Comment vivre avec le virus ?

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Comment vivre avec le virus ?
Comment vivre avec le virus ?

Africa-Press – Congo Kinshasa. Se réfugier sur une île ne semble même pas une option pour vivre enfin en paix, à l’abri de la fichue COVID. Prenez la Nouvelle-Zélande. Oh ! elle n’a déploré que 27 morts pour cinq millions d’habitants depuis le début de la pandémie, sa situation au milieu du Pacifique Sud ayant beaucoup aidé à traquer chaque cas pour éviter les éclosions. Mais le variant Delta a tout changé. Au point que, début octobre, après sept semaines de confinement imposé aux habitants d’Auckland, la première ministre Jacinda Ardern s’est résolue à annoncer que même ces mesures ultra-strictes n’avaient pas empêché le virus de prendre pied et que les Néo-Zélandais allaient devoir, comme le reste du monde, « vivre avec le virus ».

C’est aussi la conclusion à laquelle de plus en plus de Québécois en viennent : on va devoir faire avec le virus. Les spécialistes ne pensent pas non plus qu’on réussira à éradiquer le SRAS-CoV-2, parce qu’il est trop présent, trop contagieux, et qu’il pourrait s’installer de nouveau chez un hôte animal et nous retomber dessus au gré des rencontres, puisqu’on l’a déjà trouvé chez de multiples espèces. Alors, comment « vivre avec le virus » et revenir en même temps à une vie normale ?

On côtoie depuis la nuit des temps d’innombrables virus. Parmi ceux-ci, il y a de vraies saloperies qui causent des maladies graves (qu’on tente de rendre moins mortelles avec des vaccins et des traitements), de simples compagnons de voyage (qui entraînent des infections banales) et bien d’autres virus qui ne nous affectent même pas. Il y a aussi des virus qui donnent lieu à des fléaux planétaires récurrents, comme celui de la grippe, des virus exotiques qui restent cantonnés à certaines régions de pays pauvres, comme celui de la fièvre jaune, et des épidémiques qui éclosent par moments.

Mais on ne sait pas encore très bien ce qu’impliquera de vivre avec le SRAS-CoV-2, car ce virus est trop récent. On sait par contre que la suite dépendra de la manière dont le virus va évoluer, de notre immunité dopée par les vaccins et des progrès dans les traitements, ainsi que des politiques et de nos propres comportements. Voici ce à quoi on peut s’attendre.

Des mesures sanitaires encore pour un bout

À l’été 2021, l’Alberta et la Saskatchewan ont fait la démonstration de ce qui se passe si les mesures sanitaires sont fortement relâchées alors que le taux de vaccination de la population n’est pas suffisant pour contrecarrer la contagiosité du virus : les cas augmentent en flèche, les malades critiques arrivent tous en même temps aux soins intensifs et le délestage d’opérations vitales devient réalité. Même Singapour, où plus de 80 % de la population est pleinement vaccinée, s’est résignée à limiter de nouveau les rassemblements après avoir vu une hausse explosive des cas menacer son système de santé, à la suite de l’abandon de plusieurs mesures sanitaires.

Au Québec, la capacité des hôpitaux est limitée par le manque de personnel. La marge de manœuvre est mince, et le système de santé ne peut guère se permettre de voir augmenter le nombre de malades de quoi que ce soit. Une forte saison de grippe, un variant rapporté par des voyageurs, un relâchement trop rapide des mesures sanitaires, tout cela pourrait ramener des mesures plus sévères que celles qui sont appliquées actuellement.

Le baromètre qui guide l’imposition des mesures sanitaires au Québec, comme à beaucoup d’endroits, c’est en effet le nombre d’hospitalisations, particulièrement aux soins intensifs. Or, environ 800 000 Québécois de plus de 12 ans n’ont encore reçu aucun vaccin. « Ils ont choisi, consciemment ou non, d’être infectés, et on va devoir gérer la suite en fonction de la place qu’ils prendront aux soins intensifs », explique le Dr Gaston De Serres, membre du Comité sur l’immunisation du Québec.

Chaque semaine, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) fournit au gouvernement une projection des risques d’hospitalisations sur les trois semaines suivantes, tant pour les lits ordinaires que pour ceux aux soins intensifs, calculée à partir d’une multitude de paramètres (taux de reproduction du virus, caractéristiques démographiques des personnes infectées, efficacité des vaccins, délais de dépistage, etc.). Sur quelque 1 300 lits aux soins intensifs dans tout le Québec, 350 au maximum peuvent être occupés par des patients atteints de la COVID. On comptait environ 80 de ces patients à la mi-octobre, et 9 sur 10 n’étaient pas vaccinés. La plupart des malades aux soins intensifs sont des adultes qui y séjournent de une à deux semaines, selon leur âge.

