Présidentielle 2023 : la « base » électorale des candidats, enjeu majeur des élections ? (Tribune de Léon Engulu III)

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Présidentielle 2023 : la « base » électorale des candidats, enjeu majeur des élections ? (Tribune de Léon Engulu III)
Présidentielle 2023 : la « base » électorale des candidats, enjeu majeur des élections ? (Tribune de Léon Engulu III)

Africa-Press – Congo Kinshasa. Le 25 mai dernier, je publiais une tribune intitulée « RDC Présidentielle 2023 : l’assiette de départ des candidats, enjeu majeur ? ».

Je démontrais que sur un scrutin uninominal majoritaire à un tour dans lequel le candidat qui recueille le plus de voix remporte les élections, le vote est toujours de proximité, ethnique ou régional. Dans ce type de scrutin où l’élection se joue à un tour, l’assiette de départ des candidats est d’une importance cruciale. Les candidats en lice doivent être assurés de recueillir le maximum de voix de terroirs avant d’espérer convaincre les électeurs exogènes, qui porteront d’abord leurs choix sur leur candidat de proximité.

Les données électorales de la CENI

Les statistiques électorales publiées par la CENI à l’approche du scrutin présidentiel de 2023 indiquent que les plus fortes assiettes électorales de départ se situent premièrement dans l’aire kongophone avec Kinshasa, où sur les 5.062.991 enrôlés la moitié au moins, 2.500.000 électeurs, en sont originaires, le Kongo Central (2.148.989), le Kwango (1.226.433) et le Kwilu (2.511.418) soit 8.386.860 électeurs potentiels pour un ou des candidats issus de cette aire culturellement homogène.

Deuxièmement, le Grand Kivu propose une assiette de départ de 5.902.525 électeurs à laquelle pourraient éventuellement s’ajouter les électeurs du Maniema qui en propose 1.121.851, ce qui porterait à 7.024.376 le potentiel électoral de cette région pour un ou des candidats.

Ensuite, l’espace culturel Grand Kasaï offre une assiette de départ de 4.842.904 à son ou ses candidats, répartie entre les trois Kasaï, très homogènes. Il faut y ajouter la dispersion kasaienne de Kinshasa et du Katanga, ce qui pourrait porter le potentiel électoral de l’assiette de cet espace aux environs de 6.000.000 d’enrôlés.

Enfin, le Grand Katanga dispose d’une assiette de départ de 2.804.173 électeurs pour le Haut-Katanga, 1. 372.269 pour le Haut Lomami, 1.421.498 pour le Lomami, 1.233.817 pour le Lualaba et 1.294.874 pour le Tanganyka, ce qui porte à 8.127.171 électeurs le total de cet ensemble caractérisé par son absence d’homogénéité, son réservoir étant éclaté autour d’éthnies disparates dont certaines sont susceptibles de rapprochements avec l’espace Grand Kasaï.

Ces principales assiettes électorales fournissent de précieuses indications sur les perspectives de victoire des candidats, et il est notable de constater que l’aire swahiliphone propose les 15.151.547 électeurs des Kivus et du Grand Katanga et du Maniema auquel s’ajoutent les parties swahiliphones de l’ancienne Province Orientale. Toutefois, cet espace linguistique n’est pas suffisamment homogène pour faire bloc autour d’un seul candidat, le swahili étant une langue véhiculaire comme le lingala.

Les candidats en lice

Les principaux candidats en lice sont respectivement Félix-Antoine Tshisekedi, président en exercice, à la tête de l’appareil d’État, avec l’assiette de départ du Grand Kasaï et de la dispersion kasaienne ; Martin Fayulu, classé deuxième aux élections présidentielles de 2018 ; Adolphe Muzito s’il se déclare, ancien Premier ministre, disposant tous deux de l’importante assiette de l’aire kongophone et Moïse Katumbi, ancien Gouverneur du Katanga où il demeure populaire.

