Africa-Press – Congo Kinshasa. Le 20 décembre prochain, des millions de Congolais se rendront aux urnes pour élire le Président de la République et les élus du peuple. La plupart des candidats ont déjà rendu publics leurs programmes ou projets de société afin de permettre au peuple de juger leur capacité à conduire le grand Congo vers l’émergence. Au regard des enjeux, ces programmes méritent d’être étudiés et discutés. Telle est l’objet de cette chronique. Dans la suite, trois acteurs sortent déjà du lot et donc il devient naturel de commencer par eux.
Avec son programme intitulé « RÉPARER ET SOIGNER LE CONGO, de fond en comble », le Prix Nobel de la paix congolais Denis Mukwege a trouvé la juste image pour collecter à ce qui a notamment fait sa réputation. Le Congo mérite d’être réparé et soigné. Toute mauvaise foi bannie. Cependant, l’homme qui répare les femmes pèche en présentant un programme discursif, sans effort de quantification. La gestion moderne de la Res Publica est chiffré. Par-delà cette limite, le Docteur explique en 9 points comment enraciner une stabilité macroéconomique pour le développement en mettant en place ce qu’il appelle la “Nouvelle Économie Congolaise”.
Il y a, à notre entendement, quelques incohérences dans cette nouvelle approche. En effet, le programme suggère la mise en œuvre d’une politique budgétaire cohérente garanti par une faible inflation et la stabilité de la monnaie. Cependant, les deux indicateurs cités (inflation et stabilité de la monnaie) relèvent de la politique monétaire, et non de la politique budgétaire. Le programme propose l’amélioration des méthodes de recouvrement des impôts en assurant l’efficacité des dépenses publiques, sans mettre en exergue les mesures préconisées et l’innovation qui contribuera à l’élargissement l’assiette fiscale ; le programme propose la mise en place d’un système transparent et responsable afin de suivre les opérations de mobilisation des recettes publiques tant au niveau central qu’au niveau provincial, en passant sous silence qu’à ce jour, il existe plusieurs logiciels de suivi sur la mobilisation des recettes: ISYS-REGIES et ERP pour la DGI, LOGIRAD pour la DGRAD, FARI (mise en place avec le concours du FMI pour la canalisation des recettes minières).
Avec un programme articulé autour du thème “Alternative 2024, pour un Congo Uni, Démocratique, Prospère et Solidaire”, l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi a proposé un programme chiffré, qui s’évalue à 141,5 milliards de dollars sur 5 ans. Ce qui est à son honneur, sans entrer dans les détails de l’estimation de ce coût. Par ailleurs, dans le pilier 2 de son programme relatif à la transformation structurelle de l’économie, il est des interrogations qui méritent réponses: le programme souhaite modifier l’assiette fiscale en supprimant les taxes sur les outils de production et d’investissement, et en même temps, il projette de faire passer le taux de pression fiscale de 20,5% à 26,8% durant la période 2024-2028. Ceci amène à nous interroger sur le mécanisme à la base de cette augmentation: le taux de pression fiscale se situe autour de 14% (2022), les projections pour la période de 2024-2026 le situent autour de 15,3% (Cadre Budgétaire à Moyen Terme 2024-2026, Ministère du Budget). Comment le parti Ensemble pour la République compte-t-il augmenter le taux de pression fiscale en supprimant les taxes ? Sachant que ces taxes auront une incidence considérable sur les recettes publiques. On ne peut qu’être curieux de savoir la logique qui se cache derrière.
Enfin, le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi, candidat à sa propre succession, présente son projet de société évalué à 88,7 milliards de dollars, en 6 engagements majeurs et 3 initiatives présidentielles prioritaires, axé sur l’unité, la sécurité et la prospérité. Au-delà des similitudes inquiétantes avec le régime passé dans ces axes, ce programme regorge de propositions pour le prochain quinquennat sans réellement retracer de manière chiffrée les acquis à consolider. Les interrogations sont d’autant plus importantes que le programme devrait présenter de manière explicite (données quantifiables) les améliorations et innovations apportées durant le premier quinquennat.
De manière spécifique, il prend l’engagement de créer 6,4 millions d’emplois au cours des cinq prochaines années répartis en 3 secteurs, sans présenter les acquis sur le nombre d’emploi créé durant la période 2019-2023. On ne sait pas non plus pourquoi 6,4 millions. En tout cas, les rapports officiels n’indiquent pas un tel chiffre. Aussi, s’engage-t-il à améliorer le pouvoir d’achat. Les mesures d’atténuation et de stabilisation du taux change n’ont pas été explicitement énumérées alors que le coût de la vie ne cesse de croître. À ce jour, il faut plus de 2700 CDF pour 1 USD, alors qu’en fin 2018, taux était de 1635,62 CDF.
Les mesures visant l’amélioration de la qualité et l’efficience des dépenses publiques n’ont pas non plus été présentées, alors que durant le quinquennat 2019-2023, la réduction du train de vie de l’État était l’un des objectifs majeurs du Président, aucun chiffre n’a été partagé. Au final, l’inquiétude sur l’incohérence temporelle se justifie dans le chef de plusieurs. Un autre engagement présidentiel est coulé dans l’expression « Villes assainies et villes connectées ». Le nombre de voitures dans la ville de Kinshasa devrait atteindre 2,17 millions en 2040, ce qui accroîtrait le nombre de déplacements à 21,7 millions en 2030 et 30,2 millions en 2040. Ce qui suggère in fine une vraie congestion de la vie. Face à ceci, le programme du candidat sortant évoque l’amélioration de la mobilité urbaine sans poser de diagnostic, proposer concrètement des solutions. Par ailleurs, Kinshasa produit plus de 2 millions de tonnes de déchets par an. Là aussi, le programme propose la participation des PME à l’assainissement de la ville, mais sans réellement dire par quel moyen, et sans présenter l’apport de ce qu’a été le projet KIN-BOPETO durant le premier quinquennat.
Que dire du Programme de Développement Local des 145 territoires (PDL-145T), le programme phare du candidat Président, qui voit ses autres composantes renvoyées au second quinquennat, alors que le programme devrait initialement s’exécuter entre 2021 et 2023. Le programme est évalué au total à 1,66 milliard de dollars, avec 38,9% déjà décaissé pour la composante 1 (construction d’écoles, centres de santé et bâtiments administratifs). Les récentes études des agences d’exécution, qui sont incluses dans le programme de campagne, évaluent le coût des travaux de réhabilitation des 40.459 km des routes de dessertes agricoles à 1,25 milliard de dollars, ce qui équivaut à plus de 70% du budget du PDL-145T. alors que les autres composantes comme les ouvrages d’art, les forages et les centrales photovoltaïques restent à réaliser. Comment expliquer ce gap et quel mécanisme sera-t-il résolu ?
Fort de tous ces éléments, il ressort une grande difficulté d’apporter une critique objective et constructive sur des promesses ou sur un programme partiellement chiffré. Certains programmes présentent d’ailleurs des propositions irréalisables. Le futur exécutif devra fournir bien plus que des slogans et promesses pour rencontrer les attentes de la population, qui attend beaucoup du prochain quinquennat.
*Jessy GolozeWabo
Économiste et consultant sur les questions de politiques publiques, projet de développement et Partenariat public-privé.
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