Cosmétiques et médecines quantiques : le grand malentendu

4
Cosmétiques et médecines quantiques : le grand malentendu
Cosmétiques et médecines quantiques : le grand malentendu

Africa-Press – Congo Kinshasa. Cosmétiques quantiques, médecines quantiques, conscience quantique… L’affaire de la crème “quantique” de Guerlain a mis en évidence à quel point le terme “quantique” est en train d’être utilisé à toutes les sauces, d’abord dans les médecines alternatives et désormais dans les cosmétiques. “À chaque fois, les industriels s’emparent du truc le plus mystérieux du moment. La physique quantique n’est pas du tout mystérieuse, c’est l’une des disciplines les mieux comprises et les plus prédictives de la science actuellement, mais ça échappe un peu à notre intuition. Et donc, ils jouent là-dessus”, se désole Julien Bobroff, physicien à l’Université Paris-Saclay.

Guerlain n’est pas le premier à faire des soins “quantiques”

En effet, Guerlain n’a fait que suivre une tendance de longue date. En France, l’entreprise Energecia propose des soins “quantiques” depuis quelques années. “C’est un processus novateur, développé en interne, transcendant les actifs par le biais de l’information pour sublimer les bienfaits des ingrédients, offrant ainsi une action multidimensionnelle”, affirme Isabelle Bon, fondatrice d’Energecia. Tout en critiquant Guerlain pour son utilisation abusive du terme quantique: “L’onde de choc suscitée par l’utilisation du terme ‘quantique’ pour la crème Guerlain est légitime, car il semble que cette crème ait fait l’objet d’une observation photonique plutôt que d’une transformation de la matière à l’ordre quantique.”

Contrairement donc aux crèmes d’Energecia, qui elles mériteraient bien l’adjectif quantique selon sa fondatrice. “J’ai eu l’idée d’intégrer directement ces fréquences neurosensorielles dans les produits. L’objectif est que ces produits boostent le métabolisme, poursuit Isabelle Bon. Grâce à des ondes spécifiques, il est possible de cibler le nettoyage d’organes tels que le foie, la vésicule biliaire, ou encore les organes liés à la digestion. Ainsi, je travaille de manière ciblée sur les systèmes corporels, les organes, les méridiens, les émotions, les minéraux, les vitamines, aussi bien que les besoins spécifiques directement associés à la peau.”

Pourquoi ces crèmes ne peuvent être qualifiées de quantiques

Cependant, les experts en physique quantique s’accordent à dire que ces crèmes ne peuvent pas être quantiques: “Il y a une règle assez simple si on veut faire le tri: un objet est vraiment quantique, c’est-à-dire qu’il présente des propriétés quantiques, à certaines conditions. Il y a deux choses qui font qu’un objet ne peut pas être quantique, c’est s’il est chaud et gros. Si vous avez un objet qui est à 20 degrés ou 37 degrés, à la température de la pièce ou à la température du corps humain, et s’il fait un millimètre ou un centimètre, il ne peut pas présenter de propriétés quantiques comme la superposition d’états ou comme l’intrication. Parce qu’il y a un phénomène qui s’appelle la décohérence et qui fait que l’objet arrête d’être quantique, explique Julien Bobroff. Donc si un objet est trop gros et trop chaud, il ne peut pas être quantique.”

“Les effets quantiques ne survivent pas sur les grosses tailles, confirme Aymeric Delteil, expert en nanophotonique quantique à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Ils ne survivent pas dans les objets chauds, ni dans les objets éclairés, ni en contact avec un gaz ou en contact avec de la lumière. Parce qu’un effet quantique est extrêmement fragile. On arrive à l’étudier en laboratoire en faisant une protection extrême, c’est-à-dire que le système qu’on veut étudier est coupé de tout contact avec l’extérieur. Pas de lumière, on le met dans le froid absolu, on le met dans le noir, on l’isole. Et même dans ces conditions-là, les effets sont très, très, très, très fragiles.”

Un terme déjà utilisé par les médecines alternatives

Avant d’être utilisé dans le milieu des cosmétiques, le terme “quantique” était déjà exploité par la médecine “quantique”: celle-ci affirme pouvoir soigner le corps en utilisant ses qualités quantiques. C’est par exemple le cas de Konstantin Korotkov, qui collabore avec plusieurs entreprises, dont Energecia. “Je travaille principalement dans le domaine de la conscience et notamment la conscience quantique”, affirme-t-il, tout en refusant d’expliquer plus en détail son approche, se contentant de nous renvoyer vers le site de l’Iumab.

Cette organisation utilise le principe des photographies Kirlian, censées pouvoir capturer l’aura humaine. Mais ces clichés n’ont rien de paranormal. Elles montrent au contraire un phénomène physique nommé l’effet corona, causé par une décharge électrique qui affecte le milieu entourant un conducteur tel que la peau humaine, mais aussi des objets inanimés (tels que les mâts des navires ou encore le fameux feu de Saint-Elme). M. Korotkov dit avoir travaillé pour plusieurs universités à St-Petersbourg, mais il est introuvable sur les sites de ces universités. Cependant, il n’est pas tout à fait inconnu, puisqu’il a déjà fait parler de lui lorsqu’il a affirmé que de momies au Pérou étaient d’origine extraterrestre.