Comme depuis le début de la pandémie, experts en santé publique et politiciens vont continuer à choisir quelles mesures appliquer en fonction de multiples paramètres épidémiologiques, de l’efficacité de chacune et des contraintes qu’elles entraînent. Il n’y a pas de chiffre magique qui indiquerait à quel moment on pourrait, par exemple, abandonner les masques dans telle ou telle circonstance.

Bien malin celui qui saurait dire quand la quatrième vague va s’éteindre et si d’autres suivront. À chaque sortie de vague, certaines mesures seront levées — même s’il faudra se montrer très prudents. À garder en tête : les risques d’éclosion sont à leur maximum lorsqu’un grand nombre de personnes, parmi lesquelles certaines ne sont pas vaccinées, se côtoient de près sans masque dans un lieu clos. Ainsi, les dernières mesures à disparaître seront probablement les limites aux gros rassemblements privés et l’obligation du masque dans les lieux potentiellement achalandés, mais non soumis au passeport vaccinal, comme les commerces ou les transports en commun.

Ceux qui rêvent de voir ces mesures s’envoler une fois l’état d’urgence sanitaire levé risquent d’être déçus. Le premier ministre François Legault a certes annoncé qu’il renoncera à cette disposition au début de 2022, quand les enfants auront été vaccinés. Mais ce volet de la Loi sur la santé publique, qui a notamment permis au gouvernement d’interdire des déplacements, n’est pas nécessaire pour maintenir certaines mesures dans des circonstances données. De plus, l’état d’urgence sanitaire pourrait de nouveau être décrété en cours d’année si la situation se dégradait.

Les choix des autorités dépendront aussi de l’acceptabilité sociale, du taux de vaccination et de l’efficacité des vaccins contre la transmission et les formes graves de la maladie. « À un moment, il faudra réexaminer le passeport sanitaire et la vaccination obligatoire des employés de la santé, deux mesures que l’on a jugées acceptables parce qu’elles étaient temporaires », rappelle Michel Désy, du Comité d’éthique de santé publique de l’INSPQ. Quand ? Tout dépendra de l’imprévisible épidémiologie et de l’état du système de santé.

Des variants à surveiller

Oui, cette pandémie va finir par finir, comme toutes celles qui l’ont précédée. Mais en 2022, on devra continuer de composer avec l’incertitude. Cette année ou plus tard, on passera d’une phase de crise à une situation plus stable, pour vivre avec un virus qu’on qualifiera alors d’endémique, c’est-à-dire qu’il circulera sans provoquer une pandémie. Sur quel monde débouchera cette transition ?

Le meilleur scénario : on disposera de vaccins efficaces contre tous les variants et on réussira à les distribuer partout sur la planète pour contenir le virus. On reprendra alors le fil de nos vies relativement sans contraintes.

Le pire : on vivra un monde divisé, tristement pessimiste, dans lequel émergeront régulièrement des variants qui échapperont à l’efficacité vaccinale. Dans ce scénario, seuls les pays riches auront les moyens de revacciner leur population, qui devra chaque fois se plier à des mesures sanitaires en attendant un vaccin. Le reste de la planète tentera de survivre de vague en vague.

Ces deux extrêmes sont étudiés par les experts du Conseil scientifique international, une société savante, avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Bureau des Nations unies pour la prévention des catastrophes.

Dans tous les cas, vivre avec un virus qui évolue nous oblige à le surveiller comme de l’huile sur le feu. Au Québec comme ailleurs, il faut continuer les tests, même si le virus recule, pour que la surveillance génomique puisse repérer les variants dès qu’ils émergent. « Il reste énormément à faire pour doter le monde de capacités de séquençage à la hauteur du défi », croit le microbiologiste Jean Longtin, de l’Université Laval, qui participe à une mission de l’OMS au Cap pour essayer d’améliorer le dépistage dans tout le sud de l’Afrique. « Dans certains coins, on découvre encore les variants avec plusieurs mois de retard ! » constate-t-il.

Nous ne sommes pas pour autant condamnés à devoir aller faire la file à répétition au centre de dépistage. Plusieurs nouvelles modalités de test pourraient être mises en place au fil du temps, dont certaines assez vite. Tests rapides, autotests à la maison, analyse de la salive… de nombreuses techniques n’ont pas encore été exploitées à leur plein potentiel au Québec, et celles déjà utilisées ailleurs dans le monde sont perfectibles.

