Africa-Press – Côte d’Ivoire. Avec 44 destinations dans 32 pays, le continent africain reste un segment fort de l’offre du groupe Air France-KLM, dont il représente 17 % de l’offre long-courrier. Si elle n’est plus, aujourd’hui, la zone la plus dynamique ou la plus rentable, elle est celle qui s’est montrée la plus résiliente pendant la période du Covid-19, durant laquelle le pavillon français a continué à ouvrir des destinations, à l’instar de Banjul, Zanzibar ou Monrovia – fermée depuis.
« Par contraste, la reprise y a été un peu plus faible, mais là on voit vraiment que ça redémarre », assure Jean-Marc Pouchol, vice-président Afrique du groupe depuis septembre 2021, depuis son bureau de Roissy où il reçoit Jeune Afrique.
Après deux années dans le rouge, Air France-KLM affiche pour 2022 un résultat net positif de 728 millions d’euros et annonce pour l’été 2023 un programme de vols supérieur à son offre de 2019.
Le groupe assure en outre qu’il aura fini de rembourser, en avril 2023, les aides étatiques perçues dans le cadre du Covid-19, ce qui lui permettra de se libérer des contraintes liées à ces aides par la Commission européenne, notamment la limitation des acquisitions d’autres compagnies. Entretien.
Jeune Afrique : Sur les 3,87 millions de passagers transportés vers ou depuis l’Afrique en 2022, quelle part représente chacune des compagnies du groupe ?
Jean-Marc Pouchol : À ce chiffre, il faut ajouter le moyen-courrier à destination de l’Afrique du Nord, ce qui porte à 5,5 millions le nombre de passagers vers l’Afrique pour Air France-KLM. Nous n’y intégrons pas Transavia, qui a un segment de clientèle bien à lui.
Pour ce qui est des ratios, ils sont variables en fonction des indicateurs : 75 % pour Air France en termes de passagers, deux tiers si on parle de passagers-kilomètres, car les routes de KLM sont généralement plus longues que celles d’Air France.
Le partage du réseau entre Air France et KLM tend à confier l’Afrique de l’Ouest et centrale à Air France, et l’Afrique de l’Est et australe à KLM. Mais le programme de vols d’Air France pour l’été prochain se renforce en « zone KLM », avec l’ouverture de Dar es-Salaam et l’augmentation des capacités sur le Kenya. Est-ce une tendance de fond ?
Effectivement, Air France ouvre Dar es-Salaam, le 12 juin, avec trois vols par semaine opérés en B787. Mais aucune compagnie ne prend le pas sur l’autre, leurs croissances respectives évoluant en parallèle. Nous essayons en revanche de développer des synergies partout où cela fait sens, pas seulement en Afrique mais partout dans le monde. Nous avons de plus en plus de « doubles hubs », c’est-à-dire de destinations desservies à la fois par Air France et KLM. Ils sont sept aujourd’hui en Afrique et ce concept marche bien, notamment sur les routes qui ne sont pas desservies au quotidien par l’une ou l’autre. On peut alors organiser les programmes de telle sorte que l’on ait une couverture Air France-KLM tous les jours de la semaine, en évitant bien entendu d’opérer le même jour.
NOUS ESSAYONS DE DÉVELOPPER DES SYNERGIES PARTOUT OÙ CELA FAIT SENS
C’est-ce que nous avons fait pour Zanzibar, que nous avons ouvert depuis Paris en novembre 2021, et c’est plutôt un succès. Cela a du sens pour la clientèle, et cela a du sens pour nos équipes sur place. D’un point de vue opérationnel, elles traitent aussi bien les avions d’Air France que ceux de KLM, et sur le commercial, elles sont chargées de vendre indifféremment le produit KLM ou le produit Air France et d’optimiser la combinaison des deux.
Depuis mai 2022, Transavia s’aventure en Afrique subsaharienne, avec l’ouverture des lignes Nantes-Dakar et Lyon-Dakar. Cette expansion s’est-elle faite en concertation avec les autres entités du groupe ?
Il y a bien une stratégie au niveau groupe pour la construction du réseau. Air France se concentre sur la desserte de Dakar au départ de Paris, tandis que les liaisons ouvertes par Transavia permettent d’ajouter une offre complémentaire, en direct au départ des régions, avec des appareils d’une capacité plus réduite.
L’ouverture du Sénégal par Transavia n’a pas pénalisé le développement de nos ventes, car on est sur des segments de clientèle bien distincts. Transavia a une clientèle low-cost et tourisme avant tout, alors que nous sommes sur une clientèle plus généraliste avec Air France-KLM.
Est-ce que les accords aériens entre la France et le Sénégal, qui n’autorisent qu’une seule liaison quotidienne entre les deux capitales pour chacune des compagnies, empêchent également le lancement de lignes Air France entre des villes de province et le Sénégal, ou des vols directs vers Saint-Louis ou la Casamance ?