Avec de tels candidats, la prochaine élection présidentielle s’annonce difficile pour chacun compte tenu de la nature du scrutin à un tour dans un environnement où le choix des électeurs s’effectue essentiellement sur une base ethnique ou régionale. Ainsi, on observe que le Grand Kivu, qui propose une assiette électorale de départ substantielle, ne semble pas décidé à aligner un candidat à la présidentielle. Ni Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale, ni Modeste Bahati Lukwebo, actuel président du Sénat, tous deux proches du Président Félix-Antoine Tshisekedi, ne semblent partants. S’ils appellent à voter pour un second mandat du locataire du Palais de la Nation, ce dernier peut compter sur leur réserve électorale très importante et remporter le scrutin si… le Grand Équateur piloté par Jean-Pierre Bemba ne présente pas de candidats, les ténors de cet ensemble régional, dont les ministres Guy Loando, Jean-Pierre Lihau et Jean-Lucien Bussa battant campagne pour sa réélection, et si les petits réservoirs d’enrôlement des provinces faiblement peuplées comme le Sankuru et d’autres lui apportent leurs suffrages.

L’ombre de Joseph Kabila

Mais… le récent rapprochement de l’opposition entre Moise Katumbi, Martin Fayulu, Matata Ponyo et Delly Sessanga vise les importantes assiettes électorales de l’aire kongophone et de l’espace katangais avec d’éventuels apports de l’espace linguistique swahiliphone. En l’absence d’un candidat du Grand Kivu, Vital Kamerhe et Modeste Bahati Lukwebo sauront-ils contenir les appels de Katumbi et de Matata ?

Dans cette configuration, l’une des inconnues sera la réaction de l’aire kongophone à l’alliance inédite entre Moïse Katumbi et Martin Fayulu. Ce dernier pourrait ainsi être sanctionné par son électorat d’assiette au bénéfice d’Adolphe Muzito, très populaire à Kinshasa et dans le Grand Bandundu.

Les élections de 2018 ont en effet montré que la plus forte cohésion électorale se situe dans l’aire kongophone qui vote sans défaillance le candidat qu’elle se choisit. Entre Katumbi et Fayulu, l’un devra se mettre au service de l’autre, à défaut cette alliance contre-nature pourrait être défavorable à leurs candidatures respectives. En outre, le rapprochement entre Martin Fayulu et Matata Ponyo révèle la main de Joseph Kabila tapis dans l’ombre.

Félix-Antoine Tshisekedi favori ?

La posture souverainiste qui caractérise un président Tshisekedi déterminé à régler définitivement le conflit entretenu par le Rwanda de Paul Kagame dans l’est de la RDC peut convaincre un électorat lassé par cette longue peine nationale de lui accorder un dernier mandat, pour en finir définitivement avec les tentatives de balkanisation de la RDC.

Sa victoire à la présidentielle de 2023 est probable, mais le talon d’Achille de sa position de candidat se situe essentiellement dans le comportement de l’assiette électorale du Grand-Kivu. Il est évident que si Vital Kamerhe ou Modeste Bahati Lukwebo annoncent leurs candidatures, ce réservoir électoral est perdu pour un second mandat. La difficulté s’accroit si l’espace swahiliphone parvient à s’aligner derrière Moise Katumbi. La conquête du Grand Katanga sera un grand défi pour Félix-Antoine Tshisekedi, seul le Lualaba étant susceptible de rapprochements de proximité avec le Grand Kasaï.

Ces perspectives impliquent la mise en place de stratégies capables de mobiliser les électeurs exogènes susceptibles d’apporter leurs suffrages aux candidats disposant d’assiettes de départ exploitables dans leurs propres terroirs. Ces stratégies dépendent du nombre de candidats alignés par province et de leur dimension électorale, mais aussi, dans une moindre mesure sur un scrutin à un tour, de la capacité de la majorité et de l’opposition à mener des campagnes convaincantes avec les élus locaux.

En fin de compte, il est certain que le scrutin présidentiel à un tour favorise le tribalisme et le séparatisme. La démocratie suppose des alliances politiques basées sur la mise en œuvre de véritables projets de société, et non l’élection d’un Président de la République faiblement représentatif.

Le prochain président de la République devra militer pour un retour au scrutin à deux tours pour la présidentielle, afin de favoriser le dialogue national et de réduire le sentiment d’appartenance tribale dans l’expression des scrutins.

Tribune de Léon Engulu III Agrégé de philosophie Ingénieur agronome Ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme National de Suivi

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