Africa-Press – Côte d’Ivoire. Devant l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, le ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, Bruno Nabagné Koné, a livré ce mardi une déclaration solennelle sur la situation du foncier urbain en Côte d’Ivoire. Un discours dense, rigoureux et sans concessions, intervenant dans le contexte brûlant de l’affaire dite « Bessikoi – Djorogobité 2 », révélée au grand public en février dernier.
L’affaire Bessikoi, qui a débuté par une vidéo virale montrant une citoyenne dénonçant la spoliation de son terrain, a mis en lumière de graves dysfonctionnements dans la gestion foncière urbaine.
Selon le ministre, cette affaire, où un opérateur privé aurait obtenu l’attribution de 272 lots dans des conditions douteuses, est symptomatique d’un système longtemps miné par l’anarchie, les interférences coutumières mal encadrées, et l’absence de traçabilité documentaire.
Le ministre a rappelé les conflits de compétence entre les chefferies d’Abobo-Baoulé et de Djorogobité 2, à l’origine de multiples attributions contradictoires.
Il a également salué l’initiative d’enquêtes parlementaires, notamment celles du député-journaliste Assalé Tiémoko, tout en insistant sur la réponse « rapide, méthodique et transparente » du gouvernement.
Dès la révélation de l’affaire, une mission d’audit interne a été déclenchée, accompagnée d’un gel administratif des dossiers liés aux zones contestées, notamment à Bessikoi. Toutes les informations récoltées ont été transmises aux autorités judiciaires.
« Nous avons agi sans attendre l’émotion publique, dans le respect du droit et de la transparence », a affirmé Bruno Koné.
Le ministre a aussi confirmé que l’ensemble des dossiers litigieux en contentieux judiciaire sont désormais suspendus, conformément à la circulaire du 1er avril 2025, et qu’aucun ACD (Arrêté de Concession Définitive) ne sera délivré tant qu’une décision de justice n’aura pas été rendue.
Au-delà du cas de Bessikoi, le ministre a livré un diagnostic sans langue de bois sur les faiblesses structurelles du foncier urbain ivoirien: dualité entre droit coutumier et droit moderne, absence d’archivage numérique, multiplication des acteurs sans contrôle, croissance urbaine rapide et manque de sensibilisation des citoyens.
Face à cette « crise de confiance », Bruno Koné a réaffirmé la nécessité d’une réforme systémique. « Ce que révèle ce faisceau de cas, c’est l’expression d’un système foncier trop longtemps resté complexe, et dont les limites alimentent aujourd’hui une crise de confiance majeure. »
Depuis 2019, plusieurs réformes majeures ont été lancées pour sécuriser le foncier urbain. Il s’agit de l’adoption du Code de l’Urbanisme et du Domaine Foncier Urbain (2020), qui harmonise les règles d’aménagement et de sécurisation des titres fonciers, de la mise en place du Système Intégré de Gestion du Foncier Urbain (SIGFU), qui garantit la traçabilité et la transparence des transactions foncières, du titrement massif, qui permet d’établir automatiquement les titres fonciers dès l’approbation des lotissements, de la régularisation des lotissements appliqués mais non approuvés, pour sortir des milliers de familles de l’insécurité foncière, du référentiel géodésique unique, outil de planification et de précision territoriale et surtout, de l’introduction de l’Attestation de Droit d’Usage Coutumier (ADU) en 2021, désormais seul document reconnu pour attester d’un droit coutumier.
« L’ADU vient mettre fin aux attributions multiples et désordonnées. Elle protège les droits des communautés tout en sécurisant les transactions pour les acquéreurs », a insisté le ministre, soulignant le consensus trouvé avec les chefs traditionnels sur cette réforme.
Conscient que toutes les situations ne peuvent être réglées par les règles nouvelles, un guichet spécial a été ouvert pour traiter les demandes sur les lotissements anciens (antérieurs à décembre 2021). Cette procédure encadrée implique une vérification rigoureuse des attestations villageoises, avec un contrôle par des commissaires de justice.
Les attestations postérieures au 31 décembre 2024, en revanche, sont désormais irrecevables. « Ce figement de l’information coutumière est un pilier de la réforme », a déclaré Bruno Koné.
Répondant à ceux qui dénoncent une insécurité foncière croissante, le ministre a tenu à rassurer: « Le niveau de sécurité foncière n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Les litiges actuels sont les résidus d’un passé que nous sommes en train de corriger. »
Il a également appelé les citoyens à plus de vigilance: « Quand un acquéreur de bonne foi est lésé, c’est vers le vendeur frauduleux qu’il faut se tourner. L’administration ne remplace pas les responsabilités individuelles. »
En conclusion, Bruno Koné a insisté sur la nécessité de poursuivre les réformes avec fermeté et pédagogie, dans l’intérêt d’un développement urbain harmonieux, respectueux des droits coutumiers et des impératifs modernes.
« Le foncier urbain ne doit plus jamais être un facteur d’injustice ou de prédation. Il doit devenir un pilier de stabilité et de développement. », a-t-il prévenu.
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