Africa-Press – Congo Kinshasa. La note B3 de la République démocratique du Congo (RDC), maintenue par l’agence Moody’s avec une perspective stable, peut sembler lointaine ou technique aux yeux du grand public. Pourtant, cette notation contient un message codé, une alerte sourde, mais puissante aux investisseurs internationaux. Elle dit: « La RDC est un pays à fort potentiel, mais à risque persistant. » Ce jugement, loin d’être anecdotique, conditionne l’afflux des investissements directs étrangers (IDE), en particulier hors du secteur minier. Elle agit comme un filtre invisible, une ligne de crédit imaginaire qui dessine les contours de la confiance que les marchés accordent ou refusent à un pays.
Dans une économie mondialisée où la finance cherche des rendements, mais fuit les incertitudes, être noté B3, c’est être classé dans la catégorie des dettes hautement spéculatives. En langage de marché: « rentable, mais dangereux ». C’est le niveau où la dette publique devient chère, où les investisseurs exigent des taux élevés pour prêter, où les projets non extractifs ne voient pas le jour faute de confiance macroéconomique. En clair, cette note est à la fois le miroir de nos fragilités et le plafond de verre qui empêche la RDC de décoller en dehors du cobalt et du cuivre.
La RDC parvient à attirer plusieurs milliards d’IDE par an, mais ces flux sont quasi exclusivement concentrés dans le secteur minier. Cuivre, cobalt, or: ces ressources agissent comme un aimant pour les majors et les juniors du secteur extractif. En revanche, les investisseurs dans les secteurs productifs non miniers (agriculture, agro-industrie, télécoms, énergie verte, logistique) demeurent quasi absents. La note B3 n’est pas la seule raison, mais elle est un symbole synthétique d’un climat d’investissement fragile. Elle cristallise des craintes persistantes: justice commerciale lente, insécurité foncière, opacité réglementaire, fiscalité instable. Elle dissuade les grands groupes d’y établir des sièges régionaux, et pousse les investisseurs à se tourner vers des marchés plus lisibles, comme la Côte d’Ivoire (Ba2 stable), où le cadre macroéconomique est jugé plus prévisible.
Les rares entreprises congolaises à avoir levé des fonds à l’international comme Ivanhoe Mines ou Rawbankl’ont fait grâce à des actifs solides et à des montages financiers structurés. Cela montre que le pays n’est pas exclu des marchés, mais que l’effort de crédibilité repose encore sur des cas isolés, et non sur une dynamique globale.
La question n’est donc pas simplement de savoir pourquoi Moody’s a maintenu la note. Elle est ailleurs: pourquoi la RDC reste-t-elle coincée dans cette catégorie depuis près d’une décennie, malgré des taux de croissance parmi les plus élevés d’Afrique, une dette publique modeste (moins de 18 % du PIB) et des réserves de change en hausse? Car c’est bien là que le paradoxe surgit. Les fondamentaux macroéconomiques se renforcent, mais la prime de risque reste inchangée. Il y a donc un décalage entre la réalité conjoncturelle et la perception structurelle.
Comparée à ses voisins, la RDC se trouve dans une position médiane:
Pays
Note Moody’s (2025)
Perspective
Côte d’Ivoire
Ba2
Stable
Sénégal
B3
Negative
Angola
B3
Stable
RDC
B3
Stable
Ghana
Caa2
Positive
Zambie
Caa2
Stable
Éthiopie
Caa3
Stable
Ce tableau est instructif. La RDC se situe au-dessus des pays en défaut ou post-défaut (Ghana, Zambie, Éthiopie), mais bien en dessous des pays considérés stables et diversifiés. Cette hiérarchie, bien plus qu’un classement académique, influence les décisions d’allocation de capital, les implantations régionales et les partenariats stratégiques. Elle révèle surtout une carence chronique dans la diversification économique. Contrairement à la Côte d’Ivoire ou au Maroc, qui ont su combiner agriculture, services, industrie et stabilité monétaire, la RDC reste dépendante de deux ou trois produits d’exportation, sans écosystème productif autour. Cette vulnérabilité pèse lourdement sur la notation et sur l’appétit des investisseurs.