L’idée d’une conscience quantique a été popularisée dans les années 1990 par le physicien Roger Penrose, qui gagnera le prix Nobel de Physique en 2020 pour sa prédiction des trous noirs. Mais sa théorie est considérée peu probable par la plupart d’experts. “Quand on regarde à l’échelle microscopique, tous les phénomènes deviennent quantiques. Absolument tous. La biologie étant basée sur la chimie, elle a ses sources dans la mécanique quantique, c’est sûr. Seulement, il faut séparer l’origine microscopique des phénomènes qui à plus grande échelle ne sont pas spécialement quantiques”, réfute Aymeric Delteil.

Rejoint par Julien Bobroff: “Si par hasard il y avait un processus au niveau des neurones et des synapses qui utilise un peu de quantique, ce n’est pas pour cela que tout le cerveau pourrait être quantique dans son ensemble. C’est-à-dire qu’à l’échelle d’une réaction, il y a peut-être une aide de la quantique quelque part, mais ça ne va pas se répandre sur toute la conscience d’un cerveau. Ça, c’est impossible. C’est sur 30 cm, sur des centimètres cubes et à 37 degrés, ça ne peut pas tenir le coup.” Trop gros, trop chaud.

L’émergence de la biologie quantique

La conscience n’est donc peut-être pas quantique, mais il se pourrait que cela soit bien le cas pour d’autres phénomènes biologiques, tels que la photosynthèse ou l’orientation des oiseaux migrateurs. Et un nombre croissant de chercheurs tente de déterminer à quel point la mécanique quantique pourrait être appliquée à la biologie. “La biologie quantique est un domaine très sérieux, avec de très bons scientifiques et qui joue toutes les règles du jeu de la recherche. C’est-à-dire que c’est en laboratoire et qu’il y a des publications scientifiques examinées par des pairs, nous rassure le physicien Julien Bobroff. L’enjeu est d’essayer de voir si dans certains mécanismes qui sont au cœur de la vie, il pourrait y avoir un rôle de la physique quantique. Mais ces mécanismes-là sont toujours à petite échelle, à l’échelle en général d’une réaction chimique.”

Une de ces scientifiques spécialisés en biologie quantique est Clarice Aiello, physicienne qui travaillait à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) avant de créer la start-up Quantum Biology Tech (QuBiT) Lab en Californie: “Plusieurs phénomènes biologiques pourraient en effet être dus à la mécanique quantique, comme le fonctionnement des enzymes, qui en laboratoire utilisent un effet quantique nommé “effet tunnel”, où les électrons et les protons peuvent traverser une barrière d’énergie grâce à ce phénomène quantique. Et plusieurs évènements biologiques répondent à des champs magnétiques d’une manière qui pourrait être quantique, y compris la division cellulaire ou les canaux ioniques. La vie pourrait dépendre de la mécanique quantique de plusieurs façons, mais pour le moment, il n’y a pas de preuve de causalité qui le démontre.”

Mais on revient au même problème: les effets quantiques observés en laboratoire n’existent peut-être pas dans le corps, trop chaud et trop gros. “Personne dans le monde n’a prouvé, ni réfuté, sans aucune ambiguïté, qu’un phénomène quantique peut survivre à l’intérieur d’une cellule suffisamment de temps pour avoir un réel effet. Il serait surprenant que la biologie ait trouvé des façons de se servir du quantique, avoue Clarice Aiello. Mais ce n’est pas impossible, et je suis en train de jouer ma carrière dans le but de le prouver.”

Pour ce faire, sa start-up essaye d’étudier ces phénomènes quantiques à l’intérieur de la cellule, un travail de longue haleine qui ne donnera pas de résultats concluants avant plusieurs années. Mais si jamais ces efforts parviennent à prouver que la biologie peut dépendre en partie de la physique quantique, tout un nouveau monde de possibilités serait à notre portée. Si c’est le cas, cela voudrait dire qu’on pourrait utiliser les outils de la physique quantique pour jouer sur la biologie… voire sur la santé.

La santé du futur sera-t-elle quantique ?

Il se pourrait donc que la médecine du futur soit, au moins en partie, quantique. Mais ce n’est pas encore le cas et l’implication du quantique dans la santé n’est que théorique pour le moment. “Nous n’avons pas encore les outils pour prouver que le quantique peut influencer la fonction ou le comportement des cellules, et encore moins la technologie pour appliquer ces principes s’ils se révélaient vrais. Je crois qu’on en est encore loin”, reconnaît l’anesthésiste Srinivas Pentyala de l’Université Stony Brook, dans l’état de New York, qui a lancé un appel à s’intéresser de près à ce domaine.

En résumé, pour le moment, l’utilisation du terme quantique en médecine, et encore plus en cosmétique, n’a aucune base scientifique. “Ceux qui disent pouvoir utiliser la physique quantique pour soigner quelqu’un, c’est purement du charlatanisme, conclut Aymeric Delteil. Je pense qu’il y a un malentendu qui vient d’un manque de communication entre le monde scientifique, le monde de la recherche et le grand public. Le public ne comprend bien la mécanique quantique et il a l’impression que les chercheurs non plus ne la comprennent pas, ce qui est faux. Ainsi le grand public a l’impression que tout ce qu’eux ne comprennent pas peut être dû au quantique et notamment les choses un peu métaphysiques: la conscience, les questions existentielles, les maladies ou les guérisons…” Un malentendu dont certains n’hésitent pas à profiter.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here