Par Florence Richard
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Deux mois après la victoire d’Alassane Ouattara à l’élection présidentielle, les Ivoiriens sont de nouveau appelés aux urnes à la fin de décembre, à l’occasion de législatives boycottées par le PPA-CI de Laurent Gbagbo et que devrait dominer le parti au pouvoir.
Le 27 décembre, les plus de 8,7 millions d’électeurs ivoiriens sont invités à reprendre le chemin des urnes afin de renouveler les 255 membres de l’Assemblée nationale. Ces élections législatives, avancées en raison de contraintes constitutionnelles et électorales, interviennent deux mois presque jour pour jour après la réélection d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat avec un peu plus de 89 % des suffrages exprimés. Et alors que la campagne s’ouvrira le 19 décembre prochain, son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), part d’ores et déjà grand favori de ce scrutin placé sous haute sécurité.
Les autorités ont en effet annoncé le renouvellement du dispositif sécuritaire mis en place à l’occasion de la présidentielle dont le bilan officiel s’élève à 11 morts, 71 blessés et 1 658 interpellations. Près de 44 000 femmes et hommes seront ainsi déployés sur l’ensemble du territoire. L’interdiction de manifester a également été prolongée jusqu’au 17 janvier. Une restriction que dénonce l’opposition, dont des hauts cadres ont été écroués ces dernières semaines notamment pour des accusations de « complot » et d’« incitation à la révolte populaire ».
1. Pourquoi le parti de Laurent Gbagbo boycotte-t-il ces élections?
Le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo estime que « les conditions d’élections crédibles ne sont pas réunies » et que « l’environnement sociopolitique délétère ne s’y prête pas ». Déjà absente de la présidentielle, refusant de présenter un autre candidat que l’ancien président inéligible en raison d’une condamnation judiciaire, la formation politique pourrait ne pas survivre à ce nouveau boycott. Fondée au retour de Gbagbo à Abidjan après son acquittement en 2021 par la Cour pénale internationale, elle traverse la plus grave crise de sa courte histoire.
La décision de l’ex-chef de l’État a provoqué d’importants remous en interne. Une vingtaine de cadres du parti ont décidé de déposer leur candidature contre l’ordre du patron, parmi lesquels son ancien gendre Stéphane Kipré, vice-président exécutif et Georges Armand Ouégnin. Tous ont depuis été démis de leurs fonctions, tandis que dix-neuf militants ont été suspendus et que les Ligues des jeunes et des femmes ont été dissoutes.
Que restera-t-il du PPA-CI après ces élections? À 80 ans, Laurent Gbagbo a annoncé le 22 octobre dernier, dans un entretien à AFO Média où il est apparu physiquement diminué, qu’il ne briguerait aucune fonction politique à l’avenir et qu’il quitterait la présidence de son parti à l’issue du prochain congrès prévu en début d’année prochaine. Les potentiels successeurs existent, mais ils hériteraient d’une formation plus affaiblie que jamais, à l’implantation locale très restreinte et sans aucun représentant à l’Assemblée nationale, contre dix-huit aujourd’hui.
2. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) joue-t-il sa survie politique?
Difficile d’imaginer le plus vieux parti de Côte d’Ivoire sombrer mais, de toute évidence, il joue gros après avoir renoncé à présenter un candidat à la présidentielle d’octobre dernier à la suite de l’annonce de l’inéligibilité de son président Tidjane Thiam. Ce dernier, ancien financier élu en décembre 2023 à la tête du PDCI, supervisera ces élections déterminantes depuis Paris, où il réside depuis le mois de mars, sans aucune perspective de retour pour le moment.
Contrairement aux élections législatives de 2021, lors desquelles l’ancien parti unique avait fait listes communes avec les pro-Gbagbo réunis sous la bannière EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté), le PDCI n’aura cette fois aucun allié de poids pour tenter de s’imposer dans les 130 circonscriptions où il s’est positionné. Après avoir, dans un premier temps, annoncé le déploiement de candidats aux quatre coins du pays, le parti s’est finalement recentré dans la moitié sud, abandonnant ses ambitions nordistes. Il a également renoncé à présenter des candidats dans certaines grandes villes du centre comme Daloa, pourtant historiquement favorable à l’opposition, ou Bouaké.