On ne peut pas prédire quels variants apparaîtront ni quelles seront leurs caractéristiques. Mais on sait ce qui peut pousser le virus dans un sens ou dans un autre.

Parmi les multiples variants qui ont émergé, seuls quatre ont été considérés comme préoccupants par l’OMS. Ce statut indique qu’au moins une nouvelle propriété du virus est susceptible d’en compliquer la gestion : il peut devenir plus contagieux, plus virulent — c’est-à-dire capable de causer une maladie plus grave —, échapper à l’immunité (procurée par la vaccination ou une infection passée) ou encore résister aux traitements. Et malheureusement, ces propriétés peuvent se combiner.

Dans les prochains mois, l’immunité croissante de la population — des centaines de millions de personnes ont déjà été infectées, mais surtout, plus de six milliards de doses de vaccins ont été injectées — va exercer une nouvelle pression. L’évolution risque de favoriser, au hasard des mutations, celles qui aideront le virus à déjouer cette réponse immunitaire.

En Autriche, l’équipe de Fyodor Kondrashov, chercheur en génomique évolutive, a construit un modèle mathématique pour voir ce qui favoriserait la naissance de ces variants d’un nouveau genre. Le scénario du pire, selon son étude : des contacts étroits dans une population comptant autant de gens immunisés que non immunisés. Dans ces conditions, a calculé le chercheur, le risque que le virus acquière ce type de mutations, en alternant entre les deux groupes, est à son maximum.

Tant que la population mondiale ne sera pas largement immunisée, l’émergence d’un variant de ce genre nous pend donc au bout du nez. Selon sa contagiosité, il pourrait, ou non, réussir à s’implanter même là où la population est bien protégée. Alors, un conseil si vous prévoyez voyager en 2022 : prenez une bonne assurance annulation, car des liaisons aériennes pourraient être interrompues à tout moment pour ralentir un variant, par le Canada (advenant un variant canadien ou une forte circulation d’un variant venu d’ailleurs) ou par tout autre pays.

Combien de temps allons-nous devoir vivre avec cette menace ? La réponse dépend beaucoup des stratégies des gouvernements et des entreprises pharmaceutiques.

D’ici la fin de 2021, COVAX, l’initiative visant à partager les vaccins à l’échelle de la planète, prévoit livrer 1,6 milliard de doses dans 139 pays défavorisés, soit assez pour immuniser 20 % de la population, ou 40 % des adultes. Et elle espère que 70 % de la population mondiale sera vaccinée d’ici la mi-2022.

Fin septembre, l’Union européenne et les États-Unis se sont donné le même objectif. Les pays riches ont accru leurs dons depuis quelques mois, mais ils stockent aussi des vaccins en prévision de troisièmes doses, contre l’avis de l’OMS. COVAX blâme également Pfizer et AstraZeneca, qui n’ont pas réussi à augmenter leurs capacités de production aussi vite qu’annoncé.

Dans les pays du Sud, d’innombrables entreprises se disent prêtes à fabriquer les vaccins sous licence pour accélérer la cadence. La première dose du vaccin russe Sputnik a déjà été produite ainsi dans 34 pays, mais les nouveaux producteurs peinent à fabriquer la seconde dose, qui n’a pas la même composition. Les vaccins à ARN, eux, sont presque tous accaparés par les pays riches, et aucun pays du Sud ne les fabrique encore sous licence.

Une troisième dose, peut-être

Même si personne n’a de boule de cristal, l’immunologue Alain Lamarre, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), pense qu’il est peu probable qu’une campagne de vaccination massive soit mise en branle avant l’été 2022 au Québec, d’autant plus que la protection contre les hospitalisations et la mortalité offerte par les vaccins actuels ne montre aucun signe de faiblesse.

L’analyse des cas de COVID survenus dans la province entre mars et septembre derniers chez des adultes ne vivant pas en CHSLD ou dans d’autres résidences révèle que, pour l’instant, les vaccins protègent toujours à plus de 90 % contre les risques de maladie grave. Les aînés de ces établissements ont toutefois commencé à recevoir une troisième dose, car ils sont extrêmement fragiles à cause de leur état de santé et de leurs conditions de vie.

