Africa-Press – Congo Kinshasa. Une sévère carence en fer pendant la gestation influe sur la différenciation sexuelle de l’embryon, parfois jusqu’au développement d’ovaires chez des souris génétiquement mâles, démontre une étude publiée dans la revue Nature. « C’est la première fois qu’une carence en fer est scientifiquement liée à la détermination du sexe », affirme auprès de Sciences et Avenir Makoto Tachibana, qui a dirigé ces travaux à l’université d’Osaka (Japon).
Pour les tortues et les crocodiles, c’est la température à laquelle les embryons se développent qui décide du développement sexuel, mâle ou femelle. Chez les mammifères en revanche, ce sont les chromosomes sexuels qui guident ce processus: XX pour les femelles, XY pour les mâles. C’est en particulier le gène Sry, présent sur le chromosome Y (mâle), qui promeut la croissance de testicules au lieu de laisser l’embryon se développer naturellement vers des caractéristiques femelles. « Les chercheurs dans ce domaine ont donc généralement traité la détermination génétique du sexe comme si elle était largement indépendante des signaux environnementaux », commentent Shannon Dupont et Blanche Capel, biologistes cellulaires au Centre Médical de l’Université de Duke (Etats-Unis), dans un commentaire sur ces travaux dans la même revue.
L’environnement utérin est en effet contrôlé en termes de variations de température, pH ou nutriments par rapport à ce que subit un œuf. « Cependant, les facteurs environnementaux maternels qui résultent de différences dans la nutrition, le métabolisme ou la régulation des niveaux de métaux sont des sources potentielles de variabilité qui pourraient affecter le développement embryonnaire », pointent les chercheuses.
Certains embryons XY développent des ovaires en l’absence de fer
C’est ce que démontre cette nouvelle étude japonaise. « Nos résultats sont surprenants, car personne n’avait prévu que les niveaux de fer pouvaient être impliqués dans la détermination du sexe », remarque Makoto Tachibana. Le rapport entre les deux se nomme KDM3, une enzyme qui a besoin de fer pour fonctionner. Son rôle est de permettre l’expression (activation) du gène Sry chez les embryons mâles en supprimant des molécules inhibitrices. « En d’autres termes, une carence en fer empêche KDM3 de fonctionner, ce qui conduit à l’inhibition de Sry. Et sans Sry, le développement du sexe féminin se produit par défaut », résume Makoto Tachibana.
En diminuant par manipulation génétique la quantité de fer dispensée aux cellules, les souris ont ainsi produit 39 embryons XY dont 7 montraient des signes de développement femelle, notamment des ovaires au lieu des testicules. De même, l’administration aux souris en gestation d’un produit séquestrant le fer a donné 72 individus XY, dont 5 avaient des caractéristiques femelles. « Bien que le pourcentage d’embryons XY affectés soit faible, il est important de se rappeler qu’il s’agissait d’embryons pour lesquels le résultat était évident, c’est-à-dire qu’il y avait un développement sexuel féminin complet », commentent Shannon Dupont et Blanche Capel. D’autant qu’il n’est pas exclu que d’autres mécanismes soient en jeu dans la différenciation sexuelle et qui atténuent l’effet du manque de fer.
Des résultats qui restent à confirmer chez l’humain
Une carence en fer chez une femme enceinte pourrait-elle également affecter le développement de son futur garçon? « C’est une question très importante, mais à ce stade, nous n’avons pas encore la réponse. Si Sry est essentiel pour la détermination du sexe masculin chez l’homme, il reste à déterminer si le fer ou KDM3 contribue à l’activation de Sry chez l’humain », répond Makoto Tachibana. De précédentes études sur des cohortes humaines ont cependant démontré que les deux formes graves d’anémie génétiques dites de Diamond-Blackfan et de Fanconi semblent être des facteurs de risque pour les troubles du développement sexuel dit « 46,XY », dans lequel des personnes XY (génétiquement mâles) montrent un développement sexuel féminin.
Mais la sensibilité des mammifères au manque de fer n’est sans doute pas si forte que l’on pourrait le craindre. En étudiant des cellules de gonades (organe sexuel) de souris en laboratoire, les chercheurs ont déterminé qu’il faut que la carence en fer atteigne un seuil de 40% du niveau normal pour que le gène Sry soit quasiment totalement réprimé. « Il est peu probable qu’un tel niveau de carence en fer se produise dans des conditions environnementales normales. Elle devrait avoir des effets délétères non seulement sur la détermination du sexe, mais aussi sur divers autres systèmes physiologiques », précise Makoto Tachibana. Quoi qu’il en soit et que les grossesses humaines s’avèrent plus ou moins sensibles au manque de fer que celles des souris, « il n’y a pas de mal à prévenir l’anémie », conclut le chercheur.
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