Florence Richard
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Parc des expos et pont Alassane-Ouattara opérationnels, voie de contournement quasi terminée… La capitale économique ivoirienne a mis les bouchées doubles pour livrer plusieurs grands chantiers avant le coup d’envoi de la CAN, en janvier.
À quelques semaines du coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, que la Côte d’Ivoire accueillera du 13 janvier au 11 février prochains, Abidjan poursuit la métamorphose qu’elle a engagée depuis une dizaine d’années, avec l’achèvement de chantiers emblématiques, comme celui du Parc des expositions. Implanté sur un site de 16 hectares, à Port-Bouët, ce vaste complexe à l’allure de soucoupe volante posée à terre, conçu par l’architecte ivoiro-libanais Pierre Fakhoury, a été inauguré en juillet dernier par le vice-président ivoirien Tiémoko Meyliet Koné.
« Notre tour Eiffel »
Mais l’ouvrage qui a transformé plus que les autres l’image de la capitale économique ivoirienne ces derniers mois, lui conférant une allure plus moderne et plus graphique, est sans aucun doute le cinquième pont, dénommé pont Alassane-Ouattara, inauguré le 12 août par le chef de l’État en personne.
Ce pont haubané spectaculaire d’une longueur de 634 mètres, lui aussi dessiné par Pierre Fakhoury, enjambe la lagune Ébrié pour relier la commune de Cocody à celle du Plateau. Sa flèche, arrimée à ses filins métalliques, répond à celle de la cathédrale Saint-Paul, qui lui fait face sur l’autre rive.
À la nuit tombée, les plus chanceux peuvent observer l’ouvrage illuminé aux couleurs de la Côte d’Ivoire depuis l’une des terrasses d’un des hôtels haut de gamme qui ont fleuri ces dernières années au Plateau, commune des ministères, des affaires et des sièges d’institutions, qui abrite par ailleurs le stade Félix-Houphouët-Boigny (rénové pour la CAN) et, bientôt, la Tour F, encore en chantier au cœur de la cité administrative – un projet également confié à Fakhoury et à PFO Africa. Impossible de manquer cette tour ultramoderne aux contours de masque africain, qui accueillera des centaines de bureaux et sera l’une des plus élevées d’Afrique (plus de 200 mètres), au coût provisoire estimé à 250 milliards de francs CFA (plus de 381 millions d’euros). Elle offrira une vue imprenable sur la baie de Cocody, en plein aménagement et sur le nouveau pont, qui suscite un véritable engouement populaire.
À tel point que, certains jours, les autorités ferment ses voies à la circulation pour permettre aux familles de s’y balader en toute sécurité. Des groupes de jeunes amis s’y retrouvent pour se prendre en photo et les demandes en mariage s’y multiplient. « C’est notre tour Eiffel », s’enthousiasme Moussa au volant de son taxi en franchissant le pont, qu’il emprunte désormais presque tous les jours. « On l’a beaucoup attendu mais ça valait la peine », poursuit le jeune homme. Le projet, lancé en mars 2019 par l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly – décédé en juillet 2020 –, devait initialement être inauguré en 2021 mais la pandémie de Covid-19 est passée par là, qui a ralenti le chantier.
« C’est un joyau architectural qui permettra de décongestionner le trafic et donnera encore plus d’éclat à notre capitale économique », a résumé Alassane Ouattara lors de son inauguration, conscient que la ville pâtit encore des embouteillages dantesques, que subissent chaque jour ses quelque 6 millions d’habitants, et qui risquent de s’aggraver lors de la CAN.
Le piège de la pelouse
La Côte d’Ivoire prépare l’accueil de cet événement sportif majeur depuis dix ans, puisque c’est en 2014 que le pays en a obtenu l’organisation. Pourtant, à quelques semaines de la cérémonie d’ouverture, certaines réalisations nécessaires à son bon déroulement sont toujours en chantier. Une source d’inquiétude pour Alassane Ouattara, qui entend faire de cette grande fête populaire une vitrine pour le pays. « Tous les regards seront tournés vers la Côte d’Ivoire, notamment ceux des investisseurs », rappelle un ministre. Tout le monde en a pleinement conscience : la fête ne saurait être gâchée. Et le patron y veille.
Pas question qu’une nouvelle polémique émerge, comme celle qui a éclaté autour du stade Alassane-Ouattara d’Ébimpé. Cette enceinte sportive de 60 000 places, financée et construite par la Chine, inaugurée le 3 octobre 2020, doit accueillir les cérémonies d’ouverture et de clôture de la compétition, ainsi que tous les matchs de la sélection nationale.
