indubitables, les contradictions majeures aussi indéniables, ainsi que les vulnérabilités électorales. La Conclusion éclaire quelques termes de la réinvention politique de l’opérateur du pouvoir, Félix Tshisekedi et son contingent politique directionnel. La conquête de la seconde mandature en dépend.

1. La mi-trajectoire du mandat de Félix Tshisekedi: la contextualité et le capital politique en mutation

Une exploration systémique contextualisée impose de souligner, de prime abord, que l’affirmation de l’échec ou de la victoire électorale de F. Tshisekedi en 2023, à mi-mandat, est aléatoire. Car, il lui reste encore 30 mois de gestion. Pendant, ce laps de temps qui est plus déterminant, d’autres occurrences peuvent surgir. Ces faits nouveaux, pour reprendre l’expression du Professeur Mulumbati de l’UNILU, peuvent réorienter la conclusion des scrutins de 2023 dans un sens ou dans un autre.

A cet égard, il est nécessaire d’élucider l’évolution de son capital politique, des interactions de l’échiquier politique et de son imagerie politique pendant les 30 mois du régime de l’alternance.

Aux élections de 2018, l’acteur politique F. Tshisekedi jouissait du capital politique historico-social du prestige d’une lutte oppositionnelle de 36 ans menée par l’UDPS. Cet atout était auréolé par la perception de la virginité politique ainsi que sa filiation au héros oppositionnel Etienne Tshisekedi.

En termes d’interactions politiques, les longues négociations politiques avec le régime de J. Kabila (Ibiza, Paris) lui offraient un appui additif déterminant. Et effectivement, J. Kabila a joué un rôle déterminant dans l’acceptation régionale et internationale de la victoire de F. Tshisekedi.

Au plan de la configuration endogène, malgré ses accomplissements architectoniques, la dispensation précédente avait été l’objet d’une haine viscérale inhérente aux déviances de certains caciques de ce régime. Et donc l’alternance était souhaitée par des larges segments tant de la population congolaise que de la communauté internationale. Celle-ci avait du fils d’Etienne Tshisekedi l’image du leader politique d’un nouveau pédigrée pouvant accélérer la renaissance de la RDC et capable d’impulser la gouvernance développementale en Afrique.

A mi-trajectoire, 30 mois après la mise en train de ce régime de l’alternance, le tableau est totalement différent sur les trois paramètres contextuels cernés ci-haut. Le capital historico-politique de 36 ans de lutte de l’UDPS, la virginité politique de F. Tshisekedi et la valeur sociopolitique de la filiation au lider maximo E. Tshisekedi, se sont rapidement aplatis. Le facteur prépondérant est aujourd’hui ce que le régime a réalisé et qui est très mitigé. On note également des révélations en gouvernance qui ne sont pas toutes reluisantes. Elles éclipsent le prestige de la pureté politique ayant contribué à la victoire en 2018. Les interactions politiques se sont aussi renversées presque radicalement. Les antagonismes intenses ont jailli entre l’acteur politique F. Tshisekedi et les principales figures politiques de proue ayant contribué à son ascension au pouvoir en 2019 (V. Kamehre, J. Kabila). Cet antagonisme s’est poursuivi contre Moise Katumbi, un poids lourd de l’arène politique congolaise. Celui-ci avait apporté un contingent de politiciens de renom pour solidifier politiquement la nouvelle coalition Union Sacrée de la Nation.

Au plan de l’imagerie politique internationale, la perception d’un nouveau pédigrée de leader producteur de la nouvelle gouvernementalité en RDC s’est aussi étiolée. Plusieurs analystes internationaux s’accordent sur la récurrence (paradoxale) de la corruption et le fanatisme-courtisanerie tribaliste briseur de la cohésion nationale congolaise.

Au plan régional, on cerne une certaine effervescence de coopération.

Mais, certains panafricanistes y voient l’instrumentalisation du Président Tshisekedi au profit des pays voisins pourtant accusés d’impérialisme interafricain. Plusieurs leaders continentaux ne captent pas encore en lui un Statesman fédérateur, innovant, impulsant un nouvel élan contributif à la renaissance de la RDC et de l’Afrique. Le president Tshisekedi apparait comme un autre politicien “big-man” Africain (Paul-Simon Handy et Félicité Djilo, «The Tshisekedi-Kabila split affirms the power of incumbency at the expense of the rule of law », 16 février 2021, ISS).

2. Une balance provisoire à mi-mandat: les avancées, les déficiences et les vulnérabilités

Il est indispensable d’éviter la tentation négationniste (dont a été victime le régime de J. Kabila par haine partisane), reprenant en échos l’incantation populiste de «l’échec absolu et irréversible» du régime de F. Tshisekedi de 2019 à 2021 (juin). Les déficiences en gestion d’Etat ne constituent aucunement une nullité totale ou un néant managérial intégral.