Non, ce serait possible, mais ce n’est pas la stratégie que nous avons mise en place sur cet axe, où nous nous sommes focalisés sur le lancement de notre nouvelle cabine, depuis fin janvier.
Nous avons refait la cabine business, dotée désormais d’une porte coulissante, et dont les capacités ont été renforcées, avec 48 sièges. La cabine premium Economy a vu sa capacité doubler, avec 48 sièges également, et le produit économie a été entièrement revu, avec des sièges plus confortables et un très grand écran de 13,3 pouces. Nous sommes désormais au top de ce qui se fait dans l’industrie et de ce qui se fait au niveau d’Air France.
ENTRE L’AFRIQUE ET LA FRANCE, PLUS DE 50 % DE NOS CLIENTS N’ONT PAS PARIS POUR DESTINATION FINALE
Dakar est l’une des trois premières destinations à recevoir ces nouveaux équipements, et à compter d’avril, ces nouvelles cabines seront également disponibles sur Johannesburg. Maintenant, charge à nos commerciaux de remplir ces vols !
Et un Amsterdam-Dakar, est-ce que ce serait dans l’ordre du possible ?
On ne l’écarte pas, mais en l’état actuel du marché, ce n’est pas envisagé.
La ligne entre Paris et Bamako a été interrompue pendant un peu plus d’un mois au début de 2022. Avez-vous une estimation de ce que cela vous a coûté ?
L’interruption des opérations a été vraiment de courte durée. À chaque fois que nous sommes confrontés à ce type d’enjeu, la priorité de toutes les équipes, c’est vraiment de redémarrer les opérations au plus vite.
Il y a une très forte demande, un réel besoin de voyager. Et pas uniquement sur la France : au contraire de ce que l’on pourrait imaginer, entre l’Afrique et la France, plus de 50 % de nos clients n’ont pas Paris pour destination finale. Certains vont en province, mais une grande partie continue, vers les pays européens ou vers les États-Unis notamment.
Comment se porte cette ligne aujourd’hui ?
Nous sommes à un vol quotidien, et notre objectif est de maintenir cette fréquence. Ce que nous sommes en capacité de faire avec la demande actuelle, même si au départ sur le marché local, il y a eu quelques impacts.
UN PARTENARIAT AVEC UNE COMPAGNIE LOCALE FORTE, DOTÉE D’UN HUB IMPORTANT, FAIT COMPLÈTEMENT SENS
Aujourd’hui, on constate une montée de la contestation des entreprises et des intérêts français dans certains pays, notamment au Mali ou au Burkina Faso. Air France n’y héberge d’ailleurs plus ses équipes. Comment vous adaptez- vous à ces contraintes opérationnelles ?
Nous avons une grande histoire avec la desserte de l’Afrique. Les premiers vols ont eu lieu dès le démarrage de la compagnie en 1933, et localement, on peut s’appuyer sur plus de 700 personnes. Nous avons donc une réelle expertise à tous les niveaux de l’entreprise. On sait être agiles, réactifs, et, pour la desserte de l’Afrique, il faut l’être parce qu’il se passe toujours quelque chose.
La sûreté, la sécurité de nos clients et de nos personnels reste la priorité absolue. On adapte donc nos procédures, en concertation avec les autorités locales. Mais je ne pense pas qu’on puisse noter une dégradation de la relation entre les clients d’Air France et la compagnie, au contraire.
Air Côte d’Ivoire, dont Air France-KLM est actionnaire, devrait se lancer d’ici à 2025 sur la route Abidjan-Paris. Le groupe franco-néerlandais a-t-il vocation à rester au capital de celui qui sera alors son concurrent ?
Je ne peux pas trop commenter ce qui se passe à très court terme, mais notre volonté est non seulement de continuer à travailler avec Air Côte d’Ivoire, mais également de renforcer notre partenariat. Tout ce que l’on pourra mettre en œuvre qui apporte de la valeur pour la clientèle d’Air France, comme pour celle d’Air Côte d’Ivoire, sera étudié.
Même si nous desservons déjà 44 destinations, cela ne couvre pas l’ensemble du continent. Il y a des destinations que nous ne desservons pas, pas encore, ou pas encore en quotidien. Un partenariat avec une compagnie locale forte, dotée d’un hub important, a beaucoup de sens. Cela permet d’offrir des continuations de voyage ou des départs de Côte d’Ivoire et de sa région, ainsi que des correspondances au-delà du hub de Charles-de-Gaulle.
Est-ce que vous envisagez de prendre des participations dans d’autres compagnies africaines, actuelles ou en gestation ?
Notre objectif premier est de développer des partenariats commerciaux et des synergies qui aillent dans le sens du client. Mais cela ne passe pas forcément par une prise de participation.
