Africa-Press – Côte d’Ivoire. Il arrive que le système immunitaire se trompe de cible. Il se dérègle et s’attaque alors aux cellules de l’organisme. On parle alors de maladies auto-immunes. C’est le cas des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), dont la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Parmi les symptômes fréquents: douleurs abdominales et diarrhées.
Ces affections intestinales touchent près de 250.000 Français et leurs traitements sont très limités. Toutefois, les études dans ce domaine se multiplient et suscitent de l’espoir. En septembre 2024, des chercheurs américains ont découvert une nouvelle bactérie qui affaiblit le système immunitaire intestinal chez les patients atteints de MICI.
Cette fois-ci, une nouvelle étude française pointe le rôle de certaines protéines, les interférons lambda, dans les lésions de la barrière intestinale. Initialement signaux d’alerte lors des infections virales, leur niveau est anormalement élevé chez les patients atteints de MICI, et provoque la mort des cellules de l’intestin.
Mais comment ? Sciences et Avenir revient sur ces résultats avec Achille Broggi, chercheur au CNRS chez le CIML, auteur de l’étude en collaboration avec l’hôpital pour enfants de Boston et l’Ecole de médecine d’Harvard (Etats-Unis). Ses recherches ont été publiées dans la revue Cell.
Un système immunitaire redoutable
« Pendant des millénaires, le système immunitaire a évolué pour combattre les agents pathogènes, mais dans les maladies auto-immunes, un dérèglement s’opère. Dans ce contexte-là, ce qui était bénéfique pour l’organisme face à des micro-organismes étrangers devient auto-destructeur », nous rappelle Achille Broggi. La mécanique semblait pourtant bien huilée: lorsqu’une cellule sentinelle repère un virus dans l’organisme, elle émet des signaux d’alerte, indiquant ainsi aux cellules voisines de renforcer leurs défenses. Ces signaux sont de petites protéines appelées « interférons », et peuvent aussi être émis par les cellules infectées elles-mêmes.
« Les cellules ont alors plusieurs moyens de défense. Parmi les armes qu’elles peuvent utiliser: empêcher l’entrée du virus, bloquer la réplication du virus, ou, une fois infectée: déclencher leur propre mort », précise l’auteur de l’étude. Cette dernière option, redoutablement efficace en cas d’infection virale, pose justement problème dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, car elle s’opère sans infection virale. Mais pourquoi ? Les chercheurs du CNRS lèvent le voile sur une partie du mécanisme en étudiant des organoïdes.
Un grain de sable dans l’engrenage
Pour leur étude, les scientifiques ont étudié des mini-intestins en laboratoire. On appelle ces modèles des « organoïdes ». « C’est très utile pour observer le fonctionnement d’un organe, s’enthousiasme Achille Broggi. Ici, on a voulu observer les réactions des cellules épithéliales qui tapissent l’intestin, lors de l’inflammation. »
Résultat ? Ils ont observé des niveaux très élevés d’interférons lambdas. Les chercheurs se questionnent alors quant à l’impact d’une telle concentration sur la paroi intestinale. En effet, lors d’une précédente étude sur les infections pulmonaires, Achille Broggi avait révélé que ces interférons pouvaient faire obstacle à la guérison des tissus. « On s’était rendu compte que les interférons ont des effets bénéfiques au début de l’inflammation car ils permettent de combattre efficacement le virus mais si que s’ils perdurent dans le temps, et que leur niveau ne baisse pas, ils peuvent empêcher la réparation des muqueuses », indique le chercheur. Se pourrait-il donc que les interférons aient un effet similaire sur les tissus intestinaux ?
En effet, si on connaît mal l’origine des MICI, leurs caractéristiques sont connues: le système immunitaire, déclenché contre l’organisme lui-même, est à l’origine de processus auto-inflammatoires qui endommagent les tissus. A partir des organoïdes et d’échantillons provenant de patients atteints de maladies intestinales, l’équipe d’Achille Broggi a pu confirmer son hypothèse: en plus des niveaux d’interférons anormalement hauts chez ces patients, elle met au jour les dommages tissulaires causés par ces protéines. « Grâce aux organoïdes, on a démontré que les interférons lambdas empêchaient la guérison des muqueuses, et même mis au jour plusieurs mécanismes qui l’expliquent », se réjouit le chercheur.
Quand les interférons se fixent sur les récepteurs des cellules, le niveau de certains senseurs augmentent, en particulier ZBP1. C’est lui qui, lorsqu’il reconnaît la présence d’un virus dans la cellule, peut déclencher la mort cellulaire. En temps normal, ce processus se met en place pendant une infection virale, mais dans les MICI, le signal qui active ZBP1 ne provient pas d’un virus: il est induit par l’état inflammatoire. « Les interférons lambda et l’inflammation sont tous deux à l’origine de signaux de stress dans la cellule, éclaire Achille Broggi. Cela aboutit à la mort des cellules épithéliales ».
Or ces cellules ont un rôle essentiel dans la barrière intestinale: elles forment la barrière intestinale et, en proliférant, les réparent lorsqu’elles sont endommagées. Les interférons bloquent ce mécanisme et créent ainsi un cercle vicieux d’inflammation chronique difficile à enrayer.
Des perspectives thérapeutiques
À l’heure actuelle, les options thérapeutiques pour les MICI incluent des anti-inflammatoires tels que les stéroïdes et les anticorps anti-TNF, qui agissent en réduisant l’inflammation mais n’aboutissent pas à une réparation complète des tissus. D’après Achille Broggi, cibler les interférons pourrait améliorer ce processus: « Bloquer les interférons lambda pourrait constituer une approche complémentaire, en synergie avec les traitements existants, pour permettre une guérison plus efficace de la barrière intestinale. »
En plus de viser directement les interférons, les chercheurs pourraient également cibler les mécanismes moléculaires en aval, tels que ZBP1, impliqués dans la mort cellulaire. Pour cela, l’utilisation d’anticorps spécifiques ou de molécules inhibitrices similaires à celles employées dans d’autres traitements auto-immuns pourrait être envisagée. « Si nous arrivons à développer des anticorps pour bloquer ces interférons, comme cela existe déjà pour d’autres molécules, nous pourrions potentiellement transformer la prise en charge des MICI, » conclut l’auteur.
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