Le PDG de BlackRock veut révolutionner l’investissement, l’Afrique pourrait-elle en profiter ?

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Le PDG de BlackRock veut révolutionner l’investissement, l’Afrique pourrait-elle en profiter ?
Le PDG de BlackRock veut révolutionner l’investissement, l’Afrique pourrait-elle en profiter ?

Mathieu Galtier

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Le dirigeant de la plus grande société de gestion d’actifs au monde, Larry Fink, appelle à ouvrir l’accès aux marchés privés à tous. Un big bang qui suscite le débat sur le continent.

Les férus de technologies ont la convention annuelle d’Apple, qui a fait de Steve Jobs une star planétaire. Le monde de la finance, lui, a sa lettre annuelle aux investisseurs de Laurence Fink, dit Larry, le dirigeant de BlackRock, première société de gestion d’actifs au monde, avec 12 000 milliards de dollars en portefeuille en 2024. Et la cuvée 2025 pourrait avoir le même écho que la présentation du premier iPhone, le 9 janvier 2007, notamment en Afrique.

Le « fils d’un vendeur de chaussures », comme il aime à se présenter, appelle à démocratiser les « marchés d’actifs privés ». Autrement dit, que chacun puisse acheter une partie d’un data center, d’une autoroute ou encore d’un réseau électrique. Des équipements et des infrastructures dont les financements sont aujourd’hui inaccessibles au grand public.

« Décalage croissant entre la demande d’investissements et les capitaux disponibles »

« Alors que nous entrons dans le deuxième quart de notre siècle, il existe un décalage croissant entre la demande d’investissements et les capitaux disponibles auprès des sources traditionnelles [États, banques et entreprises] », déplore Larry Fink. Un constat des plus criants en Afrique. La Banque africaine de développement (BAD) estime que chaque année, le déficit d’investissements dans les infrastructures s’élève à 100 milliards de dollars: près de la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité et 35 % des Subsahariens n’ont pas l’eau potable.

« Il y a un tel déficit d’infrastructures, qu’on ne peut aller que dans le sens de Larry Fink, celui d’ouvrir l’investissement à plus d’acteurs privés. Et ça commence. En Côte d’Ivoire, un important projet solaire est en train d’être financé par un fonds commun de placement », détaille Jean-Jacques Ngono, cofondateur et managing partner à Finergreen, banque d’investissement spécialisée dans le financement de la transition énergétique.

Il poursuit: « J’ai de plus en plus d’échanges avec des gestionnaires de sociétés de gestion et d’intermédiation qui ont des épargnants qui recherchent une diversité de portefeuille et une certaine rentabilité. Le financement dans l’énergie solaire se prête bien à des fonds d’investissement, car c’est facile à comprendre, tout le monde voit les résultats et la rentabilité est là. »

En 2022, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a facilité la création des Fonds d’investissement alternatifs (FIA), qui élargit les domaines de financements (infrastructure, agriculture, énergie, parc de bureaux, etc.). Le PDG d’Africa50, Alain Ebobissé, le martelait il y a peu sur Jeune Afrique: les priorités de la transition énergétique « nécessitent des investissements audacieux, des solutions innovantes et des partenariats stratégiques ». Pour Jean-Jacques Ngono comme pour Alain Ebobissé, il est d’autant plus important d’attendre, car le capital est là, et les investisseurs potentiels ne demandent qu’à éclore.

Multiplication des plateformes de micro-investissements

Jamborow, Trove, Upnup, EasyEquities: les plateformes de microfinance ont commencé à voir le jour en Afrique – anglophone principalement – pendant la pandémie de Covid-19. Elles permettent d’investir de toutes petites sommes, facilement et rapidement. Les jeunes urbains sont les principales cibles, mais pas seulement. « Le barrage de la Renaissance a été en partie financé par les Éthiopiens qui pouvaient verser 1 dollar. Le Ghana veut s’inspirer de cette dernière expérience », complète Frannie Leautier, PDG de SouthBridge Investments et ancienne vice-présidente de la BAD, qui se revendique « fan » de l’agrégation de ces microactifs qui pourraient être gérés par des fonds manager pour plus de rentabilité.