D’autres pays ont déjà entrepris de donner une troisième dose à tous les aînés, environ six mois après leur dernière injection. Mais les modalités de vaccination ont une grande influence sur la durée et la qualité de l’immunité. « Plus que jamais, on va devoir se fier aux données locales sur l’immunité pour déterminer quand des doses de rappel pourraient être nécessaires », croit l’immunologue Alain Lamarre.

Avec l’équipe du Dr Gaston De Serres à l’Institut national de santé publique du Québec, Andrés Finzi, virologue à l’Université de Montréal, a comparé les types d’anticorps produits par des personnes ayant été infectées avant d’être vaccinées, et par des gens vaccinés à 3, 12 ou 16 semaines d’écart. « Les gens infectés puis vaccinés ont la réponse immunitaire la plus blindée. Cela dit, même si vous êtes doublement vacciné, je ne vous conseille pas d’attraper la COVID par exprès pour doper votre immunité ! » Les doses espacées de 16 semaines offrent aussi une réponse bien plus complète que celles injectées à 3 semaines d’écart.

Tant qu’on ne voit pas baisser l’immunité, une troisième dose est peu utile. Mais si on devait en donner une à tous, on ne replongerait pas nécessairement dans le même cirque qu’en 2021 : les approvisionnements ont de bonnes chances d’être moins problématiques, les effets secondaires des vaccins sont désormais bien connus, et on a toute l’expérience logistique pour mettre sur pied une campagne de vaccination qui roule.

D’ici à ce qu’on en arrive là, on aura peut-être aussi d’autres vaccins à notre disposition. « Il reste beaucoup de place pour de nouveaux vaccins », estime Nathalie Charland, directrice scientifique à Medicago. Mais seuls quelques-uns s’ajouteront à l’arsenal actuel dans les prochains mois. Aux hésitants qui attendent le vaccin de Medicago : la société pharmaceutique québécoise prévoit déposer sa demande d’homologation avant la fin de l’année.

Il y a également de multiples manières de reformuler les vaccins actuels pour les améliorer, explique Nathalie Charland : les combiner avec un vaccin contre autre chose pour simplifier les campagnes de vaccination, les donner sous forme orale, nasale ou en timbre… Un vaccin combiné grippe-COVID serait par exemple plus facile à gérer qu’un vaccin contre la grippe et un autre contre la COVID, même si on les donnait en même temps. « Mais cela prendra plusieurs mois, voire des années avant qu’on y arrive », ajoute la directrice scientifique à Medicago.

Pour décider de l’opportunité d’une éventuelle troisième dose, on se fie aux résultats des enquêtes épidémiologiques, qui révèlent régulièrement combien de gens, déjà vaccinés ou non, ont contracté le virus et souffert d’une maladie plus ou moins grave, et après combien de temps. Par ailleurs, comme l’apparition de nouveaux variants brouille les pistes, ce n’est pas facile d’y voir clair.

Depuis le début de la pandémie, les tests de neutralisation des anticorps ont aussi été amplement utilisés pour évaluer la force de l’immunité. Ces tests permettent de voir à quel point le sérum sanguin des personnes déjà vaccinées, ou infectées, ou les deux reste capable de neutraliser le spicule.

En juillet, le gouvernement israélien a annoncé avoir décelé une baisse de l’immunité des premières personnes vaccinées, six mois plus tôt. Au même moment, Pfizer a proposé l’administration d’une troisième dose, six mois après la deuxième. Elle s’est justifiée en évoquant la situation en Israël, mais aussi en mentionnant que cette dose de rappel augmente nettement les taux d’anticorps neutralisants. « Les tests de neutralisation sont faciles à faire, mais ils ne disent pas tout. C’est manquer de respect aux anticorps que de croire qu’ils ne servent qu’à neutraliser le spicule », affirme le virologue Andrés Finzi.

Dans son labo de l’Université de Montréal, son équipe a mis au point une technique pour repérer les anticorps qui, au lieu de neutraliser le spicule, servent plutôt à activer le système immunitaire. Et ils sont nombreux ! Son expérience confirme ce que disent bien d’autres spécialistes : on ne peut pas évaluer la vigueur de l’immunité en mesurant seulement le taux d’anticorps neutralisants, car les autres soldats du système immunitaire pourraient nous protéger beaucoup plus durablement.

