Découverte Des Plus Anciens Tatouages Chrétiens En Afrique

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Découverte Des Plus Anciens Tatouages Chrétiens En Afrique
Découverte Des Plus Anciens Tatouages Chrétiens En Afrique

Africa-Press – Congo Kinshasa. Au sud de l’Égypte, dans l’ancien royaume de Koush, au Soudan actuel, des nécropoles méroïtiques et nubiennes ont été mises au jour dans la seconde moitié du 20e siècle, avant la construction de barrages destinés à canaliser le cours du Nil. L’analyse des restes d’un millier d’individus enterrés dans trois de ces cimetières révèle aujourd’hui la présence de tatouages qui semblent s’inscrire dans une tradition millénaire. En effet, on retrouve ces motifs sur des corps datant de l’Antiquité jusqu’à la période médiévale (de -350 jusqu’à 1400 environ), époque au cours de laquelle les populations koushites ont été christianisées. De fait, les tatouages identifiés sur certains individus, dont de nombreux enfants, représentent les premières traces de tatouages chrétiens en Afrique du Nord-Est.

Découverte au Soudan des plus anciens tatouages chrétiens d’Afrique du Nord-Est

27 sur 1048, on pourrait croire que c’est peu, mais c’est inespéré. Sur 1048 individus inhumés dans les cimetières de Semna Sud, Kulubnarti et Qinifab School, mis au jour lors de fouilles de sauvetage préalables à la construction de barrages sur le Nil, l’équipe dirigée par l’anthropologue et archéologue Anne Austin, de l’université du Missouri-Saint Louis (États-Unis) a identifié à la lumière infrarouge 27 porteurs de tatouages. Ils se trouvaient essentiellement sur le site de Kulubnarti, le mauvais état de conservation de la majorité des corps expliquant l’impossibilité d’en déceler dans les deux autres nécropoles.

Car pour révéler des tatouages, il faut logiquement que la peau ait été conservée, ce qui implique une forme de dessiccation. Les défunts des nécropoles de Qinifab School et de Semna Sud étaient déjà réduits à l’état de squelettes pour leur plus grande part, mais la découverte préalable de deux individus tatoués sur les mains lors d’une recherche précédente dans la plus septentrionale des deux (Semna Sud) laissait entendre que d’autres corps pouvaient l’être aussi.

Deux femmes tatouées sur des sites antiques

Les auteures ont en effet trouvé deux femmes tatouées parmi les défunts de Semna Sud. La première, une jeune femme ayant vécu pendant la période de Méroé (environ 350 avant notre ère-350 de notre ère), avait le poignet orné de deux lignes de points, et de deux bandes de motifs en forme de losange, des dessins comparables à ceux trouvés sur des individus du site d’Aksha, un peu plus au nord. L’autre était une femme d’une cinquantaine d’années qui avait vécu pendant la période Ballana (environ 350-550 de notre ère) ; impossible de déterminer sur quelle partie du corps elle arborait ses tatouages, qui consistaient en deux ou trois lignes de points entrecroisées.

À Kulubnarti, au moins un habitant sur cinq était tatoué

Sur le site de Kulubnarti, deux nécropoles utilisées entre 650 et 1000 ont livré des corps bien mieux conservés puisque la peau y était préservée à plus de 75 %. Autre conséquence: il est alors possible de savoir sur quelle partie du corps les individus étaient tatoués. Les chercheuses ont ainsi réussi à identifier 15 personnes portant des tatouages sur le front, et 11 sur les tempes ou sur les joues. Comme elles l’écrivent dans la revue PNAS, elles peuvent en déduire qu’ »au moins 19 % des personnes étaient tatouées sur ce site, sachant que ce taux sous-estime la véritable prévalence du tatouage ».