Comme l’Afrique a connu un saut technologique dans la télécommunication, la financière tanzanienne « croit absolument » en la possibilité d’un saut financier qui permettrait aux Africains de profiter de ces instruments sophistiqués sans passer par l’étape traditionnelle du boursicoteur qui, lui, passe par des sociétés classiques d’intermédiation: « Nous pouvons aller tout de suite au niveau des plateformes digitales, des micro-investissements, du micro-equities, etc. »

Larry Fink ne dit pas autre chose quand il annonce que BlackRock « n’est plus un gestionnaire d’actifs traditionnels » depuis 2024, après les acquisitions de trois grandes sociétés dans les secteurs à forte croissance que sont les infrastructures (Global Infrastrucure Partners) et le crédit privé (Preqin et HPS) qui doivent permettre d’accélérer les investissements, pour toutes les bourses, sur les grands projets d’infrastructures.

L’Américain rêve d’en finir avec la traditionnelle répartition de portefeuille 60/40 – 60 % actions, 40 % obligations – pour instaurer un nouveau partage 50/30/20 – 50 % actions, 30 % obligations et 20 % actifs privés (immobilier, infrastructure et crédit privé). Seulement là, les acteurs continentaux descendent du train.

Au siège de la banque panafricaine Ecobank, on se dit intéressé par la nouvelle vision du patron de BlackRock, mais à Lomé, on imagine mal un monde dans lequel « les marchés de capitaux ne se contenteraient pas de compléter les banques, les entreprises et les gouvernements: ils constitueraient à leurs côtés une source de capitaux à part entière ». « Nous voyons plutôt une collaboration accélérée. Ce genre d’institutions à un savoir-faire sur les marchés sophistiqués et une profondeur financière que nous n’avons pas, c’est certain. Mais ils n’ont pas la compréhension du marché comme nous l’avons. Le partenariat, plutôt que la concurrence, paraît plus adaptée en Afrique », imagine un cadre d’Ecobank esquissant un parallèle avec la venue annoncée des banques américaines en Afrique de l’Ouest. Selon lui, les besoins en financement sont tels que la mobilisation de l’épargne, même de tous les Africains, ne sera jamais suffisante pour combler le déficit.

Une réglementation encore à la traîne

Le manque de culture financière est également un facteur limitant brandit par Jean-Jacques Ngono, tout comme Frannie Leautier, pour expliquer pourquoi la vision de Larry Fink n’est pas totalement adaptée aux réalités du continent: « La plupart des personnes qui ont de l’argent préfèrent encore investir dans l’immobilier, plutôt que d’aller financer les infrastructures. Et quand on voit le peu d’utilisation des bourses, par exemple, dans certaines régions, utiliser l’argent, même s’il est disponible, pour des produits plus complexes, est-ce que c’est possible ? » s’interroge encore Jean-Jacques Ngono qui évoque aussi les problèmes de réglementation financière encore trop différente d’un pays à l’autre pour imaginer des investissements dans les actifs privés à grande échelle.

La dirigeante de SouthBridge Investments table plutôt sur un mix 40 %, 35 % et 25 % à l’échelle africaine, car le continent ne compte que quelques bourses réellement matures (Johannesburg, Casablanca, Lagos, Le Caire, Nairobi) et les États, fortement endettés, ont besoin plus que jamais des banques pour se financer via les bons du Trésor.

Dans sa lettre, Larry Fink ne cite pas une seule fois l’Afrique, se référant surtout aux États-Unis et à l’Europe pour valider sa vision. Mais le continent prouve, s’il en était besoin, qu’il est prêt pour la révolution financière à venir.

Source: JeuneAfrique

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