On craint toutefois que l’immunité contre le SRAS-CoV-2 ne soit pas éternelle, en raison de ce que l’on connaît d’autres coronavirus. Dans les années 1980, des chercheurs britanniques rattachés à la Common Cold Unit, un programme de recherche sur le rhume, ont mené une expérience qui a fait date. Ils ont délibérément infecté 15 volontaires en leur pulvérisant dans le nez une solution contenant le 229E, un coronavirus qui donne le rhume et qu’on attrape presque tous pour la première fois dans l’enfance. Parmi ces 15 cobayes, seuls 10 ont été infectés, dont 8 ont eu un rhume. Puis ils ont recommencé l’année suivante. Parmi les 10 volontaires infectés la première fois, 6 ont de nouveau été contaminés, mais personne n’est tombé malade. Les chercheurs en ont conclu que l’immunité complète est de courte durée — un an seulement s’était écoulé entre leurs deux tests —, mais qu’une nouvelle infection engendre des symptômes moindres — en fait, pas de symptômes du tout avec le 229E.

L’immunité contre le SRAS-CoV-2, dopée par les vaccins, se comptera-t-elle aussi en mois plutôt qu’en années ? À suivre.

Des fabricants de vaccins sur le qui-vive

Devrait-on remplacer les vaccins actuels par d’autres qui pourraient mieux nous protéger des variants ? Gaston De Serres, membre du Comité sur l’immunisation du Québec, estime que le risque est faible que cela devienne bientôt nécessaire, au vu des performances des vaccins dont nous disposons maintenant. Mais il faut quand même se tenir prêts.

Advenant l’apparition d’un dangereux variant qui échapperait à l’immunité, un vaccin adapté pourrait être offert en quelques mois. Si ce nouveau variant s’implantait rapidement, il faudrait peut-être entre-temps revenir à des mesures sanitaires strictes comme celles mises en place dans les zones rouges l’hiver passé.

Cependant, il est peu probable qu’apparaisse un virus capable d’échapper radicalement à notre immunité renforcée par les vaccins. Le virologue Andrés Finzi, qui analyse la manière dont différents variants sont attaqués par nos anticorps, est très rassuré par une étude publiée dans la revue Nature en septembre par l’équipe de Paul Bieniasz, de l’Université Rockefeller, à New York.

Les chercheurs ont d’abord créé un faux coronavirus, à partir d’un virus inoffensif auquel ils ont ajouté la séquence d’ARN qui permet au SRAS-CoV-2 de fabriquer son spicule. Puis ils l’ont fait évoluer en accéléré, en le mettant en contact avec le sérum sanguin de personnes guéries de la COVID, dont on sait que les anticorps neutralisants ne sont pas assez puissants pour arriver à eux seuls à empêcher une nouvelle infection. Les chercheurs ont vu apparaître des mutations aidant le virus à échapper aux anticorps. Certaines leur étaient familières, puisqu’on les retrouve dans les variants préoccupants !

Ils ont ensuite fabriqué un autre faux coronavirus contenant 13 des mutations les plus inquiétantes repérées à l’étape précédente, puis l’ont mis en contact avec le sérum de convalescents ou de personnes vaccinées. Dans les deux cas, les anticorps sont quand même parvenus à neutraliser, en partie, le virus.

Les chercheurs ont finalement créé un véritable monstre très peu susceptible d’apparaître naturellement au fil de l’évolution, en combinant les mêmes 13 mutations à 7 autres déjà apparues depuis le début de la pandémie. Ce Frankenstein a tenu tête aux anticorps des convalescents et des personnes vaccinées, mais pas à ceux des personnes infectées puis vaccinées ! De plus, ce faux coronavirus a eu bien plus de mal à se multiplier que le SRAS-CoV-2 que l’on connaît. « Cela signifie que notre système immunitaire, bien stimulé, a la capacité de vaincre à peu près n’importe quel variant. Cette expérience montre aussi que les risques de voir évoluer le virus vers un variant qui échapperait complètement à la réponse immunitaire dopée par les vaccins, ou par les vaccins et une infection passée, semblent très minces », dit Andrés Finzi.

N’empêche, les entreprises pharmaceutiques essaient d’anticiper l’arrivée de variants préoccupants grâce à des outils de modélisation du spicule, comme celui qu’a conçu Rafaël Najmanovich à l’Université de Montréal. Avec son équipe de bio-informaticiens, le chercheur a élaboré un modèle qui permet de voir comment 17 000 combinaisons de mutations changent la forme de cette protéine et pourraient rendre le virus plus infectieux. « Le modèle a réussi à prédire l’apparition de trois des quatre variants préoccupants », se réjouit Rafaël Najmanovich, qui, en collaboration avec des chercheurs du Royaume-Uni, teste chaque jour de nouvelles combinaisons de mutations repérées dans ce pays. « Cet outil est encore très imparfait, mais il facilite le repérage de variants préoccupants », explique-t-il.

