Africa-Press – Congo Kinshasa. La guerre qui déchire le Nord-Est de la RDC est devenue un casse-tête diplomatique d’une rare complexité, où chaque tentative de médiation resserre davantage l’étau du conflit. Entre un gouvernement congolais acculé, des groupes armés en expansion, des puissances régionales aux agendas opaques et des grandes puissances guidées par leurs intérêts miniers et stratégiques, le chemin vers la paix semble se perdre dans un labyrinthe de calculs politiques. Félix Tshisekedi, pris dans cette toile d’influences contradictoires, tente de préserver l’intégrité nationale tout en évitant les pièges d’une diplomatie souvent instrumentalisée. Mais au fur et à mesure que les négociations se multiplient, la méfiance grandit, les positions se radicalisent et l’ombre d’un marchandage géopolitique plane sur l’avenir même de la souveraineté congolaise.
A force d’empiler les processus, les acteurs et les intérêts contradictoires, le nœud ne se desserre pas. Il devient plutôt un piège, prêt à étrangler tout espoir de paix. Les processus dites de paix ressemblent de moins en moins à des négociations et de plus en plus à une partie de poker géopolitique où chacun bluffe, où les cartes sont truquées, et où la mise finale pourrait bien être la souveraineté même de la RDC.
La solution simple et démocratique du partage du pouvoir reste le talon d’Achille. En théorie, il reviendrait à l’actuelle majorité parlementaire de se redéfinir, de se métamorphoser pour intégrer les équilibres issus d’un hypothétique accord. Mais l’initiative lancée par Félix Tshisekedi, autorité morale de cette majorité, s’est déjà enlisée. Les ambitions individuelles déchirent les rangs, les alliances sont fragiles et les rancunes tenaces.
Traîtres contre dictateur?
La scène politique et militaire en RDC ressemble à une pièce tragique où chacun joue un rôle qu’il prétend ne pas avoir choisi. Le M23-AFC apparaissent plus que jamais comme les pions avancés de Kigali. Paul Kagame, avec son art consommé de la justification stratégique, présente cela comme une « politique de prévention ». Selon lui, le Rwanda ne ferait que protéger son territoire contre d’hypothétiques attaques venues des FDLR basées en RDC. Mais derrière ce discours lisse, tout le monde voit l’autre réalité qui est la projection de puissance rwandaise vers l’est congolais, avec un ton colonial, sous couvert de sécurisation, pour contrôler les routes minières et élargir son influence régionale.
Face à cette menace, Félix Tshisekedi a opté pour la concentration maximale du pouvoir. Politique, justice, finances, armée, diplomatie. Aujourd’hui, tout converge désormais vers la présidence. Peut-être croit-il bien faire. Fils de l’un des architectes du Mobutisme, on sent sa formation dans l’idée que le chef de l’État est le « père de la nation », celui qui protège et décide. Mais la vérité, c’est que Tshisekedi n’aurai pas pu le faire si de nouveaux rails n’étaient posés par Joseph Kabila, qui avait bâti un système verrouillé pour prolonger son règne.
ur le terrain, les fractures se creusent. D’un côté, Kinshasa martèle le récit de celui d’une agression extérieure orchestrée par Kigali, accusé d’armer et de diriger le M23 pour déstabiliser la région et exploiter ses richesses. De l’autre, le M23 se présente comme un acteur politique légitime, revendiquant une reconnaissance territoriale et institutionnelle. Entre ces deux pôles, Kigali et Kampala avancent masqués, poussant leurs propres agendas sécuritaires et économiques de contrôler les flux transfrontaliers, sécuriser leurs frontières et, surtout, capter la rente des ressources stratégiques du sous-sol congolais.
Au final, le régime à Kinshasa, l’opposition congolaise et les rebelles s’accrochent à un récit que plus personne ne croit totalement.
Les ballets diplomatiques
Plus les jours passent, plus une évidence s’impose. Si autant de tables de négociations sur la guerre en RDC existent, c’est bien parce qu’aucune n’a réussi à trouver une solution durable, ou, pour être plus précis, parce qu’aucune n’a réussi à satisfaire tout le monde.
D’Addis-Abeba à Luanda, de Nairobi à Doha, et désormais jusqu’aux couloirs de Washington, les capitales se succèdent, les communiqués s’empilent, les signatures s’enchaînent, mais la paix, elle, n’avance pas d’un pas. Et à force de multiplier les accords et les initiatives parallèles, on prépare un futur ingérable où même ceux qui les signent ne sauront plus quoi appliquer ni à qui obéir.
