Prédire les risques de Parkinson grâce à l’oculométrie

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Prédire les risques de Parkinson grâce à l'oculométrie
Prédire les risques de Parkinson grâce à l'oculométrie

Africa-Press – Congo Kinshasa. Suivre le regard d’une personne pour dépister en quelques minutes une maladie neurologique cinq ans avant que les troubles n’apparaissent. Science-fiction? Graal de neurologues? C’est en tout cas l’objectif de la start-up franco-belge Neuroclues, qui développe un dispositif reposant sur l’analyse des mouvements oculaires. Voilà des décennies que, pour réaliser un examen clinique neurologique, les médecins ne disposent en effet que d’un marteau à réflexes et de leur sens de l’observation. Sans oublier la traditionnelle consigne: « Suivez mon doigt, en haut en bas, à droite, à gauche.  » C’est ainsi qu’ils évaluent la présence de différents réflexes et l’existence de mouvements d’yeux des patients.

Mais examiner l’oculomotricité à l’œil nu est un exercice très difficile. Les saccades oculaires, ces mouvements physiologiques entre deux positions stables, sont très brèves (avec une durée inférieure à 50 millisecondes) et très rapides (avec une vitesse angulaire de 400 à 800° par seconde), ce qui les rend souvent imperceptibles.

Or, depuis plus d’un demi-siècle, des dizaines de milliers d’articles scientifiques ont mis en relation certaines modifications de ces mouvements oculaires (vitesse, amplitude, sens de déplacement, fixation, poursuite…) avec des affections neurologiques (Parkinson, Alzheimer, sclérose en plaques, traumatisme crânien…) et psychiatriques.

Une aide au diagnostic adaptée à la médecine de ville

D’autres travaux ont établi des liens directs entre différentes structures cérébrales et la réalisation des mouvements. Des anomalies débutantes dans telle ou telle zone du cerveau se traduisent par de subtiles variations dans les paramètres mesurés. « Nos yeux se déplacent trois fois par seconde et mobilisent 60 % de nos structures neuronales « , explique Antoine Pouppez, P-DG et cofondateur de Neuroclues avec Pierre Pouget et Pierre Daye, deux chercheurs respectivement passés par l’Institut du cerveau (ICM, Paris) et l’université catholique de Louvain (Belgique).

Cela fait déjà plusieurs années que le trio vise la précocité dans le repérage des affections neurologiques. « Face à la pandémie silencieuse de maladies neurodégénératives, le diagnostic de Parkinson est encore trop tardif, alerte Antoine Pouppez. On estime que lorsqu’il est posé, il ne reste déjà plus que 30 % des neurones, la plasticité du cerveau ayant pu compenser et masquer l’évolution de la maladie pendant plusieurs années.  » D’où l’idée de gagner en précision et en temps avec une technologie d’oculométrie adaptée ici à la médecine de ville, portable et connectée.

Ce « stéthoscope du cerveau » n’a pas vocation à être porté autour du cou ni glissé dans une poche de blouse: il se présente sous la forme d’un masque de réalité virtuelle piloté par une interface qui permet d’enregistrer avec l’aide de deux caméras (une par œil) jusqu’à 800 images infrarouges par œil et par seconde. Le patient suit pendant quelques minutes un point qui se déplace sur l’écran pendant que la machine effectue les mesures.

À ce jour, il ne s’agit encore que d’une aide au diagnostic uniquement utilisée dans des protocoles de recherche. Si le médecin suspecte une pathologie, il peut choisir, aidé par un résumé de la littérature fourni par Neuroclues, un protocole d’examen évaluant certains types de déplacements oculaires (horizontalité, verticalité, fixation, poursuite…) pour affiner son examen. Dans le futur, ce dispositif pourrait aussi permettre de discriminer certaines formes de Parkinson par des analyses plus fines. La start-up envisage également à terme de le proposer pour un large dépistage dans la population.

Un marqueur révélateur du contrôle de la posture

Des travaux publiés dans la revue Brain en 2021 par des équipes de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), à Paris, et de l’ICM ont montré que l’allongement du temps de réaction des « antisaccades » (quand on demande aux patients de regarder dans le sens opposé de la cible) pourrait constituer un marqueur pronostique du contrôle de la posture, c’est-à-dire de la statique et de l’équilibre, dans la maladie de Parkinson. L’idée est de repérer cette anomalie au plus tôt pour mettre en place un programme de rééducation spécifique avec des détecteurs anti-chute.

Environ 6000 personnes, toutes atteintes de Parkinson et issus de la cohorte Iceberg à l’ICM, ont pu tester les prototypes dans le cadre de protocoles de recherche. Forte de l’obtention du marquage CE en janvier, Neuroclues vise à obtenir en 2026 l’équivalent américain, avec le feu vert de la Food and Drug Administration. En attendant, des essais vont être déployés à plus grande échelle en Europe, aux États-Unis et, bien sûr, en France, avec la cohorte Constances composée de 22.000 participants âgés de 55 ans et plus.

À l’horizon 2030, la start-up espère proposer aux médecins généralistes un dispositif encore plus simple. Et si d’autres concurrents (Eyebrain, Innodem, Bulbitech…) sont aussi dans la course, Neuroclues revendique une plus grande précision des données avec ses 800 images/seconde, ainsi qu’un usage simplifié, sans besoin de calibrer l’appareil à chaque patient.

De l’autisme à la schizophrénie

C’est au milieu du 19e siècle que débute l’histoire de cette technique non invasive, quand un ophtalmologue français, Louis Émile Javal, remarque des mouvements oculaires rapides et saccadés chez certains de ses patients. Avec le perfectionnement des mesures, les liens avec les pathologies se sont multipliés. Dans l’autisme, par exemple, où la technique est utilisée pour mesurer l’efficacité de la prise en charge. Selon des travaux parus en 2023 dans la revue Nature, elle pourrait aider au diagnostic de la schizophrénie.

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