Du côté de Moderna et de Pfizer, plusieurs vaccins modifiés ont déjà été testés sur des volontaires, avant qu’on sache que les vaccins actuels restent très efficaces contre la maladie grave. L’efficacité des vaccins pourrait être maximisée s’ils étaient adaptés pour combattre de futurs variants.

Changer la formule n’est pas compliqué : il faut quelques semaines pour recopier la nouvelle recette du spicule, puis quelques mois pour tester le vaccin sur des humains. « À Moderna, trois vaccins modifiés contre les variants préoccupants ont déjà fait l’objet d’essais de phases 2 et 3 [NDLR : le type d’essais qui permettraient de déposer une demande d’approbation pour un vaccin adapté], et un nouvel essai démarrera sous peu avec un quatrième, qui combine les mutations de Bêta et de Delta », précise Patricia Gauthier, directrice générale de Moderna Canada.

Fin septembre, la petite entreprise américaine Gritstone a commencé à tester un vaccin d’un nouveau genre, qui cible le spicule, mais aussi d’autres protéines moins sujettes aux mutations. « Dans les laboratoires, il y a de multiples projets de vaccins de ce type, qui pourraient être plus performants contre un virus appelé à muter », raconte Alain Lamarre, de l’INRS.

Les difficultés de réalisation des essais cliniques risquent toutefois de freiner considérablement le développement, tant que des acteurs importants — de grosses entreprises pharmaceutiques ou des gouvernements — ne mettront pas des centaines de millions de dollars sur la table pour faire aboutir ces produits.

Le même phénomène existe avec l’influenza, contre laquelle bien des chercheurs, comme Denis Leclerc, du Centre de recherche du CHU de Québec, ont concocté un vaccin universel qui pourrait combattre toutes les souches. « Vu leur modèle d’affaires, il est évident que les fabricants n’ont aucun intérêt à remplacer un vaccin qu’on doit redonner périodiquement », dit le chercheur.

Un simple rhume… un jour ?

Oui, on peut espérer que le SRAS-CoV-2 finira d’ici quelques années par causer un simple rhume. Et non, ce n’est pas une théorie farfelue.

Dans une étude publiée en février dernier dans la revue Science, la chercheuse américaine Jennie Lavine a modélisé ce qu’il pourrait advenir de ce virus lorsque la COVID deviendra endémique. Elle a constaté que, comme la maladie est rarement grave chez les enfants, une fois que la population adulte aura été immunisée par des vaccins ou par les infections passées, le virus a de fortes chances d’évoluer pour ne donner qu’une COVID aussi banale qu’un rhume. On pourrait alors tous pousser un énorme soupir de soulagement… sans masque ! Même si, d’ici à ce qu’on en soit là, d’innombrables personnes pourraient encore mourir de la maladie.

Ne vous réjouissez d’ailleurs pas trop vite, avertit Jesse Shapiro, professeur à l’Université McGill et spécialiste de l’évolution des microorganismes. « Les modèles évolutifs servent surtout à établir des scénarios plus probables que d’autres », précise-t-il. Il croit qu’on ne peut pas exclure, pour l’instant, la possibilité que le SRAS-CoV-2 continue longtemps de pouvoir entraîner une maladie grave.

L’histoire de la « grippe russe » au tournant du siècle dernier permet tout de même de rêver.

En mai 1889, la petite ville de Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan, est aux prises avec une épidémie d’une drôle de grippe, qui semble plus contagieuse et plus mortelle que les infections respiratoires habituelles. En novembre, le microbe arrive à Saint-Pétersbourg, d’où il se répand dans le monde à une vitesse fulgurante, en suivant le trajet des trains et des navires.

En six semaines, la grippe russe envahit toute l’Europe occidentale. Début janvier 1890, elle débarque en Amérique du Nord, probablement par le port de Halifax. À New York, 1 200 personnes en meurent en une semaine, et le microbe a déjà trouvé son chemin jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Cette pandémie a duré quatre ans, frappant par vagues d’environ trois mois, d’ampleurs inégales et survenant à différents moments dans le monde, qui touchaient surtout les villes. Elle a fait un million de morts, sur une planète qui comptait cinq fois moins d’habitants que maintenant. Ce fut la première bien documentée par l’épidémiologie, une science née au milieu du XIXe siècle, et la dernière avant qu’on découvre l’existence des virus.

