Africa-Press – Congo Kinshasa. Une campagne de collecte de données radiofréquence (RF) menée pendant 16 jours par la société Unseenlabs a mis en évidence le comportement suspect d’un bateau scientifique chinois dans le golfe du Bengale. Basée à Rennes, Unseenlabs dispose d’une constellation de 17 Cubesats – des microsatellites d’une dizaine de kilos dont le premier élément a été lancé en 2019. Ces engins sont dédiés à la détection des signaux radiofréquences émis par les navires équipés de nombreux instruments de navigation et de communication qui émettent des signaux électromagnétiques de manière continue ou intermittente. Ces signaux constituent une sorte de signature électromagnétique propre à chaque vaisseau, indépendante du système d’identification automatique (AIS) qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l’identité, la position et la route des navires croisant dans la zone de navigation.
« Derrière le trafic maritime quotidien se cache une dynamique bien plus complexe et stratégique »
Si l’AIS est obligatoire pour les navires commerciaux au-dessus de 300 tonneaux de jauge brute, nombre de vaisseaux éteignent leur transpondeur pour disparaître des radars et se livrer à de la pêche illégale – soit 15 à 20% des poissons pêchés -, des transbordements, des trafics ou des dégazages: selon Unseenlabs, 10 000 tonnes de pétroles sont rejetées en mer chaque année et 99% des pollueurs ne sont pas localisés. Ces « navires sombres » n’échappent cependant pas aux satellites d’Unseenlabs. « Nous avons une visibilité quasi exhaustive de l’activité humaine en mer, explique Clément Galic, CEO et co-fondateur de la société bretonne. On voit ainsi des pics d’activité là où rien n’apparaît sur les cartes de l’AIS ».
Chaque satellite a une capacité d’écoute sur une zone couvrant jusqu’à 300.000 km2 avec un temps de revisite de trois heures, qui devrait encore diminuer d’ici la fin de l’année avec le lancement prévu de nouveaux satellites. « Plus on regarde quotidiennement la même zone, plus on va toucher du doigt l’activité réelle, souligne Clément Galic. On vise une constellation de 20 à 25 satellites. »
Au cours des derniers mois, une attention particulière a été portée au golfe du Bengale dans le nord-est de l’océan Indien, un carrefour maritime stratégique de 2,6 millions de kilomètres carrés. Les données de radiofréquence ont montré que « derrière le trafic maritime quotidien se cache une dynamique bien plus complexe et stratégique ». La campagne de 16 opérations de collecte des radiofréquences a couvert à chaque fois 328 216 km2, avec un taux de revisite quotidien d’une à deux fois par zone. Au total, 1 897 émetteurs ont été géolocalisés, ces données étant ensuite comparées à celles de l’AIS. Il est apparu que 9,6 % d’entre eux n’ont montré aucune activité AIS pendant cette période.
Données du trafic maritime, avec en blanc les navires conformes à l’AIS, en rouge les « navires sombres ». Crédits: Unseenlabs
Des « navires sombres »
« Environ 70 % de tous les émetteurs étaient localisés dans un corridor maritime étroit, d’environ 90 km de large, indique Unseenlabs. Dans cette zone, la conformité à l’AIS était presque totale, avec seulement 3 % d’absence. En dehors de ce couloir, en revanche, le silence AIS augmentait fortement: jusqu’à 28 % des émetteurs n’émettaient pas leur position dans certaines zones. »
Cela semblait indiquer qu’en dehors des routes commerciales connues, nombre de navires voulaient limiter leur « visibilité ». Les opérateurs d’Unseenlabs décident alors de suivre plus particulièrement neuf de ces « navires sombres » et notamment un navire de recherche chinois dont la présence est récurrente dans des zones maritimes stratégiques de l’océan Indien et qui naviguait à proximité d’une zone d’exercices navals connue.
« L’activité observée semble répondre à des objectifs dépassant le cadre scientifique, tels que la cartographie des fonds marins, l’analyse de l’environnement acoustique ou l’identification de routes sous-marines, des actions couramment associées à la surveillance, à la préparation à la guerre sous-marine et à de futurs déploiements d’infrastructures sur le fond marin », indiquent les opérateurs d’Unseenlabs.
Trajectoire du navire de recherche chinois circulant sans AIS. Crédits: Unseenlabs
D’anciens navires militaires reconvertis
Les manœuvres de ce navire traduisent plus largement la stratégie navale de la Chine, qui déploie de plus en plus loin de ses côtes un nombre croissant de bâtiments de recherche, qui pourraient collecter à la fois des données océanographiques et d’autres servant des objectifs militaires. Selon Unseenlabs, « sur les 64 navires de recherche chinois actifs, plus de 80 % sont soupçonnés de poursuivre des objectifs stratégiques ». Certains d’entre eux sont d’ailleurs d’anciens navires militaires reconvertis ! Ces dernières années, des tensions sont apparues avec les voisins indiens et japonais lorsque des navires de recherche chinois ont été repérés dans leur zone économique exclusive respective (une zone maritime s’étendant jusqu’à 200 milles nautiques des côtes d’un pays, au sein de laquelle il dispose de droits économiques).
Utiliser des missions scientifiques comme couverture pour des opérations stratégiques est une pratique expérimentée par le passé par les Américains et les Russes. Mais cela démontre cette fois que l’océan Indien devient une région où les rivalités maritimes, de la Chine et de l’Inde notamment, s’intensifient.
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