Concrètement, comme avancées notables de ce régime, on peut retenir essentiellement l’élan de la consolidation de l’Etat de Droit, la gratuité de l’enseignement, l’intensification de la lutte contre la corruption, la tangibilité de la volonté d’accroitre les revenus de l’Etat et de mettre fin à la guerre résiduelle de l’Est. Certes, le système judiciaire devant matérialiser ledit Etat de Droit, dans ses structures essentielles, fut construit de 2003 à 2018. Mais, il faut reconnaitre que l’élan de sa fonctionnalité relativement rigoureuse se cerne plus manifestement sous le régime de Tshisekedi.

Aujourd’hui, surtout les politiciens, les hauts fonctionnaires, autres mandataires, quels que soient leurs rangs, savent que la justice peut se déployer contre eux en cas de violation avérée de la loi. Si le directeur de cabinet du Président de la République (et contributeur à sa victoire électorale) peut aller en prison (malgré les supputations autour du procès), le signal fort de cette possibilité d’emprisonnement contre tout autre politicien est limpide. Dans cette même optique, malgré sa tendance policière et sa médiatisation politicienne, l’IGF a créé une atmosphère inédite d’auto-conformité aux règles de la bonne gouvernance.

Dans une mesure indéniable, certains efforts sont perceptibles dans la maximisation des recettes, notamment en termes des finances publiques. A cet égard on note, par, exemple, la mobilisation de 2.052 milliards de CDF (992,7 millions USD au taux budgétaire de 2067 FC le dollar américain) au premier trimestre 2021 sur une programmation de 2.065,1 milliards de CDF, soit un taux de réalisation de 99,3% (BCC, https://deskeco.com/index.php/2021/05/12 25/7/2021). La déclaration de l’Etat de siège démontre dans une certaine mesure la volonté d’assurer l’autorité de l’Etat dans les zones en proie aux guerres résiduelles. Cet état de siège commence déjà à limer quelques zones infectées par les terroristes. Dans cette même veine, on note aussi la détermination affichée d’épurer l’armée de la corruption qui la gangrène depuis des années. On voit cela notamment avec l’arrestation des officiers impliqués dans la rétention injustifiée de $13 million devant à servir au soutien de l’armée à l’est (7sus7, https://www.7sur7.cd/2021/07/22/rdc-environ-13-millions-usd-gardes-indument, 25/7/2021).

Cependant, dans la trajectoire historique et paradigmatique de la RDC, sur la double échelle politique de D. Rustow (démocratisation) et économico-sociale de W. Rostow (développement), les contradictions sont aussi notables. Au plan politique, après la libéralisation politique sous Mobutu, la démocratisation pluraliste et libérale sous J. Kabila, l’étape suivante sur l’échelle de D. Rustow, était la consolidation de la démocratie. A cette strate méliorative du système politique, le génie politique devait être démontré en termes de l’amélioration de la stabilité, l’efficacité, la transparence et la redevabilité des institutions. Et cela devait être accompagné par la substantialité de la démocratie par un Etat répondant concrètement et de manière améliorée aux besoins du peuple. Hélas, plus de 75 % des revenus de l’Etat sont toujours monopolisés par le personnel politique principalement constitué des apparatchiks-courtisans du Président F. Tshisekedi.

L’Etat de Droit porte une connotation politicienne car de nombreuses personnalités associées au pouvoir ont commis des crimes pour lesquelles elles n’ont pas été ni poursuivies, ni incarcérées selon les prescrits de la loi.

Dans ce groupe on note le conseiller du président ayant initié un contrat mafieux sur la MIBA, le gestionnaire de la Maison Civile ayant organisé un groupe armé à Kingabwa, et aussi un responsable de l’agence anti-corruption ayant pris un pot de vin à la caisse d’une banque. L’affaire du détournement de 15 millions en « retro-commissions » a éclaboussé le régime. La débâcle du programme de 100 jours du Président est perçue comme une «mafiotisation » de l’Etat dont d’autres criminels n’ont pas été poursuivis. Et le CLC observe une « banalisation de la corruption » dans le régime de Tshisekedi (Stanis Bujakera, Jeune Afrique, 3 Octobre 2019).

Et dans l’optique du système économique et social, sur l’échelle de W. Rostow, la RDC était passée, en 2001-2018, de la phase ante-émergence au niveau de la pré-émergence.

D’innombrables experts internationaux (PNUD, FMI, Banque Mondiale) avaient projeté l’atteinte de la phase de l’émergence en 2030. Donc sur cette piste, le régime de F. Tshisekedi avait une fonction accélératrice de la navigation de la RDC vers l’émergence grâce aux modalités alternatives. Et comme précisé par les experts du PNUD, cette émergence est aussi fonction de la cohésion nationale (PNUD, «La Cohésion Nationale et l’Emergence», 2014 :19-20). Cependant, cette cohésion est aujourd’hui étiolée, et il n’y a eu aucune innovation systémique, ni finalisation d’un projet remodelant-restructurant ou propulseur. Comme l’a reconnu le Ministre des Finances N. Kazadi, lors d’un entretien (encourageant pour la visibilité internationale de la RDC) sur CNN, l’augmentation des revenus découle essentiellement non pas des innovations systémiques, mais de l’embellie des prix des matières premières au plan international.