Pendant que chacun peine à faire entendre sa voix dans ce vacarme diplomatique, une évidence s’impose. Les États-Unis tirent habilement leur épingle du jeu et avancent leurs intérêts sans hésiter. Paix ou guerre, Washington sort gagnant à chaque étape. L’accès privilégié aux minerais stratégiques se renforce, son influence sur Kigali et Kampala s’étend et son rôle devient progressivement central dans l’architecture sécuritaire régionale. Tout cela se déroule alors même que la tâche essentielle que Kinshasa ne cesse de réclamer reste inachevée, celle de contraindre le Rwanda à cesser toute ingérence présumée dans l’est du Congo. Washington capitalise sur la crise, pendant que la RDC continue de s’enliser dans des négociations qui semblent sans fin.
Mais le dossier brûlant du moment se joue désormais à Johannesbourg. C’est là que Thabo Mbeki, l’artisan des Accords de Sun City en 2003, des accords qui apparaissent aujourd’hui comme un simple sparadrap posé sur une plaie gangrenée, a choisi de planter sa propre tente diplomatique. Il veut réunir autour d’une même table toutes les figures qui comptent dans l’avenir de la RDC, anciens présidents, opposants farouches, chefs religieux, représentants de la société civile, autorités coutumières, et même certains groupes armés. Un casting explosif, une manœuvre risquée, mais portée par une ambition immense. Le problème, c’est que Kinshasa a décliné l’invitation. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, a rejeté l’initiative, accusant Mbeki d’être un médiateur partisan et rappelant ses propos jugés trop favorables au Rwanda. Du coup, la conférence risque de se transformer en test grandeur nature. Qui va oser se montrer? Quels poids lourds congolais vont braver le veto de Tshisekedi? Et surtout, quelles seront les retombées politiques si les grands acteurs de l’opposition, des églises et de la société civile décident d’aller discuter sans Kinshasa?
Dans le même souffle, Félix Tshisekedi envoie des signaux pour le moins ambigus. Il affirme vouloir un dialogue national afin de rassembler les Congolais autour d’un idéal commun, mais il ne précise jamais s’il fait référence au processus porté par les confessions religieuses ou à une nouvelle initiative qu’il souhaiterait contrôler. Et au centre de ce chaos, la RDC continue de saigner.
Le Sceau
Tout le monde jure vouloir la paix, mais personne ne dépose réellement les armes. Les rebelles du M23 continuent d’avancer, les FARDC se replient en ordre dispersé et use les Wazalendos pour récupérer les terrains, et les puissances étrangères qui financent, conseillent et arment les belligérants ne se retirent jamais vraiment. On négocie à Washington, on négocie à Doha, on négocie à Johannesburg, et demain, pourquoi pas, sur Mars. Pendant ce temps, les diplomates s’épuisent dans des salles climatisées, pendant que sur le terrain, le Kivu brûle et l’Ituri se vide. La population paie le prix fort, pendant que les élites se disputent les micros.
Derrière les promesses de sécurité et d’unité nationale, un autre enjeu, plus silencieux, plus explosif, se dessine. Tout mène à la révision de la Constitution. C’est la clef que chacun convoite, le verrou qu’aucun accord ne peut ignorer. Cette perspective attise déjà les fantasmes, renforce les paranoïas et creuse les tensions dans toutes les capitales de la région, de Kinshasa à Kigali, de Kampala à Johannesbourg.
Le problème, c’est que la Constitution actuelle n’offre aucune réponse au chaos présent. Elle n’a jamais prévu les prérogatives, ni défini les mécanismes nécessaires dans une situation de crise comme celle que traverse la RDC. Les accords qui se signent à la chaîne sont donc condamnés à rester symboliques. Aucun n’a la force juridique d’imposer la paix. Ce sont des parchemins sans dents que chacun peut interpréter comme il veut, sans rien appliquer.
Ainsi, toute solution crédible passera, tôt ou tard, par une révision de la Constitution. Il n’y a pas d’alternative. La seule question est sous quelle présidence. Est-ce que ce sera Tshisekedi avant de son dernier mandant, en 2028, ou son successeur, imposé par les urnes ou par la force des circonstances? Et surtout, cette révision servira-t-elle enfin les Congolais, en redéfinissant les règles du jeu pour stabiliser durablement le pays, ou bien ne sera-t-elle qu’un nouveau marchandage entre belligérants, un accord fragile destiné à protéger des intérêts immédiats et à concentrer encore davantage le pouvoir?Pour l’instant, les réponses se décident loin de Kinshasa, dans des salles feutrées où les Congolais ne sont souvent que des figurants. Et tant que la Constitution ne sera pas repensée dans l’intérêt du peuple, la paix ne sera qu’un mirage, un mot creux perdu au milieu des négociations.
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