En Côte d’Ivoire, visite en pirogue de Lahou-Kpanda, un village menacé de submersion

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En Côte d’Ivoire, visite en pirogue de Lahou-Kpanda, un village menacé de submersion
En Côte d’Ivoire, visite en pirogue de Lahou-Kpanda, un village menacé de submersion

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Pour Nicolas Kodjo, la journée ne s’annonce pas des plus prospères. Un seul touriste s’est présenté au débarcadère pour faire la balade en pirogue sur la lagune, qui se poursuit généralement à pied dans les ruelles de sable et de coquillages de Lahou-Kpanda, petit village côtier situé à près de 150 km à l’ouest d’Abidjan. Pas de quoi entamer le moral et la passion de celui que les hôteliers de la région décrivent comme « le meilleur et l’un des derniers guides de Lahou-Kpanda », lieu touristique qui s’efface doucement de la carte en raison de l’érosion côtière.

Ce jour-là, paré d’un maillot de football de l’équipe de France, Nicolas Kodjo guide Christian Kanga, 37 ans, un touriste ivoirien très intéressé par la nature, la gastronomie et la cohabitation entre villageois. « Ici, c’est la terre des Avikam, ce sont eux qui dirigent le village. Mais Lahou est très mélangé, très accueillant. Grâce à la pêche et l’agriculture, il y a de nombreuses nationalités : des Ghanéens, des Béninois, des Togolais… Ici, tout le monde s’entend, toutes les religions, tous les quartiers, il n’y a jamais de palabres », développe le guide, très loquace, sous le regard admiratif du touriste.

Il y a huit ans, Nicolas Kodjo était pêcheur et bien loin de se douter qu’il serait le guide de référence du village et des alentours. A cette époque, il prend parfois le bateau avec les touristes et leur donne quelques informations appréciées des voyageurs. « On était plusieurs à faire ça. Mais c’est moi que les gens ont trouvé sympa. Ils prenaient régulièrement mon numéro et certains l’ont même donné aux hôtels du coin sans que je le sache. Les propriétaires des hôtels sont venus me voir et maintenant, on travaille ensemble. » Mangrove, palmiers et pirogues bleues

La visite du jour, il l’a faite des centaines de fois. Au fil de l’eau, la pirogue traverse quelques îlots verdoyants puis la mangrove, habitat naturel de certains poissons, protégée par les villageois. Plus loin apparaît une île au milieu de la lagune décrite par le guide comme la plus grande d’Afrique de l’Ouest : « Il faut deux jours en pirogue pour en faire le tour. » Et au loin, sur la gauche, se dévoile peu à peu le long village de Lahou-Kpanda, ses palmiers, ses maisons en bambou et ses pirogues bleues appartenant aux pêcheurs ghanéens. Large de deux kilomètres dans les années 1920, le village n’est plus qu’une fine bande de sable de moins de 200 mètres.

Car malgré la quiétude des lieux, « la cité aux trois eaux », entourée par la lagune, l’océan Atlantique et le fleuve Bandama, est grignotée par les flots. En cause, l’érosion côtière provoquée par le dérèglement climatique, mais aussi les conséquences de la construction, en 1973, du barrage hydroélectrique de Kossou, dans le centre du pays. Depuis, le fleuve n’a plus assez de débit pour contrer l’océan, qui ronge la côte et continue de déplacer l’embouchure vers l’ouest.

Quand les vagues s’abattent sur le village, les habitants exposés doivent déménager leurs maisons en bambou plus à l’ouest Le guide raconte que lorsque les vagues s’abattent sur le village, les populations exposées doivent déménager leurs maisons en bambou plus à l’ouest. Beaucoup disent qu’ils resteront tant que leurs ancêtres seront enterrés là. Mais le cimetière aussi disparaît peu à peu. Ces derniers mois, des cérémonies d’exhumation ont eu lieu pour les familles qui avaient les moyens de déplacer les corps. Les autres ont dû se résoudre à les abandonner dans l’eau.

La plupart des clients de Nicolas Kodjo sont des Européens expatriés, « des Français et des anglophones », précise celui qui parle « un peu anglais ». Des touristes qui l’interrogent sur l’érosion côtière mais aussi sur la période coloniale. Car avant d’être ce village nommé Lahou-Kpanda, la ville s’appelait Grand-Lahou et était l’un des principaux comptoirs coloniaux de la côte ivoirienne. En 1973, l’administration et une grande partie de la population se sont déplacées dans une ville nouvelle à son tour baptisée Grand-Lahou, à 18 km dans les terres, transformant la zone côtière en simple village.

Aujourd’hui à Lahou-Kpanda – 6 000 habitants selon notre guide –, il ne subsiste que quelques bâtiments de cette période. Le reste, comme la prison, le phare, l’école et quelques ruines, a été englouti par la mer. Désensabler la lagune et restaurer la berge

« Ici, quand on cherche un guide, c’est moi qu’on appelle. Et s’il y a trop de clients, je peux demander à des amis de me donner un coup de main », assure Nicolas Kodjo, qui, comme beaucoup de guides touristiques en Côte d’Ivoire, n’a pas de formation professionnelle ni de diplôme. Il s’est formé sur le tas, grâce à ses connaissances personnelles et avec l’aide du village : « Un ancien guide de Lahou-Kpanda m’a ouvert son cœur pour me parler de la nature et de l’histoire du coin », se souvient-il.

La mairie lui apporte aussi des informations et, lorsque les touristes l’interrogent sur des sujets qu’il ne maîtrise pas bien, il consulte les notables ou les anciens, comme Yves Zoukouan, connu à Lahou-Kpanda pour son magnifique jardin d’arbustes plantés dans le sable. « Ça fait mal au cœur de voir qu’un jour ce village va disparaître, s’attriste l’ancien. Nous sommes nés ici, on a vécu toute notre vie ici, là-bas c’est la ville, ça ne nous convient pas. Mais on a encore espoir que le WACA nous sauve. »

Financé par la Banque mondiale à hauteur de 15 milliards de francs CFA (près de 22,9 millions d’euros), le Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA dans son acronyme anglais), qui s’étend de 2018 à 2023, devait débuter ses travaux en septembre. Mais « rien n’a commencé, rien n’a changé », constatent les villageois. L’objectif du WACA est de désensabler la lagune, restaurer la berge à l’aide de digues et refermer l’embouchure avant fin 2023 pour la rouvrir un peu plus à l’est.

En attendant, l’histoire tragique de ce village attire de nombreux curieux, surpris comme Christian Kanga par « la beauté et le calme » des lieux. Pour le moment, l’activité de guide « nourrit son homme », assure Nicolas Kodjo. Son travail lui a aussi permis d’ouvrir un magasin de vêtements au village. Et si un jour Lahou-Kpanda disparaît, il dit avoir plusieurs cordes à son arc, comme la pêche et le commerce. Mais il l’assure, il continuera de raconter l’histoire du lieu et de faire découvrir la riche nature de la région.

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