Origines Du Covid-19 Et Le Projet DEFUSE

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Origines Du Covid-19 Et Le Projet DEFUSE
Origines Du Covid-19 Et Le Projet DEFUSE

Africa-Press – Congo Kinshasa. Sur la première page, trois silhouettes de soldats jouxtent celles d’une dizaine de chauves-souris en plein vol, sur fond d’une pâle ouverture de grotte. Le dossier de présentation du projet DEFUSE donne le ton. Porté par l’organisation non gouvernementale EcoHealth Alliance contre les maladies infectieuses émergentes que préside le biologiste britannique Peter Daszak, DEFUSE ambitionnait de « désamorcer (« defuse » en anglais) la menace des coronavirus de chauve-souris » en collaboration notamment avec les laboratoires de virologie de l’Institut de Virologie de Wuhan (WIV). Il prévoyait pour cela la modification d’un coronavirus de chauve-souris existant pour le rendre plus contagieux chez l’humain en lui ajoutant des caractéristiques similaires à celles que l’on retrouve chez le virus du Covid-19, qui est apparu un an après la soumission du projet pour financement. Pour la plupart des scientifiques, autorités et groupes d’enquête du monde, la révélation de ce projet par le collectif d’investigateurs autoproclamés Drastic est un argument fort soutenant l’émergence du virus du Covid-19 du WIV suite à une erreur de laboratoire, mais reste loin de disqualifier une potentielle émergence via l’animal (zoonose).

Un coronavirus modifié pour le rendre plus infectieux chez l’humain

« Le projet DEFUSE est accablant », estime le phylogénéticien (spécialiste des liens génétiques entre espèces) à la Sorbonne Alexandre Hassanin. S’il n’a jamais été financé, l’existence même du projet DEFUSE suffit à étayer l’hypothèse d’une fuite de laboratoire. « Tous les éléments sont là, les compétences et les ingrédients, pour le faire fin 2018 », résume l’épidémiologiste à la Pitié-Salpêtrière Renaud Piarroux, auteur de « Sapiens et les microbes – Les épidémies d’autrefois » (CNRS Editions). D’autant que la plupart des chefs d’équipe de recherche interrogés par Sciences et Avenir sont d’accord pour dire qu’en laboratoire, il est commun d’entamer des projets non financés en parallèle de ceux qui le sont.

DEFUSE ambitionnait de séquencer les protéines Spike des coronavirus de chauves-souris sur les sites où des SARS-CoV « à haut risque de débordement » avaient été échantillonnés. Les auteurs du projet expliquaient vouloir ensuite « séquencer leurs protéines Spike » et les insérer « dans les structures de base » de coronavirus liés au SRAS* (syndrome respiratoire aigu sévère) de chauves-souris « pour infecter des souris humanisées et évaluer leur capacité à provoquer une maladie semblable au SRAS ». L’objectif final était d’immuniser les chauves-souris contre ces virus potentiellement dangereux pour l’humain afin d’en désamorcer la menace à la source.

Le « portrait-robot » du virus du Covid-19

Afin de construire ce virus, les porteurs du projet avaient initialement précisé – puis supprimé de la version finale – vouloir partager le génome viral en six parties égales pour ensuite les relier, une technique standard pour la synthèse de grands génomes. Ces six blocs doivent pour cela être séparés par de courtes séquences identiques que reconnaissent les enzymes servant à l’assemblage et appelées « sites de restriction ». « Quand on observe le profil génétique du SARS-CoV-2*, on retrouve les sites de restriction tels qu’ils sont proposés dans le projet DEFUSE », affirme le virologue Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS et auteur de « Expériences en virologie – Bénéfices et risques » (Editions Quæ). Leur présence n’est cependant pas une preuve de manipulation humaine: les coronavirus possèdent naturellement une petite dizaine de ces sites, au point qu’en avoir seulement cinq demanderait plutôt d’en supprimer certains. Pour cela, une simple mutation suffit. Or, le SARS-CoV-2 mute rapidement. « Retrouver ces sites identiques à ceux décrits dans le projet DEFUSE est une coïncidence troublante mais aucunement une preuve », conclut Etienne Decroly.

Le projet mentionnait également l’ajout, si besoin, d’un site de clivage par une protéase comme la furine, une des caractéristiques les plus dangereuses et étonnantes que possède le virus SARS-CoV-2 quant à son efficacité de transmission chez l’humain, et qu’aucun autre virus connu de la même famille ne présente. « Il faudrait qu’on pense que c’est par pure coïncidence que ce virus qui est le portrait-robot de celui du projet DEFUSE émis en 2018 émerge à Wuhan en 2019? », pointe l’épidémiologiste Renaud Piarroux.

L’hypothèse de l’accident de laboratoire tient même sans DEFUSE

Que DEFUSE ait été réalisé ou non, l’existence même de ce projet souligne que les scientifiques du WIV avaient les compétences et l’ambition à court terme de travailler sur des coronavirus de chauves-souris afin d’identifier ceux qui seraient dangereux pour l’humain, et ce un an avant que la pandémie ne se déclare dans leur ville. D’ailleurs, une contamination accidentelle en réalisant le projet DEFUSE n’est qu’une des hypothèses des chercheurs qui considèrent le laboratoire de Wuhan comme une origine plausible du Covid-19. « Les risques liés au travail de recherche sont multiples et interviennent à différentes étapes expérimentales », explique Etienne Decroly. « Cela pourrait être un accident lors d’un échantillonnage, d’une culture virale ou encore au cours d’expériences de passages en série sur des souris transgéniques humanisées », c’est-à-dire modifiées pour exprimer des gènes humains ou possédant des tissus humains

Les « passages en série » consistent en des successions d’infections contrôlées en laboratoire qui miment, en accéléré, l’évolution du virus au fil de sa propagation. Au sein de souris humanisées, le virus aurait théoriquement pu s’adapter rapidement au récepteur ACE2, porte d’entrée du virus se trouvant sur les cellules de mammifères, d’une façon difficile à distinguer d’une évolution « naturelle » au sein d’un animal hôte. Cependant, cette hypothèse est peu probable car des travaux ont montré que le site de clivage par la furine n’apparaît pas lors des expériences de passage en série.