Son porte-parole, Soumaïla Bredoumy, a par ailleurs été incarcéré le 27 novembre pour 18 chefs d’accusation, dont « complot contre l’autorité de l’État » et « atteinte à l’ordre public », à son retour à Abidjan après plusieurs semaines à l’extérieur du pays. Une décision qui sonne comme une mise à garde à l’encontre de Tidjane Thiam? Les autorités ivoiriennes estiment que ce dernier aurait franchi une ligne rouge en appelant à « libérer la Côte d’Ivoire » depuis Paris, quelques jours avant la présidentielle.
3. La majorité du RHDP peut-elle être remise en question?
Non, et le parti présidentiel compte même faire mieux qu’en 2021, où il avait obtenu 137 députés et un groupe de 168 membres après une série de ralliements. Le RHDP vise clairement la majorité des deux tiers, soit 170 ou plus de députés élus. Afin d’y parvenir, au terme d’arbitrages internes plus tendus que prévu dans quelques-unes des 205 circonscriptions du pays, le chef de l’État a opté pour la sécurité en maintenant la grande majorité des sortants et en imposant des poids lourds dans certaines localités.
La quasi-totalité de l’équipe gouvernementale et les cadres les plus influents du RHDP sont ainsi mobilisés, du vice-président Tiémoko Meyliet Koné au Premier ministre Robert Beugré Mambé en passant par Téné Birahima Ouattara, le ministre de la Défense et frère cadet du chef de l’État. Ces législatives sont l’occasion pour Alassane Ouattara de jauger à nouveau la légitimité populaire des uns et des autres, alors qu’il entend procéder à un remaniement en janvier, lui qui a à nouveau promis, lors de sa prestation de serment ce lundi, que ce nouveau mandat serait celui de la « transmission générationnelle ».
4. Où se disputeront les principaux duels?
Tandis que la moitié nord du pays demeure verrouillée par le RHDP, plusieurs circonscriptions sudistes seront plus âprement disputées que d’autres. Celle de Yopougon notamment, immense commune du district d’Abidjan de 1,5 million d’habitants, parmi lesquels 500 000 électeurs. Le président de l’Assemblée nationale et maire de « Yop » Adama Bictogo, jusque-là député d’Agboville, mènera la liste du RHDP face à celle du PDCI portée par Dia Houphouët. Il devrait profiter du boycott du PPA-CI, qui compte dans cette localité de très nombreux partisans, pour s’imposer.
Autre commune du district d’Abidjan qui sera le théâtre d’un féroce duel: le Plateau. Jacques Ehouo, pour le PDCI, affrontera Ouattara Dramane, dit OD, l’éternel challenger du RHDP. À Yamoussoukro, modeste bassin d’électeurs mais à la portée hautement symbolique, où deux sièges sont à pourvoir, Souleymane Diarrassouba, ministre du Commerce et de l’Industrie, et Augustin Thiam, le ministre gouverneur, seront face à Kouassi Kouamé Patrice (dit KKP), maire de la commune, issu des rangs du PDCI, et Jacques Kalou.
5. Les candidats indépendants pourraient-ils tirer leur épingle du jeu?
Ils sont en tout cas extrêmement nombreux. Ces « sans étiquette » représentent près de 60 % des candidats retenus par la Commission électorale indépendante (CEI), soit 669 candidats. Ils étaient déjà majoritaires lors des précédents scrutins de 2016 et 2021. Cette année-là, seuls 26 d’entre eux étaient parvenus à se faire élire dans l’une des 205 circonscriptions. Des indépendants qui, en grande majorité, avaient fini par rallier le RHDP.
Lors du dernier conseil des ministres, le 3 décembre, le président Alassane Ouattara a manifesté son agacement quant à la multiplication de ces candidatures indépendantes, soupçonnant certains membres du gouvernement, ainsi que de hauts cadres de son parti, de les favoriser dans leurs circonscriptions afin d’éparpiller les voix de leurs adversaires.
Source: JeuneAfrique
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