Estelle Maussion
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Déjà leader sur plusieurs produits de première nécessité, dont le riz et les pâtes, le groupe ivoirien met la main sur la filiale locale d’Unilever. Une expansion qui fait grincer des dents ses concurrents.
Et une opération de plus pour Carré d’Or. Après avoir repris une unité d’embouteillage de Castel, la production des boissons Coca-Cola en 2022, puis les jus Darci de Sipro-Chim en 2024, le groupe fondé par l’Ivoiro-Libanais Ibrahim Ezzedine prend le contrôle d’Unilever Côte d’Ivoire, connu dans le pays pour la mayonnaise Calvé, la lessive Omo et le dentifrice Signal.
Menée par la Société de distribution de toutes marchandises en Côte d’Ivoire (SDTM-CI) côté Carré d’Or, l’opération a été annoncée le 8 avril par la filiale ivoirienne de la multinationale britannique, spécialiste des produits de grande consommation qui traverse une période difficile, avec un bénéfice 2024 en repli de 9 % et le départ surprise de son patron, Hein Schumacher, remplacé début mars par Fernando Fernandez.
Chiffrée à 75 milliards de F CFA et devant encore obtenir la validation des autorités réglementaires, elle devrait être bouclée au plus tard avant fin 2025, confirmant la position de force de Carré d’Or dans l’agroalimentaire en Côte d’Ivoire.
Leader sur le riz, les pâtes, l’eau…
Avant la transaction, le groupe, fondé en 1988 et qui revendique un chiffre d’affaires de près de 500 milliards de F CFA en 2024, s’imposait déjà comme un acteur dominant du secteur.
Ainsi, il est leader en termes de parts de marché sur le riz (via ses marques La rizière et Maman), mais aussi les pâtes (Maman), le concentré de tomates (Alyssa), les biscuits (Cléo) et l’eau minérale (Céleste), d’après les données du cabinet Sagaci Research pour la période mai 2024-avril 2025. Selon cette même source, Carré d’Or figure également dans le top 5 sur le lait en poudre, à travers ses deux marques Laity et Top Lait.
Et ce n’est pas tout. Son portefeuille comprend d’autres biens alimentaires – farine, gari, thé, boissons énergisantes et sodas – ainsi que des produits d’entretien et d’hygiène, savon, lessive et eau de javel notamment, alors qu’il a investi dans l’agriculture pour consolider son approvisionnement en matières premières, mais aussi dans la distribution afin de maîtriser toute la chaîne de valeur.
Avec la prise de contrôle d’Unilever Côte d’Ivoire, Carré d’Or, conglomérat comprenant une dizaine de filiales, met la main non seulement sur une unité industrielle à Vridi, mais aussi sur un portefeuille de produits et de marques, internationales et locales, venant compléter le sien.
Toutefois, en l’état actuel des discussions, Carré d’Or ne prévoit pas d’exploiter les marques internationales, seulement les locales qui viendront compléter sa gamme de produits d’hygiène sous sa propre marque, Madar, a indiqué une source proche du groupe à Jeune Afrique.
Craintes d’un monopole
Même si les modalités concrètes de la reprise doivent encore être précisées, la transaction ne manque pas de provoquer des remous dans le secteur: nombre de concurrents et d’observateurs craignent une situation monopolistique sur plusieurs segments de marché de la part d’un opérateur disposant, par ailleurs, d’une importante trésorerie.
« Depuis deux ans, le groupe enchaîne les rachats, devenant un acteur de taille considérable et très puissant au regard des parts de marché détenues sur des produits de première nécessité », commente un opérateur de la place.
« Ce n’est plus une situation concurrentielle. Nous évoluons sur un marché où chacun se contente de ses positions face à l’ogre Carré d’Or », estime un concurrent dans les jus de fruits.
Une lecture que rejette, via la même source sollicitée, le groupe ivoiro-libanais, rappelant le rôle de garde-fou de la commission de la concurrence pour prévenir les situations de monopole. Dans ce débat, certains observateurs sont moins critiques, saluant, d’une part, la confirmation de la montée en puissance des groupes locaux face aux multinationales et, d’autre part, une évolution devant inciter les challengers de Carré d’Or à investir et innover pour rester dans le jeu.
Sécurité alimentaire en jeu
Un dernier point doit être pris en compte: le fait que Carré d’Or, en raison de ses capacités de financement et de stockage, soit mobilisé par les pouvoirs publics pour assurer la sécurité alimentaire du pays.
« Quand les cours des denrées de première nécessité comme le riz sont bas, l’État peut solliciter le groupe pour qu’il achète et stocke des volumes afin de garantir l’accès des produits aux populations », explique à Jeune Afrique une source gouvernementale, soulignant que cette stratégie permet de contenir l’inflation.
Pour finir, côté Unilever, c’est une page qui se tourne. La multinationale, qui a redressé avec succès ces dernières années sa filiale au Nigeria, n’a pas réussi à relever ce défi en Côte d’Ivoire.
Malgré ses efforts pour réduire les coûts, la filiale ivoirienne, dont le chiffre d’affaires a connu un pic à 60 milliards de F CFA en 2017 avant d’inexorablement s’éroder, a enchaîné les pertes depuis 2013, avec seulement deux années bénéficiaires: 2021 et 2023.
Cette situation explique la réduction de l’activité sur les dix dernières années alors qu’Abidjan était, depuis 2017, devenue le siège régional pour les activités au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Sénégal et au Cameroun. Avec son retrait du capital de la filiale ivoirienne, c’est à toute l’Afrique de l’Ouest francophone que semble renoncer Unilever.
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press