TOUTE UNE BATTERIE D’ATOUTS COMMERCIAUX NOUS PERMETTENT DE CONTINUER À NOUS DÉVELOPPER
Avec l’arrivée de Corsair au Mali pour la saison estivale et au Bénin en novembre, vous avez eu de la concurrence sur des lignes sur lesquelles vous étiez jusque-là en monopole. Quelles en ont été les conséquences ?
Nous avons rencontré les autorités béninoises au cours du premier trimestre 2022. Elles nous ont demandé de soutenir le développement touristique du Bénin en augmentant nos capacités entre Cotonou et la France. Nous nous sommes engagés à les accompagner, et dès que nous nous l’avons pu, nous avons rajouté des fréquences : une sixième fréquence à partir de l’été et une septième en novembre, au démarrage du programme hiver.
Forcément, quand on rajoute des capacités, cela a un impact, au tout début, sur la performance de la ligne, notamment en termes de facteur de remplissage. Mais les résultats que nous observons actuellement sont en phase avec nos objectifs. On s’appuie sur plusieurs atouts : l’historique de notre présence sur place, nos équipes commerciales locales, nos relations avec les agences de voyages et avec tout l’écosystème, notre programme de fidélisation… Toute une batterie d’atouts commerciaux qui nous permettent de continuer à nous développer, y compris sur des lignes comme Cotonou où un nouvel entrant arrive.
Mais je ne pense pas qu’on puisse parler de monopole, puisqu’il y a des hubs concurrents à Paris et au départ de ces pays. Disons plutôt que nous sommes encore opérateur unique sur quelques lignes, mais ce n’est pas nous qui l’imposons, c’est une situation de fait.
Si Paris et Amsterdam restent les premiers hubs vers l’Afrique de l’Ouest, on assiste à une importante montée en puissance des compagnies du Golfe et de Turkish Airlines, notamment vers l’Afrique de l’Est et australe. Comment percevez-vous ce déplacement « du centre de gravité » des liaisons entre l’Afrique et le reste du monde ?
Il y a de la place pour tout le monde dans le transport aérien. Nous avons des concurrents qui se développent, et c’est très bien ainsi. Pour notre part, on continue à avoir des flux de clientèle de l’Asie vers l’Afrique et d’Afrique vers l’Asie, par exemple pour la Chine, que nous redémarrons de manière significative.
Il peut effectivement y avoir des logiques géographiques qui font diminuer un peu notre activité sur certaines destinations parce que des concurrents seront apparus, mais cela va être contrebalancé par d’autres destinations de nous ouvrirons. Nous démarrons par exemple la desserte d’Ottawa en juin et sommes persuadés qu’elle a un potentiel important depuis l’Afrique. Entre Air France et KLM, nous proposerons cinq destinations dans le pays, cela va nous faire gagner des parts de marché par rapport à d’autres concurrents.
LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE N’EST PAS UNE COMPÉTITION, MAIS UNE QUESTION POUR L’INDUSTRIE TOUT ENTIÈRE
Durant ses vœux à la presse, la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, a souligné les efforts du groupe en matière d’approvisionnement en carburant durable (SAF), pointant le risque d’une distorsion de la concurrence face à des compagnies à qui on n’impose pas – ou qui ne s’imposent pas – les mêmes contraintes. Pensez-vous que cet enjeu de l’aviation durable a sa place en Afrique, où le SAF est quasi-inexistant ?
Au sein d’Air France-KLM, la baisse des émissions de de CO2 est une priorité absolue. Il y a un plan pour cela avec des leviers bien établis, comme le SAF, mais aussi à court terme le renouvellement de la flotte. Les avions de nouvelle génération génèrent une baisse des émissions de CO2 de l’ordre de 20 à 25 %. À l’horizon 2028, la flotte sera constituée aux deux tiers d’appareils de nouvelle génération.
Dans les années à venir, le SAF sera également intégré, avec un objectif de 10 % à l’horizon 2030. L’enjeu, c’est qu’il a aujourd’hui un prix entre 4 et 8 fois supérieur au prix du kérosène fossile. Mais tout va être mis en œuvre pour faire diminuer ce surcoût. À cela s’ajoutent d’autres mesures, comme l’écopilotage, l’intermodalité…
Pensez-vous que la crise du Covid et la montée de la prise de conscience écologique a radicalement changé le rapport de vos clients au transport aérien ? Y a-t-il des tendances que vous identifiez comme durables ?
La récupération de la demande sur le segment loisir a été très forte, peut-être plus rapide encore que ce que l’on avait pu anticiper. Le trafic d’affaires a été moins rapide, mais il va continuer à se redresser, car même si de nouvelles formes de communication ont été adoptées, les rencontres physiques restent un besoin. Aujourd’hui, notre offre de et vers l’Afrique est supérieure à celle d’avant la crise.
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