Africa-Press – Côte d’Ivoire. C’est une simple action de notation financière, un exercice auquel toutes les entreprises cotées à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) sont censées se plier – sans pour autant s’y conformer systématiquement. Mais dans le rapport rendu le 26 septembre par l’agence de notation GCR Ratings (désormais sous la houlette de Moody’s), un passage interpelle : « La qualité de la gestion de Servair Abidjan reste affaiblie par les incertitudes qui pèsent quant à la reconduction par l’État ivoirien de la concession de catering [restauration] et de handling [manutention] : cette concession est parvenue à échéance depuis 2015, et depuis cette date, le renouvellement de la concession n’a toujours pas été formalisé, ce qui fait naitre un risque de pérennité d’exploitation même si les signaux vont dans le sens d’une reconduction de la concession. »
Une situation inhabituelle, comme le reconnaissent sans ambages Boris Eloy, directeur du développement de Servair, et Alain Muders, directeur général adjoint chargé de l’Afrique, joints par Jeune Afrique. Mais « si elle n’est pas sanctionnée par un arrêt d’activité, c’est que nous ne sommes pas dans l’illégalité la plus totale : la situation est connue par toutes les parties prenantes, et notamment les autorités », expliquent les deux cadres.
La filiale ivoirienne de Servair, détenue à 80 % par l’entreprise française de restauration aérienne, elle-même filiale à 50,01 % du groupe Groupe Air France, est arrivée à Abidjan en 1998 pour une concession de sept ans. Selon les hauts responsables de sa maison-mère, elle est engagée dans un long processus de discussion avec l’État ivoirien, « qui doit aboutir à un nouveau modèle de concession », dont ils espèrent une prise d’effet « courant 2023 ».
Air Côte d’Ivoire au capital ?
Si les deux hommes ne livrent pas plus d’informations sur le contenu des discussions, plusieurs éléments doivent être tranchés. En effet, le gouvernement ivoirien souhaite désormais que le pavillon national, Air Côte d’Ivoire, soit au capital de toutes les sociétés présentes sur l’aéroport, comme le ministre des Transports, Amadou Koné, l’a expliqué à JA en juillet.
Ensuite, le périmètre exact de la concession pourrait être redéfini : dans sa notation de juillet 2021, l’agence Wara notait ainsi que les prestations de nettoyage, assurées par Servair dans le cadre de son contrat jusqu’en 2015, sont depuis cette échéance assurées par le koweïtien National Aviation Services (NAS). Ce qui a fait perdre 8 % de son chiffre d’affaires à Servair Abidjan.
Pour l’année 2021, la société ivoirienne a déclaré un chiffre d’affaires de 8,2 milliards de F CFA (12,5 millions d’euros) et un bénéfice net de 953,35 millions de F CFA. Une nette amélioration par rapport à l’année précédente (5,6 milliards de F CFA de CA et une perte nette de 985,33 millions en 2020), mais encore loin des 12,2 milliards de CA et du 1,38 milliard de bénéfices de l’année 2019.
Une note correcte, des perspectives stables
L’absence de contrat formel n’a pas alourdi cette année la note de la société, évaluée BBB sur le long terme et A3 sur le court terme, soit dans les deux cas un niveau satisfaisant de solvabilité, et lui attribue une perspective stable. « La situation a déjà fait descendre la notation de l’entreprise de deux crans dans nos précédentes évaluations », relève Oumar Ndiaye, l’analyste principal qui a conduit les travaux de GCR Ratings en 2022.
L’agence de notation a cependant d’autres motifs de prudence. « Alors qu’on parle de huitième vague de Covid, nous voulons nous assurer sur deux ou trois ans que la reprise du secteur aérien est bien effective », précise Oumar Ndiaye, qui mentionne aussi la guerre en Ukraine et ses conséquences, notamment en matière d’inflation, les problématiques de gouvernance dans les pays de la Cedeao, et surtout l’extrême concentration de la clientèle de Servair Abidjan.
Si l’entreprise de catering et de handling est seule sur son créneau à l’aéroport Houphouët-Boigny, certaines compagnies font le choix d’emporter depuis leur base l’avitaillement nécessaire à leur vol retour. Ainsi « deux compagnies (Air Côte d’Ivoire et Air France) représentent aujourd’hui la moitié [du] chiffre d’affaires » de Servair Abidjan, qui fournit 12 autres compagnies sur la vingtaine présentes à l’aéroport.
Signature avec Qatar Airways
Mais l’analyste note aussi les efforts de l’entreprise pour se diversifier, tant dans les activités aériennes qu’en dehors. Côté aérien, l’entreprise a signé en début d’année avec Qatar Airways, « qui sera amené à avoir une part de marché non négligeable dans notre portfolio », précisent les responsables de Servair.
« Nous avions compris très tôt, avant même la pandémie, qu’il nous fallait nous diversifier. En Afrique, nous nous sommes donc lancés dans le retail, avec notamment l’enseigne Burger King, dont nous n’avons plus aujourd’hui l’exclusivité, la restauration collective dans les entreprises et les lycées, les bases-vie des plateformes pétrolières ou minières au Cameroun, au Sénégal ou au Burkina, et d’autres expérimentations comme les food-trucks ou la livraison de repas au Kenya et aux Seychelles », poursuivent nos interlocuteurs, qui se félicitent de cette vision qui leur a permis de s’en sortir « moins mal que d’autres » pendant ces deux années de crise.
Pour ce qui est de Servair Abidjan, BCR constate pourtant une chute encore plus brutale de l’activité hors aérien (-38 % de revenus entre 2019 et 2021) que du segment aérien (-24 % sur la même période).
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