Accord de paix: Journalistes et YouTubeurs à Washington

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Accord de paix: Journalistes et YouTubeurs à Washington
Accord de paix: Journalistes et YouTubeurs à Washington

Africa-Press – Congo Kinshasa. Voilà le jour où ont éclaté toutes les différences. Entre le journaliste et le diplomate. Entre le journaliste et le youtubeur.

Certes, tous communiquent, mais la distinction entre ces trois métiers est fondamentale. Nous allons la clarifier davantage, en communicologue.

Le journaliste use de ses techniques pour voir et faire voir. Il observe et scrute l’événement. Il en dégage les faits significatifs. Et, une fois avéré, c’est ce factuel qui devient info, donc objet de contrat d’équité entre le journaliste et son public.

Car, cette info livrée au public destinataire ressemble à un fret.

Elle a vocation et ambition à demeurer identique, du pôle d’envoi à celui de réception. Sans dégâts ni avaries lors du transport. Ainsi, Washington a promis et affrété la cérémonie, toute solennelle, le public a réceptionné les trois signatures présidentielles, toutes solennelles aussi.

Au départ 5/5 et à l’arrivée 5/5. Cependant, personne ne peut oser affirmer avoir tout regardé de cette liturgie. Les voituriers furent attachés à leur radio, les casaniers rivés sur leur télé. Surtout, les consommateurs des médias classiques ont été nourris par la même info, venant des organes et journalistes professionnels.

Christian Lusakweno (Radio Top Congo) a noté une heure de retard sur le programme de la cérémonie. Bienvenu Bakumanya (Acp) a signalé l’absence de l’émir du Qatar. Les faits, rien que les faits, disait le patriarche du journalisme, l’Américain Joseph Pulitzer.

Le diplomate, lui, n’use que de la tactique, non plus seulement des techniques. Il est en permanente compétition. Il ne va jamais au jeu, car pour lui tout est enjeu. Donald Trump ne s’en est pas caché: « Je suis à ma 8e fin de guerre ».

Quelle victoire et pour quelle bataille? Qui en ont été les challengers? Qui a-t- on défait? Telles peuvent être les questions que ne poseront pas les journalistes, refusant d’amorcer une stérile spéculation. Ils préfèrent opposer un fait à un autre, un énoncé à un autre propos.

Or, le diplomate est un tacticien. Et qui dit tactique pense à la stratégie. Celle-ci définit les objectifs, celle-là module les moyens. D’où, le maître diplomate de la tactique américaine a dû dresser deux scènes: l’une fut celle du silence, dans le Bureau ovale, et l’autre celle de la parole, à l’Institut de la paix. À chacune de ces deux scènes a été associé un objectif général, prédéfini et préfiguré.

Ainsi donc, en face du diplomate tacticien, le journaliste et le public ne font que subir le scénario.

Le diplomate est acteur, le journaliste et son public ne seront que spectateurs. Ces derniers sont alors tous à jamais unis par leur passif sort.

Mais, à Washington, les journalistes ont été mêlés aux youtubeurs. C’est bien connu, ceux-là ont le devoir de rendre compte, minute par minute. Et ils ont bien noté: les Présidents congolais et rwandais ne se sont pas serré la main. C’est avéré. Les journalistes l’ont constaté ; ils l’ont signalé. Mais ils se sont abstenus de s’interroger sur le pourquoi et, surtout, d’en forger une explication. Toutefois, moins invisibles et discrets ont été les youtubeurs. Ces derniers ne sont guère empêchés de décoder le « body langage » des acteurs sur scène. Ils en sont arrivés à revendiquer la validité des résultats de leur science infuse à la déposition « silencieuse » de la Ministre des affaires étrangères, pourtant unique témoin qui fut présent au Bureau ovale. Qu’importe, pour les youtubeurs, l’essentiel est de paraître et de s’afficher.

Oui, le journaliste offre l’information, le youtubeur vise l’exposition.

En effet, les dividendes des youtubeurs sont précisément le nombre de vues. Et le butin des « like » est exhibé à tout bout de champ. Cependant, ils s’appliquent avec soin de confiner dans l’ombre le nombre de fois que les internautes appuient sur le bouton « dislike » (je n’aime pas). La plateforme Facebook elle- même s’efforce, depuis une dizaine d’années, à remplacer ces réactions négatives par de simples émoticônes de désapprobation.

En effet, toute la différence est là. Le journaliste est jugé à la régularité de son offre: journal quotidien ou périodique, flash de la mi-journée ou journal en prime time, magazine du jour ou du week-end, etc. C’est la matérialisation du contrat entre le journaliste et son public. Le youtubeur, lui, ne répond à aucune exigence de régularité. Seule lui suffit la viralité. Son post surgit à l’improviste et disparait aussi sans crier gare. Par de dette envers le public.

Washington a donc révélé la différence entre l’info et l’expo. L’information est le champ approprié au métier de journaliste, assujetti à l’exactitude, la ponctualité et la constance. Mais, face à la fulgurance des technologies de la communication, Michel de Certeau avait déjà redouté que ce paysage de prestige et de visibilité ne soit envahi par des « braconniers » du numérique, avides de notoriété.

Enfin, en vue de consacrer pour de bon la différence entre les professionnels des médias et les youtubeurs, le sociologue français Dominique Cardon a finalement trouvé le mot auquel les journalistes ne vont jamais s’apparenter: les youtubeurs ne sont que des « médiactivistes ».

Bibliographie sélective:

Cardon, Dominique, Culture numérique, Paris, SciencesPo les presses, 2019

De Certeau, M. (de), L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980

Grevisse, Benoît, Ecritures journalistiques, Paris, Eyrolles, 2014

Halpin Harry & Monnin Alex, Philosophical Engineering. Toward a Philosophy of the Web, Oxford, Wiley-Blackwell, 2014

Koch, Christof, The Feeling of Life Itself. Why Consciousness is Widespread But Can’t Be Computed, The MIT Press, 2 MMM.

Par le Professeure Madeleine Mbongo Mpasi sur l’accord de Washington entériné le 4 décembre 2025

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