Surtout des enfants, et même des bébés

Fait notable: certains des individus tatoués étaient des enfants, voire des bébés, ce qui indique « que les pratiques de tatouage à Kulubnarti marquaient les individus de manière permanente, publique et particulièrement visible dès le plus jeune âge ». Le plus jeune individu tatoué était âgé de 18 mois, et les traces visibles sur le front d’une petite fille de trois ans laissent entendre qu’elle avait déjà été tatouée deux fois – un second tatouage venant effacer le premier.

Faut-il alors penser que seuls les enfants étaient tatoués? Non, répondent les chercheuses, il s’agit d’un biais de conservation car la peau de leur visage a été mieux préservée que celle des adultes.

La technique de tatouage évolue lors de la période chrétienne

Si on ne décèle aucune différence entre sexes à Kulubnarti, il est fort possible qu’à Semna Sud les tatouages aient été genrés, puisque l’on retrouve le même type de motifs au même emplacement exclusivement sur des femmes.

Sur le site de Kulubnarti, les motifs consistent seulement en points et en traits et relèvent de quatre types: quatre points en losange sur le front, quatre tirets en carré sur les tempes, des lignes sur le front, ou seulement une seule, ces motifs pouvant se combiner entre eux ou être effacés au profit d’un autre. La technique pour les réaliser va évoluer au fil du temps, la césure correspondant à l’introduction du christianisme. L’examen à la lumière infrarouge permet en effet de visualiser précisément le dessin et la manière dont le pigment a été inséré sous la peau. Pour ceux de Semna Sud – les plus anciens –, les chercheuses estiment qu’ils ont été faits à l’aide d’un outil pointu très fin « qui a été enfoncé à plusieurs reprises dans la même zone pour remplir le tatouage » (c’est la technique du hand-poke, le tatouage par perforation). Tandis qu’à Kulubnarti, dont les plus anciens corps datent du début de la période chrétienne, les tatouages ont été réalisés d’un seul tenant, et « la répartition du pigment est plus comparable à celle des tatouages incisés qu’à celle des tatouages perforés: elle semble avoir été produite à partir d’une seule plaie (réalisée avec la pointe d’un couteau, par exemple) ».

Comment interpréter ces nouveaux types de tatouages?

Dans la mesure où motifs, techniques et emplacement des tatouages varient entre périodes antique et médiévale, il est évident qu’un « changement culturel s’est produit dans l’utilisation et l’application des tatouages dès le 7e siècle de notre ère », analysent les auteures. Mais à quoi correspond-il? Différentes hypothèses sont possibles, sans s’exclure l’une l’autre.

La première option, c’est que ces tatouages désignaient les individus chrétiens. Des témoignages occidentaux datant des 12e et 13e siècles évoquent le marquage des Chrétiens par une croix sur le front, sans que l’on sache s’il s’agissait de tatouage, de marquage au fer rouge (branding) ou de scarification. Cette tradition a perduré jusqu’au 19e siècle pour les Coptes (les Chrétiens d’Égypte) et reste usuelle dans certaines régions du nord de l’Éthiopie.

Des rituels de guérison?

Autre possibilité, qui expliquerait la prévalence de tatouages parmi les jeunes enfants et l’effet palimpseste (un nouveau tatouage par-dessus un autre): il pourrait s’agir d’un traitement médicinal ou d’un rituel de guérison en lien avec des maux de tête ou des fièvres – le paludisme par exemple, qui peut encore aujourd’hui prendre une forme sévère chez les enfants de moins de cinq ans. À cette fonction médicale peut s’ajouter une fonction apotropaïque (de protection), voire religieuse, et peut-être plus simplement esthétique. C’est ce que montre par exemple l’usage très répandu de tatouages en forme de croix au 20e siècle dans une grande partie de l’Afrique du Nord, dépassant le seul cadre communautaire du christianisme.

S’il est impossible pour le moment de tirer de plus amples conclusions à partir du nouveau corpus de tatouages révélés dans cette étude, cette découverte permet de porter un autre regard sur les individus tatoués de la vallée du Nil, et de les inscrire dans une tradition d’au moins 4000 ans qui a évolué au fil des influences culturelles.

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