Retour de Laurent Gbagbo : ce qu’attendent les victimes

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Côte d'Ivoire – Retour de Laurent Gbagbo : ce qu’attendent les victimes
Côte d'Ivoire – Retour de Laurent Gbagbo : ce qu’attendent les victimes

Africa-PressCôte d’Ivoire. Si les partisans de Laurent Gbagbo célèbrent avec liesse son retour, pour les victimes de son pouvoir, cette libération est surtout synonyme d’impunité. La crise postélectorale de 2010-2011 a commencé par le refus de l’ex-chef d’État de céder le pouvoir à Alassane Ouattara à la suite de l’élection présidentielle de novembre 2010. Au cours des cinq mois de violences et de conflit armé qui ont suivi, au moins 3 000 personnes ont été tuées, plus d’un millier d’autres ont été blessées, en plus des nombreuses victimes de viols et exactions, dans les deux camps.

La crise a conduit l’ancien président et Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la Jeunesse, devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, qui les a jugés pour « crimes contre l’humanité », mais les a définitivement acquittés en mars dernier. Après une décennie loin de son pays, l’ancien président revient ce jeudi en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, les anciens adversaires appellent à la « réconciliation nationale ». Le reproche a également déjà été maintes fois exprimé à l’encontre des autorités ivoiriennes accusées d’appliquer une justice des vainqueurs.

Y a-t-il eu des procès marquants ?

Concrètement, peu de personnes ont été condamnées pour les violences commises par chaque camp. En avril, un ancien chef de guerre de l’ouest de la Côte d’Ivoire, Amadé Ouérémi, a été condamné à la perpétuité pour la mort en un seul jour, en mars 2011, de 817 personnes à Duékoué, dans une région considérée comme pro-Gbagbo. Mais ce procès a laissé des zones d’ombre sur les commanditaires du massacre.

En 2018, une loi d’amnistie a conduit à plusieurs libérations, dont celle de Simone Gbagbo, l’ex-première dame, au nom de la « réconciliation nationale ».

Comment pardonner sans savoir à qui pardonner ? En mars 2011, en pleine crise électorale, les obus pleuvaient sur le quartier d’Abobo, dans le nord d’Abidjan. Mathurin Kouassi ne s’est jamais remis de ses blessures et a encore du mal à accepter que personne n’ait été condamné pour ces violences, confie-t-il à l’AFP. L’abattement de Mathurin Kouassi contraste avec l’énergie qui se dégage de ce quartier populaire coloré. Il cherche ses mots, son regard dans le vide.

Un obus est tombé près de sa modeste maison alors qu’il tentait de fuir ; un éclat lui a fait perdre l’usage de sa main droite. « Je ne peux plus rien faire. La maçonnerie, impossible. Je ne trouve pas de petit boulot », raconte cet homme de 56 ans.

Il n’a jamais été soigné. « C’était la débandade. À l’hôpital, ils n’opéraient que les cas très graves. Ils ne se sont pas occupés de moi. » Il a plus tard touché 150 000 francs CFA (230 euros) du gouvernement. Le bombardement dont a été victime Mathurin Kouassi a donné lieu à un procès devant un tribunal militaire, mais les accusés ont été relaxés. « Tant qu’on ne connaît pas le responsable, on ne peut pas pardonner », tranche-t-il.

Son voisin, Issa Bokoun, propriétaire de la mosquée de la rue, un bâtiment qui en impose avec ses dorures dans un quartier fait d’habitations sommaires, accuse les forces pro-Gbagbo. Elles ont visé la mosquée où il avait accueilli plusieurs personnes du quartier. Issa Bokoun était, explique-t-il, « soupçonné d’héberger des rebelles ». Lui aussi a été touché par un éclat d’obus. Il n’a pas pu marcher pendant huit mois.

Issa Bokoun a témoigné devant le tribunal militaire. « On ne sait pas pourquoi ils ont été relaxés. (…) La première semaine, ça m’a choqué. » Peu après, avec d’autres victimes, il a été invité à la présidence par Alassane Ouattara. « Il nous a demandé de pardonner, pour la réconciliation nationale. »

La réconciliation nationale à tout prix

Accusé de vouloir minimiser l’impact de ce retour, le parti au pouvoir s’en est défendu. « C’est le président qui a annoncé le retour de Laurent Gbagbo. Comment voulez-vous que ce soit le RHDP qui rame à contre-courant de son président ? Simplement, nous voulons que tout se passe dans l’apaisement », a déclaré Adama Bictogo, directeur exécutif du RHDP. Cet apaisement est perceptible depuis plusieurs mois, après les dernières violences liées à la présidentielle d’octobre 2020.

Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé au cours d’une présidentielle boycottée par l’opposition qui jugeait ce nouveau mandat inconstitutionnel. Le scrutin a donné lieu à une crise électorale qui a fait une centaine de morts et un demi-millier de blessés entre août et novembre. Mais après ces violences, les gestes de décrispation, au nom de la « réconciliation nationale », se sont multipliés avec la libération de prisonniers arrêtés pendant cette dernière crise électorale et le retour d’exil de partisans de Laurent Gbagbo.

Et contrairement aux scrutins précédents, les dernières législatives, en mars, se sont déroulées dans le calme et les grands partis d’opposition y ont participé, en particulier le FPI de Gbagbo, qui boycottait toutes les élections depuis 10 ans.

« On ne saura jamais la vérité », déplore Aboubakari Sylla, de l’association de défense des victimes Jeruci à Abobo. « Or quand on connaît la vérité, c’est plus facile de pardonner. (…) On risque de se réconcilier dans le mensonge. »

Dans ces conditions, au-delà du quartier d’Abobo, beaucoup s’interrogent sur la longévité de cette réconciliation. « En l’absence de véritables procédures judiciaires crédibles et d’un processus politique qui mette le doigt sur ce qui n’a pas fonctionné, (…) je crains qu’il n’y ait pas de raisons d’être optimiste sur la possibilité de maintenir la paix et la stabilité politique sur une longue durée », estime ainsi Gilles Yabi, fondateur du centre d’analyse politique ouest-africain Wathi.

En trente ans, il y a eu plusieurs lois d’amnistie, note Issiaka Diaby, du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire. « Cela crée une impunité et ouvre la voie à d’autres crimes ». Pour le retour de Laurent Gbagbo, il compte aller à l’aéroport et manifester pour l’application de la condamnation de l’ex-président à 20 ans de prison pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) lors de la crise électorale. Les autorités ont laissé entendre que cette condamnation serait levée.

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