De nombreux indices laissent penser que le coronavirus OC43 fut le véritable responsable de la grippe russe. On sait, grâce à des analyses phylogénétiques, qu’il est apparu à cette époque. En fouillant dans les archives du temps, on a aussi découvert que la grippe russe présentait bien des similitudes avec la COVID : elle a d’abord tué des gens âgés et fragiles avant de toucher tout le monde, provoquant une forte fièvre, de la toux, des difficultés respiratoires et une kyrielle de symptômes neurologiques, dont la perte de l’odorat, qui ont persisté longtemps chez une partie des malades.

Par la suite, le virus a perdu de sa virulence, sans qu’on comprenne pourquoi, pour ne plus causer qu’un rhume banal. On a probablement tous déjà attrapé au moins une fois le coronavirus OC43 dans l’enfance.

Même si le SRAS-CoV-2 ne suivait pas le même chemin, il faut garder espoir, car il y a bien des moyens de diminuer la mortalité causée par un virus virulent. « On a déjà fait beaucoup de progrès dans les traitements de soutien, c’est-à-dire dans tout ce qui aide une personne à rester en vie sans directement cibler la maladie », souligne François Lamontagne, intensiviste au CHU de Sherbrooke. Plusieurs nouveaux médicaments pourraient s’ajouter à l’arsenal thérapeutique au fur et à mesure que leur efficacité sera démontrée chez certains types de patients, mais il ne faut pas s’attendre à d’énormes gains dans les prochains mois, selon lui.

On commence par ailleurs à mieux comprendre pourquoi certaines personnes, même sans facteur de risque, succombent à la maladie. De nombreux chercheurs ont ainsi établi que des particularités génétiques semblent accroître le risque de mortalité. À New York, l’immunologue Jean-Laurent Casanova a aussi trouvé que, parmi les patients aux soins intensifs, un sur cinq produit, à cause de son profil génétique, des anticorps qui nuisent à la lutte contre le virus ! En dosant ces anticorps chez les patients dès leur arrivée à l’hôpital, croit-il, on pourrait employer des traitements plus agressifs auprès de ceux qui sont davantage à risque.

Dès les premiers mois de 2020, des médecins ont traité des malades avec le plasma sanguin de personnes guéries de la COVID, comme cela avait déjà été tenté pour d’autres infections. Mais les résultats ont été mitigés. « On pensait qu’au pire, le plasma ne ferait rien, mais dans certains cas, il est nocif ! » explique l’immunologue Philippe Bégin, chercheur au CHU Sainte-Justine. Lors d’une énorme étude conduite dans 72 hôpitaux, ses collègues et lui ont montré que l’efficacité du plasma dépend de sa préparation, qui change le type d’anticorps qu’on y trouve. Leur étude, ajoutée à celles d’Andrés Finzi, confirme qu’on a sous-estimé le rôle des anticorps activateurs de l’immunité, mais non neutralisants, depuis le début de la pandémie. « On constate que ce sont souvent eux qui, pour des malades aux soins intensifs, font la différence entre rentrer chez eux ou mourir », explique le chercheur.

Ce changement de perspective pourrait bouleverser les traitements à base de cocktails d’anticorps monoclonaux, comme celui donné au président américain Donald Trump quand il a eu la COVID. Ces médicaments contiennent des molécules fabriquées en laboratoire afin de copier les anticorps présents dans le sérum des convalescents. Pour l’instant, seuls quelques produits ont été approuvés et leur usage est limité. À cause de leur efficacité restreinte et de leur coût très élevé — plusieurs milliers de dollars par traitement —, ils ont eu une incidence mineure sur la mortalité globale. « On a maintenant une chance de comprendre quels anticorps pourraient mieux performer », dit Philippe Bégin.

Les antiviraux suscitent aussi beaucoup d’espoir, puisque ces pilules pourraient couper court à la multiplication du virus dans nos cellules. En octobre, l’entreprise Merck a annoncé avoir terminé les essais cliniques d’un traitement, le molnupiravir, qui réduirait les risques d’hospitalisation ou de mort de 50 % chez les personnes atteintes d’une forme de COVID légère ou modérée. D’autres sociétés pharmaceutiques planchent sur des produits similaires. Mais prenez garde de crier victoire trop vite.

