l’actualité de la semaine vue par Tisya Mukuna

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l'actualité de la semaine vue par Tisya Mukuna
l'actualité de la semaine vue par Tisya Mukuna

Africa-Press – Congo Kinshasa. Des exécutions sommaires à Kishishe, à l’engagement commun des USA et la France pour trouver une issue à la guerre en Ukraine, en passant par le délai accordé aux rebelles du M23, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Tisya Mukuna passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Tisya Mukuna. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Tisya Mukuna : Je suis fondatrice de la marque de café la Kinoise, qui pousse à Kinshasa (dans la commune de Mont-Ngafula) et qui est vendue dans 4 villes de la RDC (Kinshasa, Matadi, Boma et Lubumbashi). Récemment, nous avons inauguré notre usine de transformation et d’empaquetage du café à Kingabwa.

Des dizaines de civils ont été tués à Kishishe (Goma). L’armée tient pour responsables les rebelles du M23. Quelles sont vos attentes auprès de l’Etat Congolais après cette annonce ?
Tisya Mukuna : je pense, comme beaucoup de congolais d’avoir la paix et des sanctions. Il faut que justice soit faite, que les responsables de ces exactions soient traduits en justice, il faut qu’il y ait un jugement pour toutes les victimes. Enfin, que la population congolaise puisse évoluer dans un régime de paix et de sécurité.

Le Dr Denis Mukwege, les USA, Human Rights Watch et bien d’autres personnalités ont condamné ces actes et appelé à une enquête indépendante. Vos recommandations sur ladite enquête ?
Tisya Mukuna : je pense qu’il faut une enquête de l’Etat souverain, la RDC. Il y a eu beaucoup d’ingérences jusqu’à présent. Le Congo est un état souverain et il est en droit de mener son enquête en toute liberté pour traduire en justice les responsables qui sont connus.

Entre-temps, le délai accordé aux rebelles du M23 par l’EAC est dépassé depuis une semaine. À quelle mesure probable de l’EAC vous attendez-vous ?
Tisya Mukuna : nous attendons de l’EAC “l’action”. Le Congo est dans une communauté des pays censés se soutenir face à des menaces. Mais, ce n’est toujours pas assez percutant. La RDC a utilisé des voies diplomatiques, elle a conclu de nombreux accords. Tout cela n’a pas apporté les résultats escomptés. Nous attendons donc maintenant, de l’action et des mesures fortes qui puissent garantir la paix à l’interne.

La troisième étape du processus de Nairobi a été lancée cette semaine avec des particularités telles que la participation d’une dizaine de femmes congolaises et des représentants des communautés concernées. Cette participation devrait produire quel impact selon vous ?
Tisya Mukuna : je pense que la participation des femmes peut vraiment être efficace et montrer une nouvelle dynamique. On se souvient tous du dialogue de Sun-City. Il ne faut pas oublier que les femmes représentent plus de 50% de la population congolaise et on ne peut donc pas faire de la diplomatie, la politique, penser à la paix sans intégrer plus de la moitié de la population congolaise. Les femmes doivent faire partie de ce processus de paix et faire entendre leurs points de vue. Peut-être aussi qu’un regard nouveau et certaines figures, on peut trouver des nouvelles solutions car l’adage dit que “du choc des idées jaillit la lumière”.

En économie, le gouvernement a rendu public jeudi, l’accord signé avec l’homme d’affaires israélien Dan Gertler. Ce protocole devrait permettre notamment à la RDC de passer de 24.000 barils de pétrole par jour à environ 300.000 selon le ministre des finances. En tant qu’entrepreneure, quelle conclusion tirez-vous de ces révélations ?
Tisya Mukuna : Ces révélations m’ont beaucoup choqué. Mais maintenant, il faut penser à l’avenir. Avec ces nouveaux barils de pétrole, c’est également l’occasion pour des entrepreneurs congolais d’enfin saisir l’économie locale et de rentrer dans le marché. Une façon pour nous de nous réapproprier notre industrie locale et ne pas constamment la laisser entre les mains des étrangers. En matière d’exportation, ce ne sont que des matières premières qui sont exportées sans transformation locale. Nous devons donc nous saisir de cette opportunité pour créer des entrepreneurs congolais et c’est aussi la responsabilité de l’autorité de régulation de donner aux Congolais ce marché.J’ai vraiment bon espoir que ce sont bien des entrepreneurs et des entreprises congolaises qui vont pouvoir se développer avec la sous-traitance sur ces barils de pétrole qui nous reviennent. Les accords comme celui qui a été signé avec l’homme d’affaires israélien ne doivent pas se répéter. On ne peut pas confier tout notre sous-sol à des entreprises privées étrangères. Cela n’arrive nulle part ailleurs. Il faut maîtriser l’économie du pays sinon la RDC sera un pays privatisé par les pays étrangers.