Ce qu’ils en disent. « Malheureusement, (le projet DEFUSE) a été rejeté, il est devenu une subvention en souffrance dans le système d’archivage et le travail n’a jamais été effectué », témoigne Peter Daszak en novembre 2023, interrogé par le Congrès américain. A la question « A votre connaissance, les laboratoires UNC (Université de Caroline du Nord à Chapell Hill, laboratoire américain également partenaire du projet DEFUSE, ndlr) ou le WIV ont ils jamais réalisé quelque aspect du projet que ce soit? », il répond « vous devrez leur demander. Je n’en sais rien. J’en doute ». Quant à la directrice du WIV, Shi Zhengli, elle affirmait à la revue Science en juillet 2020 qu' »à ce jour, aucune fuite de pathogène ni aucun accident d’infection du personnel ne s’est produit ». Elle ajoutait également que l’analyse des sérums sanguins « de l’ensemble du personnel et des étudiants du laboratoire » a confirmé que « personne n’est infecté par le SARSr-CoV ou le SARS-CoV-2 (SARSr comme « SARS related », un coronavirus lié au SRAS, ndlr) ».

Un support viral inconnu: l’argument pro-zoonose

L’existence du projet DEFUSE reste cependant un élément purement contextuel de l’enquête, qui ne peut être scientifiquement analysé ou réfuté. Il a d’ailleurs été laissé de côté par le groupe d’enquête de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’origine du coronavirus, qui a rendu des conclusions pleines d’interrogations et d’appels à informations supplémentaires le 27 juin 2025. Dans ce contexte où les éléments solides manquent, leur absence a également du poids. Ainsi, le génome d’un virus existant, proche et connu, est nécessaire pour servir de base à des modifications génétiques. « Aucun virus connu à ce jour n’aurait pu servir de support à une telle insertion et donner lieu à la création de SARS-CoV-2 en laboratoire », écrit sur The Conversation la directrice de recherche au CNRS, fervente partisane de la zoonose, Florence Débarre. « Pour que l’hypothèse d’une insertion artificielle du site de clivage par la furine tienne (l’hypothèse selon laquelle le virus aurait été modifié en laboratoire, ndlr), il faut supposer que les chercheurs de Wuhan nous mentent et cachent des virus. »

Bien sûr, dans un contexte où personne ne voudrait porter la responsabilité des 20 millions de morts imputés à la pandémie de Covid-19, le laboratoire aurait effectivement pu mentir. Mais même sans aller jusque-là, le processus scientifique en lui-même conduit régulièrement les chercheurs à ne publier des séquences que plusieurs années après leur découverte. C’est d’ailleurs le cas de RaTG13, coronavirus de chauve-souris le plus proche du SARS-CoV-2 et découvert en 2013, mais dont la séquence partielle a été publiée en 2016 et la séquence complète en 2021. Il ne serait donc pas étonnant que le WIV ait disposé d’une banque de génomes viraux bien plus étoffée que ce qui en est publiquement connu.

« Qu’ils aient des virus non publiés, c’est sûr », affirme Alexandre Hassanin. « En 6 mois à 1 an, nous-même avons collecté 40 sarbécovirus (la famille de coronavirus à laquelle appartient le SARS-CoV-2, ndlr). Eux en 20 ans, faites le calcul, ils en ont au minimum 400 voire 1000. » Le chercheur a repéré très tôt, en 2020, que la séquence d’un coronavirus de pangolin très similaire au SARS-CoV-2 avait été publiée en 2019 par un laboratoire collaborateur du WIV. Notamment, il observe que son domaine de liaison à la cellule hôte (RBM) est identique à celui du virus du Covid-19. Pour lui, l’hypothèse la plus probable est qu’apprenant l’existence du coronavirus de pangolin, donc capable de jouer le rôle d’hôte secondaire entre les chauves-souris et l’homme, les scientifiques du WIV ont cherché et trouvé un coronavirus de chauve-souris dans cette base de données possédant le même RBM. Ils s’en seraient ensuite servis comme support de leurs expérimentations génétiques. « C’est le candidat idéal, capable d’infecter plusieurs espèces hôtes différentes, et donc potentiellement l’humain », pointe Alexandre Hassanin.

Aucune de ces hypothèses ne pourra cependant être vérifiée sans les documents attestant des activités du WIV en 2019 ou la preuve de cas précoces de Covid-19 parmi ses employés. Mais malgré la demande expresse de l’OMS retranscrite dans son rapport, la Chine refuse toujours de communiquer « les dossiers médicaux du personnel, les informations relatives à la biosécurité et à la sûreté biologique de l’Institut de virologie de Wuhan et du laboratoire du CDC de Wuhan ».

Lisez bientôt l’épisode 3: animaux sauvages ou salle de Mahjong, où le virus aurait-il pu émerger au marché de Huanan à Wuhan?

* L’acronyme SRAS est la version française de l’anglais SARS et est ici utilisée pour désigner le syndrome respiratoire aigu sévère. La version anglaise de l’acronyme est conservée dans le nom du virus du Covid-19 par convention scientifique.

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