L’explication tient dans les angles morts que les agences de notation, à tort ou à raison, ne considèrent pas résolus: l’instabilité à l’Est, la gouvernance perfectible, la dépendance aux exportations minières, la faiblesse du tissu industriel et les incertitudes judiciaires. En économie de la réputation, ce sont ces constantes structurelles qui pèsent davantage que les variations annuelles du PIB. C’est aussi une forme de mémoire du passé: le défaut de la Zambie, la restructuration de la dette ghanéenne, les tensions éthiopiennes, tous ces épisodes ont renforcé l’aversion au risque africain. Et la RDC, à défaut d’être une anomalie positive, en subit le coup.
Pourtant, d’autres économies africaines ont amorcé leur remontée dans les notations. La Côte d’Ivoire est passée de B1 à Ba2 en moins d’une décennie grâce à la stabilité de ses politiques publiques, à la diversification de son économie et à un dialogue proactif avec les agences. Des études de la Banque africaine de développement (2023) et du Brookings Africa Growth Initiative (2022) ont montré qu’une combinaison de discipline budgétaire, de cadre monétaire crédible et de politiques pro-entreprises pouvait réduire significativement la prime de risque. La RDC n’a pas à tout inventer: elle doit s’en inspirer.
Il est temps que les autorités congolaises prennent la note B3 non pas comme un blâme, mais comme une feuille de route stratégique. Car chaque point d’amélioration compte. La maîtrise de l’inflation (encore à deux chiffres en 2024), la transparence budgétaire, la simplification des procédures douanières, l’efficacité de la justice commerciale, la sécurisation des investissements privés: autant de piliers capables de créer un nouveau narratif économique. Le rôle des médias et de la société civile est ici déterminant pour révéler les progrès, interpeller les reculs, et éviter que la RDC reste piégée dans le regard du passé.
Mais cette transformation exige aussi un courage politique. Ce n’est pas la macroéconomie seule qui rassure, mais l’effet combiné d’une gouvernance efficace, de règles claires et d’une régulation prévisible. Il faut que le monde des affaires puisse lire la RDC comme une promesse viable et non comme une aventure à haut risque. Dès lors, pourquoi ne pas lancer un plan « DRC Investment Grade 2030 » articulé autour d’objectifs clairs et mesurables? Réduction du déficit, réduction du contentieux fiscal, élimination des barrières à l’investissement dans l’agriculture et les services, pacification de l’Est.
Enfin, il faut rappeler une vérité trop souvent ignorée: les agences de notation ne font pas que noter, elles observent, elles dialoguent, elles testent la volonté des gouvernements. Les pays qui montent dans les échelles sont souvent ceux qui les informent régulièrement, qui produisent des données fiables, qui construisent une relation de confiance. La RDC gagnerait à institutionnaliser un dialogue régulier avec les trois grandes agences (Moody’s, Fitch, S&P), avec le concours de la Banque centrale et du Gouvernement, afin de construire un agenda de crédibilité.
La note B3 est donc une invitation à faire mieux. Elle ne condamne pas, mais elle alerte et doit plus être vue comme un thermomètre institutionnel. Et c’est peut-être cela le message le plus important pour les dirigeants congolais: dans un monde de plus en plus concurrentiel, ce sont les réformes soutenues, la constance dans l’action et l’intégrité institutionnelle qui font la différence entre les économies oubliées et celles qui inspirent confiance. Il ne tient qu’à nous de changer de catégorie. Pas pour plaire aux agences, mais pour redonner au pays sa capacité à attirer les capitaux nécessaires à sa transformation profonde.
*Kevin Ngunza Maniata (Université de Kinshasa – UNIKIN). Cette tribune reflète une opinion personnelle et n’engage en rien les institutions auxquelles il est affilié.
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