Africa-Press – Côte d’Ivoire. Frédéric Pistone: L’objectif de ce satellite est de mesurer les panaches de CO2 émis par les activités humaines et d’avoir une résolution spatiale suffisamment précise pour être capable de géolocaliser l’origine de ces panaches. Et donc d’attribuer ce panache à un acteur.
Il ne s’agit pas de mesurer les quantités globales de CO2 présentes dans l’atmosphère: ça, c’est la mission attribuée au satellite européen Sentinel-7 ou CO2M (Copernicus Anthropogenic Carbon Dioxide Monitoring, ndlr) qui sera en orbite dans moins de deux ans. Avec Carb-Chaser, nous voulons réaliser des zooms plus focalisés sur les sites déjà connus pour être des émetteurs de CO2, notamment des sites industriels, afin de venir doser leurs émissions.
Par quel moyen?
On va en quelque sorte colorier le panache localisé en faisant l’hypothèse d’un flux de CO2 constant pendant trois heures. En couplant avec les modèles météorologiques qui fournissent les profils de vent et de pression, cela permet de comprendre la forme du panache et d’en déduire les quantités de CO2 qu’il contient et donc le débit en kilos d’émissions de CO2 par heure. Pour cela, on utilise une technologie innovante qui découle de principes développés pour différentes missions précédentes, des interféromètres multispectraux fonctionnant dans le visible et le proche infrarouge, que l’on a réussi à miniaturiser.
« Une revisite de 60% des 17.000 sites en moins d’une semaine »
Quel est le temps de revisite d’un même site prévu?
Cela dépend du nombre de satellites mis en orbite. Grâce à la miniaturisation, le satellite sera petit – moins de 100 kg -, de la taille d’une petite machine à laver, ce qui va permettre d’en mettre plusieurs sur une orbite héliosynchrone proche de l’orbite polaire, entre 500 et 550 kilomètres d’altitude. Nous estimons qu’une constellation de 4 à 8 satellites devrait pouvoir répondre aux différents marchés identifiés. Carb-Chaser aura une sensibilité semblable à celle de Sentinel 7, mais observera un champ plus petit, d’une cinquantaine de kilomètres. Si l’on pend l’exemple de Fos-sur mer, cela permet de dissocier les panaches d’Ineos, de Total, d’ArcelorMittal et d’Esso, ou encore ceux des raffineries et autres aciéries qui y sont implantés.
Existe-t-il une carte des sites industriels à l’échelle mondiale?
Il existe plusieurs bases de données d’émetteurs mondiaux. Nous travaillons aussi avec des partenaires, des startups comme Carbo et Everimpact qui souhaitent vendre cette donnée à différents acteurs. Ils sont très orientés sur la vérification de l’efficacité des politiques d’aménagement du territoire, par exemple, ou de l’usage des terres. Ils veulent pouvoir dire qu’en réaménageant telle ville, ils ont contenu les flux de CO2 au sein de cette ville. Ces entreprises ont cartographié des positions GPS sur le globe et des émissions typiques déclarées aujourd’hui par ces points. Aujourd’hui, on dispose d’une liste de 17.000 points sur la Terre qui émettent du CO2 et c’est à partir de cette liste que nous dimensionnons la programmation de la future constellation. On prévoit une revisite de 60% de ces 17.000 sites en moins d’une semaine. Cela dépendra des zones d’intérêt particulières des clients.
Quelle est la gamme d’émetteurs visée?
Avec Carb-Chaser, on espère couvrir une classe d’émetteurs comprise entre 100 kilotonnes de à 1 ou 2 mégatonnes de CO2 annuel. C’est une fourchette qui comprend le plus d’industries, notamment les petites centrales électriques, les industries intermédiaires chimiques et pétrochimiques, toutes les cimenteries, mais aussi des industries plus petites de production de verre, de sucre, etc. Cela viendra compléter les très gros panaches qui seront vus par beaucoup d’autres satellites qui seront en orbite en 2030. Par exemple, une centrale à lignite électrique polonaise qui émet une quinzaine de mégatonnes annuelles, on ne sera pas les seuls à la voir. Mais Carb-Chaser est dimensionné pour des sites intermédiaires, plus petits.
« Je pense que Carb-Chaser est un vrai outil pour la décarbonation »
Quels sont les marchés identifiés pour cette constellation?
Je pense que Carb-Chaser est un vrai outil pour la décarbonation. Le premier marché identifié est celui de la régulation des émissions de dioxyde de carbone. Aujourd’hui, il y a trois types de régulations: le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne – ou SEQE-UE – où toutes les industries émettrices identifiées en Europe doivent déclarer leurs émissions chaque année. Elles se positionnent ainsi par rapport à une autorisation d’émissions délivrées par l’Europe, autorisation qui est décroissante chaque année. Si elles émettent moins que prévu, elles peuvent revendre, à la bourse du carbone, leurs quotas à une entreprise moins vertueuse. Aujourd’hui, cela repose sur un système déclaratif. Carb chaser permettra de quantifier les émissions de chaque acteur et être ainsi un outil de vérification, soit pour les régulateurs, soit pour les entreprises émettrices.
Quels sont les autres usages possibles?
Le contrôle du carbone aux frontières ou CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism, ndlr). Il s’agit d’un nouveau système de régulation européenne, qui va être mise en place en 2026 pour compléter le premier afin d’éviter deux effets pervers. Le premier, ce sont les « fuites de carbone »: cela consiste, pour les entreprises européennes, à délocaliser leurs productions, et donc leurs émissions à l’étranger. Le second impacte la compétitivité des entreprises européennes par rapport aux importateurs en Europe, qui eux ne sont pas soumis à la régulation et peuvent être ainsi plus compétitives.
Le CBAM veut imposer une taxe sur le kilowatt électrique, l’aluminium, l’acier qui entrent en Europe: les importateurs doivent déclarer leurs émissions de CO2 et payer une taxe en fonction du prix de la tonne de carbone sur le système de la bourse européenne. Dans ce cas, Carb-Chaser va être un outil de vérification de ces déclarations. A l’intérieur de l’UE, un drone ou un avion peuvent faire ce travail. Mais pour des observations non collaboratives ailleurs dans le monde, rien de tel qu’un satellite pour aller faire des mesures.
Enfin, il existe depuis 2024 une troisième réglementation, dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive ou « Directive sur les rapports de développement durable des entreprises, ndlr), qui oblige les grandes entreprises à fournir des informations en matière d’impact de leurs activités, de leurs fournisseurs, de leurs clients et de leurs produits sur l’environnement et la société. Là encore, Carb-Chaser peut apporter des informations de valeur.
Cela peut-il aussi intéresser les scientifiques?
Ils disposeront de données plus globales avec Sentinel-7 de l’ESA (Agence spatiale européenne, ndlr) ou le satellite MicroCarb du Cnes. Mais Carb-Chaser va leur permettre de mieux comprendre les effets locaux: le cycle du carbone au niveau d’une forêt, d’un marais, etc. Ce sont des données complémentaires à celles des deux autres missions. Nous espérons être en capacité de déployer la constellation entre 2028 et 2030. C’est l’horizon pour lequel le service fourni par cette donnée serait vraiment attendu.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press