Or le 12 septembre dernier, le match amical entre la Côte d’Ivoire et le Mali a été interrompu… pour inondation. Un fiasco en direct, qui aurait coûté sa place au ministre des Sports Paulin Danho, et emporté dans son sillage le Premier ministre, Patrick Achi. « Le président est très sensible à l’opinion, il ne pouvait pas ne rien faire », constate un fidèle du chef de l’État. Le nouveau stade a donc dû être réhabilité, en particulier sa pelouse, engendrant des coûts mirobolants pour la Côte d’Ivoire.
Alassane Ouattara fait désormais confiance à Robert Beugré Mambé, le nouveau Premier ministre, pour s’assurer de l’avancement des chantiers. L’ancien gouverneur du district d’Abidjan avait supervisé avec succès l’organisation des Jeux de la francophonie en 2017 et, depuis sa nomination à la primature, à la-mi octobre, il est aussi chargé du portefeuille des Sports et du Cadre de vie. Robert Beugré Mambé est ainsi devenu le grand chef de chantier d’Abidjan, arpentant tous les sites pour alerter sur les délais.
Le 7 novembre, l’ancien ingénieur en travaux publics était d’ailleurs sur la pelouse d’Ébimpé, casque sur la tête. Le stade est excentré, difficile d’accès… C’est une inquiétude. Quelques jours plus tôt, le Premier ministre avait déjà tapé du poing sur la table et donné à l’entreprise commise aux travaux de la voie de contournement du centre-ville d’Abidjan – alias autoroute Y4, qui relie Bingerville (dans le sud-est) à Ébimpé (dans le nord-ouest), via Abobo –, « quarante-cinq jours » pour les achever. « C’est un délai que nous allons imposer », a insisté Robert Beugré Mambé, avant d’aller superviser le chantier du dédoublement des voies de la sortie est d’Abidjan, sur le point d’être achevé.
Et dans les communes populaires ?
Direction ensuite Yopougon, commune populaire abidjanaise de 1,5 million d’habitants où les emplois et les services manquent et où la livraison du quatrième pont, initialement prévue en 2020, accuse un énorme retard depuis le lancement des travaux, en 2018. L’ouvrage, qui fait partie intégrante du Projet de transport urbain d’Abidjan, doit permettre de désengorger le nord de la capitale économique, en reliant la commune de Yopougon à celle du Plateau et à celle, commerçante, d’Adjamé. La première section de ce projet, qui part du carrefour du premier pont et va jusqu’à Attécoubé, au niveau du Sebroko, sera bientôt ouverte. Pour le reste – dont le quatrième pont –, Robert Beugré Mambé a demandé aux entreprises d’accélérer la cadence.
« Je mets parfois cinq heures pour rentrer en bus », se désole Pascaline, qui, chaque jour, emprunte les routes surchargées de « Yop » pour se rendre à Cocody, commune des villas cossues, où elle fait le ménage. Elle rit à l’idée de prendre du temps pour aller faire une photo sur le pont Alassane-Ouattara. Elle ne l’a pas encore vu et ce n’est pas dans son programme. Le nouveau maire de Yopougon, Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, a promis d’organiser des états généraux afin d’établir les priorités des habitants. Car les urgences sont nombreuses : la fluidité routière, l’assainissement, l’accès à l’eau potable, le logement… À chaque grande pluie, Yopougon compte ses morts. Entre avril et juillet, dix-huit personnes ont péri dans des glissements de terrain ou sont mortes noyées. C’est plus de la moitié du bilan officiel de trente morts répertoriés sur l’ensemble du pays.
À Abobo, autre commune très étendue, dirigée par Kandia Camara, présidente du Sénat et ancienne ministre des Affaires étrangères, les problèmes sont à peu près les mêmes : manque d’emploi, de sécurité, infrastructures scolaires et sanitaires sous-dimensionnées… Le programme municipal triennal 2024-2026, d’un montant de 4 milliards de francs CFA, porte sur 29 opérations qui paraissent bien minimes par rapport aux attentes des populations. Il s’agit, entre autres, de construction et de réhabilitation d’écoles primaires et maternelles , d’acquisition de tables-bancs, de construction de centres d’état civil secondaires et de centres de santé. La maire vient par ailleurs d’annoncer une vaste opération de libération des grandes artères de la commune, en prélude à la CAN. « Les ponts, la CAN, tout ça c’est bien, mais les écoles sont surchargées partout et le travail ? » alerte une mère de famille. La CAN promet d’être une grande fête, mais le sera-t-elle vraiment pour tout le monde ?
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press