En Côte d’Ivoire, l’inculpation de Damana Pickass signe-t-elle la fin de l’accalmie ?

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En Côte d’Ivoire, l’inculpation de Damana Pickass signe-t-elle la fin de l’accalmie ?
En Côte d’Ivoire, l’inculpation de Damana Pickass signe-t-elle la fin de l’accalmie ?

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Tout a commencé par un coup de fil. Le 21 février, Damana Adia Médard, dit Damana Pickass, secrétaire général du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), est contacté par un agent de la Cellule spéciale d’enquêtes et de lutte contre le terrorisme. Ce dernier l’informe qu’il recevra, le lendemain, une convocation et qu’il devra se rendre devant le juge d’instruction le 24 février. Les motifs en sont encore inconnus.

Des militants emprisonnés à la Maca

Dans un communiqué, le président exécutif du PCA-CI, Hubert Oulaye, appelle à « la mobilisation générale […] pour accompagner le secrétaire général et lui apporter le soutien du parti ». Le jour dit, quelques dizaines de personnes se mobilisent en effet, et sont arrêtées aux alentours du cabinet du juge d’instruction, où un important dispositif sécuritaire a été déployé. « Trente-quatre personnes ont été arrêtées. Depuis, trois d’entre elles ont été libérées, et les 31 autres placées sous mandat de dépôt. Elles sont actuellement à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan [Maca] », explique à Jeune Afrique Justin Katinan Koné, le porte-parole du mouvement. Toutes ont été inculpées de trouble à l’ordre public.

Pendant ce temps, Damana Pickass est auditionné puis inculpé pour « atteinte à la sûreté de l’État, participation à des activités de terrorisme, blanchiment d’argent et détention d’armes », tout comme un autre membre du parti, Ikpo Lagui. Placés sous contrôle judiciaire, les deux hommes ont pu regagner leur domicile.

Les raisons pour lesquelles ils ont maille à partir avec la justice sont étonnantes, et remontent à 2021. Dans un communiqué, Richard Adou, le procureur de la République, a en effet indiqué que Damana Pickass et Ikpo Lagui étaient mêlés à l’attaque d’un camp militaire, le deuxième bataillon « projetable », situé à Anonkoua-Kouté, dans la commune d’Abobo.

Dans la nuit du 20 au 21 avril 2021, ce camp avait essuyé des tirs, qui avaient fait trois morts et un blessé. Une enquête, diligentée juste après les faits, avait abouti à l’interpellation de 33 personnes, toutes inculpées et placées en détention préventive, selon Richard Adou. « Des interrogatoires et auditions de ces personnes, il ressort que cette attaque était le fruit d’une conspiration entre combattants ivoiriens et libériens », a expliqué le procureur, qui a précisé que les éléments de l’enquête « laissaient croire à l’implication de Damana Adia Pickass et d’Ikpo Lagui ». Des accusations que Pickass, qui était encore en exil à ce moment-là, rejette formellement.

Des poursuites à caractère politique ?

Plusieurs jours après cette interpellation, la tension n’est pas retombée. Le PPA-CI voit dans ces poursuites un acte de représailles à la tournée qu’a entamée son secrétaire général dans le district d’Abidjan pour mobiliser les troupes à quelques mois des élections locales.

Lors de ces meetings, Damana Pickass, déjà connu pour ses discours parfois radicaux, a tenu des propos très durs à l’encontre du pouvoir, comme le 18 février à Anono, un village ébrié niché dans la commune de Cocody, à Abidjan. « Il est temps qu’on se lève pour faire triompher la démocratie, l’État de droit. Le changement dépend de nous. La démocratie est en danger, et le gouvernement fait ce qu’il veut sans tenir compte des citoyens », a-t-il alors lancé.

Du côté du gouvernement, on dément que ces poursuites aient le moindre caractère politique. « La procédure judiciaire n’a pas commencé au moment des meetings. Dans son communiqué, le procureur a rappelé que l’instruction a débuté il y a quelque temps déjà et que ce sont des éléments clés du dossier qui ont conduit à citer Damana Pickass et une autre personne », souligne un haut cadre du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), au pouvoir.

S’agissant de l’arrestation des militants, cette source ajoute : « Nous sommes dans un État de droit, où les libertés sont garanties mais encadrées par la loi. Ils ont manifesté, et, en Côte d’Ivoire, les manifestations sont encadrées. Ils étaient à peine une quinzaine alors qu’ils appelaient à une grande mobilisation. Cela montre ce que valent les appels à la mobilisation du PPA-CI. »

Crispation

Damana Pickass s’est fait connaître pour avoir, le 30 novembre 2010, en pleine crise post-électorale, arraché des mains du porte-parole de la commission électorale la feuille sur laquelle étaient inscrits les résultats partiels de l’élection présidentielle. Ceux-ci donnaient la victoire à Alassane Ouattara sur Laurent Gbagbo, le chef de l’État sortant.

Une décennie plus tard, après son retour en Côte d’Ivoire, l’ancien président a récompensé Pickass de sa fidélité en lui confiant le poste de secrétaire général de son nouveau parti, le PPA-CI. La nomination de cet ancien membre de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) se voulait un signal envoyé à la jeunesse.

L’inculpation de Damana Pickass marquera-t-elle la fin de l’accalmie entre le pouvoir et le camp Gbagbo ? Le 8 février dernier, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo s’étaient affichés ensemble à Yamoussoukro à l’occasion de la remise du prix Félix-Houphouët-Boigny/Unesco pour la recherche de la paix. Une semaine plus tard, le 15 février, Alassane Ouattara avait poursuivi sur la voie de l’apaisement en signant le décret de nomination du représentant du PPA-CI au sein de la Commission électorale indépendante (CEI). La mise en application de cette résolution issue du dialogue politique avait été largement saluée.

Mais, depuis, des signes de crispation ont surgi. La tournée dans le nord du pays de Stéphane Kipré, le premier vice-président du PPA-CI, a été émaillée de violences. Invoquant des « risques énormes pour la sécurité des militants et des populations », l’ex-gendre de Laurent Gbagbo a renoncé à tenir un meeting, le 17 février, à Morondo, dans la région du Worodougou.

Au lendemain de son audition, Pickass n’a, pour sa part, pas pour autant adouci son discours. « Les intimidations, c’est terminé ! » s’est-il exclamé lors d’un meeting à Yopougon, une commune d’Abidjan depuis toujours acquise au FPI. « Quand ils [le camp Ouattara] nous voient déterminés, mobilisés, ils deviennent fébriles, frileux. La peur s’empare d’eux. Ils ont peur de l’alternance au pouvoir. » Et d’ajouter : « 2025 signera la fin du régime Ouattara ».

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