Au plan social, les conditions de vie se sont détériorées comme le démontre la perte de trois places dans le classement international de l’index de développement humain (IDH) de 2019 à 2020 (7sur7, Makadi Ngoy, https://www.7sur7.cd/2020/03/02/rapport-de-developpement-humain-2019, PNUD, Présentation Rapport sur le développement humain 2019, 2019 :27). En ultime instance donc, la RDC n’a pas connu une impulsion remodelant le système économico-social. Certes, la Covid-19 a un impact érosif indéniable sur l’économie. Mais, au fond, on a observé de manière plus déterminante, le déficit d’un véritable génie en leadership développemental.

Cette balance provisoire étale une quadruple vulnérabilité politico-électorale, économico-sociale, sécuritaire et internationale. La vulnérabilité politique et électorale est inhérente à la possibilité de la coalition de toutes les figures de proue et des organisations politiques en conflit avec le Président Tshisekedi. Comme observé dans une autre réflexion, il n’est pas impossible que J. Kabila, M. Katumbi, V. Kamerhe et A . Matata, se réconcilient. La vulnérabilité économique et sociale oxyde l’argumentaire de la campagne électorale. L’excuse de la Covid-19, de la guerre à l’Est ou du blocage par le FCC (et on réalise que ce fut une justification politicienne) ne tient plus la route. Les innovations et modèles de gouvernance nouvelle attendus du Gouvernement Sama des « warriors » sont invisibles.

La détérioration des conditions de vie, face à la montée d’une nouvelle oligarchie dont l’enrichissement illicite est même dénoncé par les militants de l’UDPS, est déplorée éloquemment par le Cardinal Ambongo (https://actualite.cd/2021/07/20/c-ambongo, 20 Juillet 2023). Sans recentrage politique à mi-trajectoire, tout cela rendra l’acceptabilité d’un deuxième mandat de F. Tshisekedi et sa victoire en 2023 quasiment impossibles. La vulnérabilité sécuritaire est le danger lié à l’amplification des tensions intertribales et l’intensification des appels à la sécession au Katanga. Dans un contexte de guerre résiduelle à l’Est, ces tensions peuvent connaitre une expansion dans les rangs de l’armée, surtout au niveau des officiers supérieurs. Cela peut engendrer une déstabilisation dramatique du pays.

Et la vulnérabilité internationale découle des trois premières. Les principales puissances internationales et les leaders panafricanistes ont découvert un déficit de génie développemental dans le régime de F. Tshisekedi et surtout dans son personnel politique. Mais, tout n’est pas irrémédiablement que sombre en projection pour 2023. Il est possible de capitaliser les avancées (Etat de Droit, lutte contre la corruption, élan d’amélioration des recettes de l’Etat) pour amorcer des actions politiques et économico-sociales pouvant rendre une éventuelle victoire électorale possible en 2023.

3. Conclusion : la conciliation-consensus politique et économique est indispensable pour la conquête d’un deuxième mandat

A mi-trajectoire, le Président Tshisekedi doit impérativement méditer substantiellement et sincèrement sur la nécessité de son recentrage politique. Quatre volets de ce remodelage politique peuvent être envisagés. Primo, il est d’une importance capitale de rétablir la cohésion nationale par l’interaction avec les figures de proue de l’échiquier politique.

Sous cet angle, il est appelé à émerger comme un statesman, ou leader d’Etat catalyseur et directeur des interactions conciliatrices pour l’innovation du système politique afin de corriger les déficiences constatées depuis 2006 (régime politique, système des partis, système électoral, décentralisation ou fédéralisme, model de gouvernance). Le deuxième volet, toujours sur le plan politique, est celui de l’impulsion d’un climat électoral apaisé, transparent et inclusif vers l’échéance de 2023. Le troisième volet est socio-économique. Sur cette piste, il est urgent et indispensable de créer un consensus sur des projets robustes, restructurants et propulseurs pour accélérer la navigation de la RDC vers l’émergence.

Cette action est d’une importance capitale. Elle permet de créer à court terme les immenses richesses nouvelles requises pour améliorer de manière fulgurante les conditions sociales des congolais. Et cela en parallèle, avec la reconstruction infrastructurelle expansive des provinces. Le quatrième volet est celui de la défense nationale. La stratégie et la tactique utilisées par les FARDC à l’Est ont montré leurs limites. Il est urgent de repenser cette guerre résiduelle asymétrique pour introduire les méthodes modernes de la contreinsurgence. Celle-ci combine l’équipement technologique militaire avancé, le recours aux professionnels mondiaux en actions militaires furtives et la reconstruction socio-économique accélérée de ces contrées.

Le Président Tshisekedi pourra alors non seulement émerger comme un leader d’Etat développemental, mais aussi raboter sa piste vers une victoire électorale en 2023.

*Par Imhotep Kabasu Babu Katulondi, Libre-penseur et écrivain

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here