D’abord, les résultats des études n’ont pas encore été publiés, et par le passé, de nombreux antiviraux se sont avérés moins efficaces que ce qui était attendu. Ensuite, on devra vérifier si les effets secondaires sont acceptables, car ces médicaments qui empêchent le virus de copier son ARN pourraient aussi théoriquement perturber nos propres cellules. Enfin, même s’ils sont approuvés, il faudra voir quels pays pourront se les offrir. Pour l’instant, le gouvernement américain s’est engagé à acheter le molnupiravir, s’il est approuvé, à environ 900 dollars la dose.

La COVID ne fait pas que tuer : elle laisse également une partie des malades avec des symptômes de longue durée. On ne comprend pas ce qui cause ces atteintes ni comment elles pourraient évoluer. En attendant d’éventuels traitements spécifiques au syndrome post-COVID, un mal encore mystérieux, on ne peut qu’essayer de soulager les symptômes de chaque personne touchée, en espérant qu’ils finissent par passer. Il est cependant à souhaiter que, dans la prochaine année, la maladie soit mieux caractérisée et que la prise en charge des malades s’améliore.

Un système de santé à repenser

Vivre avec le virus voudra malheureusement dire accepter qu’il y ait encore des victimes. Combien ? « Je ne crois pas qu’on puisse établir un nombre de morts qu’on devra déplorer avant de pouvoir retrouver une vie normale, car on n’a jamais ce genre de réflexion collective », explique l’éthicien Michel Désy. C’est plutôt le contraire qui risque d’arriver, selon lui : un jour, on trouvera normal qu’il y ait encore des victimes de la COVID, tout comme on juge normal que des gens meurent de la grippe ou dans des accidents de voiture.

Jean-Louis Denis, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le design et l’adaptation des systèmes de santé, estime que le virus et l’épuisement des « anges gardiens » ont engendré une désorganisation du système de santé dont on risque fort de payer le prix pendant plusieurs années. « Cette crise sanitaire a mis en évidence les dangers de multiples dysfonctionnements qui duraient parfois depuis des décennies. » Est-ce que l’analyse de cette expérience naturelle permettra de s’attaquer à ce qu’on négligeait déjà avant et débouchera sur un meilleur système ? « Tout dépendra des politiques et de la manière dont les différents groupes d’intérêts feront pencher la balance », croit Jean-Louis Denis. Malgré notre empressement à tourner la page, nous devrons veiller à ne pas oublier les leçons apprises.

Le chercheur à l’Université de Sherbrooke François Lamontagne, très impliqué dans l’étude de l’organisation des soins intensifs, croit aussi que cette crise devra être l’occasion de faire un gros ménage. « Pensez-y : quand la pandémie a commencé, on n’avait même aucune idée du nombre de lits disponibles en soins intensifs au Québec ! »

L’intensiviste espère qu’on saura se poser de vraies grandes questions sur la place de la prévention et sur l’efficacité des traitements. « Actuellement, bien des gens prédisent une hécatombe à cause des retards pris dans le dépistage des cancers ou les examens d’imagerie, alors qu’on sait qu’il y a beaucoup de tests et de traitements inutiles. Est-ce que ces retards vont vraiment changer quelque chose à l’état des patients ? Il faut le vérifier plutôt que de le tenir pour acquis. »

Jean-Louis Denis conseille de s’attaquer dès maintenant à trois chantiers clés, à coups d’investissements majeurs. D’abord, la gestion des ressources humaines, y compris la reconnaissance de tous les professionnels, « et pas seulement ceux dont on entend beaucoup parler », pour que le système de santé devienne équitable, qu’il reconnaisse chacun à sa juste valeur et qu’il attire des recrues. Ensuite, il faut rattraper le retard dans les interventions chirurgicales. Mais le chercheur estime aussi qu’on doit déployer un effort de guerre immédiat pour prendre soin de la santé mentale de la population, veiller au développement des jeunes et à la protection des groupes vulnérables. Un travail pharaonique !

Pour tous les Québécois, le défi consiste désormais à nous réapproprier nos vies, même dans l’adversité, croit Mélissa Généreux, chercheuse à l’Université de Sherbrooke et spécialiste des effets psychosociaux des catastrophes. « Le vivre-ensemble fait beaucoup de bien : voir les gens qu’on aime, organiser une fête des voisins, s’impliquer dans sa communauté, donner… c’est comme ça qu’on va retrouver notre joie de vivre ! » explique la spécialiste, qui a vu les bénéfices de cette approche pendant les années où elle a travaillé à la reconstruction psychosociale de la communauté de Lac-Mégantic, après la tragédie ferroviaire. « L’année et demie qui vient de passer n’est pas perdue, c’est à travers ce genre d’épreuve qu’on grandit », insiste-t-elle.

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