Africa-Press – Côte d’Ivoire. Lors d’une conférence de presse tenue, jeudi 12 juin, à la Maison de la Presse au Plateau, les représentants syndicaux de l’entreprise Unilever Côte d’Ivoire ont alerté l’opinion nationale sur ce qu’ils qualifient de « drame social en préparation ».
En cause, la vente imminente d’Unilever CI au profit d’un consortium dirigé par la société ivoirienne SDTM, dans un contexte de non-respect présumé des engagements sociaux de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés.
Trois responsables syndicaux ont pris la parole. Il s’agi de Melaigne Abel, Secrétaire Général du Syndicat des agents de Blohorn-Unilever CI (UGTCI), de Djédjé Olivier, Délégué syndical du Syndicat des travailleurs d’Unilever CI (Dignité) et de Kpodjahon François, Délégué du personnel du Syndicat des agents et travailleurs de Blohorn (FESACI).
Tous trois ont dénoncé une tentative manifeste de l’entreprise multinationale de se retirer de la Côte d’Ivoire sans respecter les droits conventionnels des 160 employés encore en poste, et ce, en dépit de plusieurs démarches de conciliation auprès des inspections du travail du Port et du Plateau.
Les représentants syndicaux ont tenu à rappeler une nuance essentielle souvent ignorée du grand public: la différence entre les droits légaux et les droits conventionnels.
« Les droits légaux sont ceux qui découlent du Code du travail ivoirien. Par exemple, la loi prévoit quatre jours de congé pour un mariage. Les droits conventionnels, eux, résultent d’accords spécifiques entre l’entreprise et ses employés. Ainsi, si une entreprise décide d’ajouter un jour de congé supplémentaire pour un mariage par accord interne, cela devient une convention à valeur équivalente à la loi », ont expliqué, les intervenants.
Dans le cas d’Unilever CI, ces droits conventionnels sont encadrés par une charte interne appelée « La Ligne Bleue », signée en 2004, puis révisée en 2005 et 2007.
Ce document stipule qu’en cas de rupture de contrat du fait de l’entreprise, chaque salarié a droit à un mois de salaire moyen par année d’ancienneté, dans la limite de 18 années. Une disposition que la direction a toujours respectée… jusqu’à aujourd’hui.
Les syndicalistes rappellent qu’Unilever CI a toujours respecté ses engagements lors de précédentes cessions.
« 2008: vente de l’huilerie Dinor à Sania, revente des marques Blue Band, Rama, puis du thé dans les années suivantes et restructuration interne de 2023 », ont rappelé, les syndicalistes.
À chaque fois, les salariés concernés ont perçu leurs droits conventionnels. Ces décisions ont concerné plusieurs centaines d’employés. L’effectif est ainsi passé de 2 500 dans les années 2000 à 160 aujourd’hui, tous couverts par les mêmes conventions internes.
Pourtant, dans le cas actuel, Unilever CI refuse de payer ces droits aux employés transférés au nouveau propriétaire, au motif qu’il ne s’agirait pas d’une cession d’activité mais uniquement d’une cession d’actions – une nuance juridique que les syndicats jugent trompeuse et fallacieuse.
Selon les syndicats, la réalité dépasse largement une simple opération sur le capital.
Comme l’a expliqué Kpodjahon François, en plus du changement d’actionnariat, le noyau dur de l’entreprise est concerné par la vente.
Il s’agit des marques produites localement (Belivoir, BF, Fanico, Ideal Plus, Maximousse), de l’usine, du site industriel de 6 hectares estimé à 700 000 FCFA/m2 en 2019, et des emplois.
Ainsi, affirmer qu’il n’y a pas de changement substantiel est, selon eux, un moyen de se défausser de toute obligation sociale.
Autre point d’indignation: le traitement différencié réservé aux travailleurs ivoiriens par rapport à leurs homologues européens.
En effet, lors de la cession récente des activités de glaces (Magnum, Ben & Jerry’s, etc.) en Europe, Unilever PLC s’est engagé à garantir les emplois pendant trois ans, alors même que la réglementation européenne impose une sécurité d’emploi d’un an seulement.
En revanche, les travailleurs ivoiriens, qui ont demandé une garantie de deux ans de maintien dans l’emploi, se sont vus répondre que la direction ne pouvait s’engager, car elle « ne connaît pas les plans du repreneur ». Ce double standard alimente le sentiment de discrimination sociale et de manque de considération pour les employés africains.
Face au silence persistant d’Unilever CI et à l’échec des tentatives de dialogue, les 160 employés ont mandaté Maître Soualiho Lassomann Diomandé, avocat au sein du cabinet LexWays, pour défendre leurs droits et préparer les actions juridiques nécessaires.
Les syndicats assurent qu’ils ne s’opposent pas à la vente de l’entreprise. Leur revendication est simple: que les conventions signées soient respectées, comme ce fut le cas pour les autres employés partis précédemment.
Pour les représentants syndicaux, l’issue de ce dossier aura des conséquences bien au-delà de la seule entreprise Unilever CI. Ils craignent que cette situation crée un précédent dangereux, permettant à toute multinationale de se retirer du pays sans assumer ses obligations sociales.
Ils appellent donc l’État de Côte d’Ivoire à jouer pleinement son rôle d’arbitre pour garantir l’application des droits contractuels, protéger les travailleurs et préserver l’image de la Côte d’Ivoire comme terre d’investissement responsable.
« Nous ne demandons pas de faveur, seulement le respect de ce qui a été signé », ont conclu les porte-paroles syndicaux. Dans un contexte économique déjà tendu, le sort de ces 160 familles est désormais suspendu à la volonté politique et au respect des engagements d’une multinationale qui a longtemps prospéré sur le sol ivoirien.
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