En même temps, au niveau de la société civile, ACAJ plaide pour la levée des sanctions américaines contre Dan Getler, ODEP veut de la lumière sur le rôle de Joseph Kabila dans la prédation minière et CNPAV recommande la publication des autres annexes et documents conclus dans le cadre de cet accord. Votre point de vue sur ces réclamations ?
Tisya Mukuna : je pense que ce qui est primordial, c’est la vérité. La lumière doit être faite sur cette affaire. S’il y a des annexes et des documents, on doit pouvoir y avoir accès. C’est finalement de cette manière que les Congolais pourront se réveiller aussi sur les différents accords qui peuvent être faits. Toutes les zones d’ombres doivent être levées, car sans cela l’avenir ne peut être envisagé.

Le ministre des finances a également annoncé que ” la RDC construit la plus grande usine de raffinage du cobalt au monde. Ce qui va permettre d’accroître jusqu’à 40% la valeur du cobalt exporté”. Quelles autres opportunités pourront se développer dans le secteur entrepreneurial congolais à travers ce projet ?
Tisya Mukuna : il faut savoir que lorsqu’une grande usine est mise en place,c’est tout un écosystème qui se met en place, les routes qui vont s’améliorer parce qu’il va falloir lier le Nord avec le Sud, l’Est avec l’Ouest. L’électricité va également profiter aux populations limitrophes, des formations, l’apprentissage des métiers (…) Et pour les entreprises congolaises, il va falloir se positionner très rapidement et une fois de plus l’autorité de régulation doit permettre que la sous-traitance soit faite par des entrepreneurs congolais. En tant qu ‘entrepreneure et patronne d’une usine de café, je connais les bienfaits que peut avoir l’industrialisation, ne serait-ce que sur notre terroir, sur notre savoir-faire, sur notre rayonnement international. On dit souvent que le Congo est un scandale géologique mais le scandale est qu’on ne fait rien de ce trésor qu’est le Congo. C’est une très bonne nouvelle. Maintenant il va falloir saisir les opportunités. Un boom démographique arrive, il y aura de plus en plus de congolais mais il ne faut pas qu’il y ait de plus en plus de chômeurs. Au contraire, il faut qu’il y ait plus de personnes qui travaillent et un avenir pour cette jeune génération qui arrive. C’est maintenant qu’il faut changer le Congo pour son avenir. Il faut qu’on se réveille en 2050 en étant fier de ce qu’on a fait.

Au niveau continental, l’Union européenne a annoncé l’octroi d’un montant supplémentaire de 20 millions d’euros destinés à la poursuite du déploiement des troupes rwandaises au Mozambique. Une annonce qui a suscité de vives réactions concernant l’implication de l’armée rwandaise dans les atrocités à l’Est. Votre avis sur cette offre ?
Tisya Mukuna : je n’ai absolument pas compris pourquoi l’union européenne pouvait soutenir les troupes rwandaises au Mozambique, sachant que le Congo dénonce le Rwanda d’être partie prenante sur les agissements du M23. Différents politiques et députés européens ont pointé du doigt l’ingérence et la participation du Rwanda avec le M23. En même temps, nous avons cette même Union Européenne qui octroie 20 millions d’euros de plus. En parallèle, le Congo est sous un certain embargo pour ses armes, pour se “défendre”. Il veut les acquérir dans un système de défense de sa souveraineté. Donc, je ne sais pas ce qui se passe. J’attends beaucoup du gouvernement pour nous apporter de l’éclairage et surtout pour nous dire comment il interprète cela. Nous citoyens, on peut l’interpréter d’une certaine façon, mais la diplomatie c’est le gouvernement. Il faut que le monde soit positionné et dénonce unanimement les massacres, les troubles qui se passent au Congo et que les auteurs soient traduits en justice. On ne peut pas d’une main pointer du doigt un responsable et d’une autre main le soutenir. Encore une fois, c’est la vérité qui va nous permettre d’avoir la lumière sur l’avenir du Congo. Plus il y a de zones d’ombres, plus nous sommes en danger.

Lors d’une visite d’Etat à Washington, Emmanuel Macron et Joe Biden ont manifesté leur volonté de chercher ensemble une issue sur la guerre en Ukraine. Que représente pour vous cet engagement ?
Tisya Mukuna : dans les affaires étrangères, chacun poursuit son intérêt. Donc, ce qui se passe à l’étranger, les différents accords que contractent les uns et les autres, je pense que c’est un jeu diplomatique, d’intérêt, et sûrement aussi d’amitié entre les pays. Je note quand même qu’il y a un engagement qui est fort pour certains pays et pour d’autres, cet engagement est plus que timide et parfois inexistant.

Un dernier mot ?
Tisya Mukuna : finalement, l’actualité de la semaine a montré à bien d’égards qu’il y avait beaucoup de zones d’ombres sur notre pays et qui nous empêchent de penser à l’avenir. Je pense que pour tout citoyen, que ce soit pour sa vie en tant que congolais, que ce soit pour la paix, la sécurité, l’entreprenariat, notre souveraineté, l’économie locale, tout cela ne peut se développer qu’avec la vérité mise à nu. C’est maintenant qu’il faut penser aux générations futures parce que demain il sera trop tard. Et pour cela, il faut un changement radical.

Propos recueillis par Prisca Lokale

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